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DOSSIER - Plantes de service et bioagresseurs

L'heuchère, une plante-piège contre Duponchelia fovealis ?

TOM HEBBINCKUYS(1) ET ÉMILIE MAUGIN(2) (1) Arexhor Pays de la Loire (Astredhor Loire-Bretagne). (2) Astredhor Sud-Ouest - GIE Fleurs et Plant - Phytoma - n°746 - août 2021 - page 33

Astredhor évalue la capacité de l'heuchère à détourner le papillon ravageur des cultures ornementales afin de limiter les dégâts.
Duponchelia fovealis en culture d'Impatiens de Nouvelle-Guinée. Photo : T. Hebbinckuys

Duponchelia fovealis en culture d'Impatiens de Nouvelle-Guinée. Photo : T. Hebbinckuys

Dégâts provoqués par Duponchelia fovealis sur chrysanthème. Photo : É. Maugin

Dégâts provoqués par Duponchelia fovealis sur chrysanthème. Photo : É. Maugin

Fig. 1 : Cycle biologique de Duponchelia fovealis  Photos : É. Maugin

Fig. 1 : Cycle biologique de Duponchelia fovealis Photos : É. Maugin

Fig. 2 : Pontes de Duponchelia fovealis sur différentes plantes       Essais Astredhor 2020. Notations réalisées sept jours après le lâcher des papillons dans la serre. 60 % des oeufs totaux du ravageur sont présents sur heuchère.

Fig. 2 : Pontes de Duponchelia fovealis sur différentes plantes Essais Astredhor 2020. Notations réalisées sept jours après le lâcher des papillons dans la serre. 60 % des oeufs totaux du ravageur sont présents sur heuchère.

Fig. 3 : Nombre de larves de Duponchelia fovealis sur cinq variétés d'heuchère (observations station Astredhor Sud-Ouest, 2020)      Notations réalisées en mars 2021 sur les heuchères cultivées en entreprise en Gironde.       Photos : larve de Duponchelia sous les vieilles feuilles ; culture d'heuchère sous tunnel (Astredhor Sud-Ouest).

Fig. 3 : Nombre de larves de Duponchelia fovealis sur cinq variétés d'heuchère (observations station Astredhor Sud-Ouest, 2020) Notations réalisées en mars 2021 sur les heuchères cultivées en entreprise en Gironde. Photos : larve de Duponchelia sous les vieilles feuilles ; culture d'heuchère sous tunnel (Astredhor Sud-Ouest).

Fig. 4 : Nombre d'oeufs de Duponchelia observés pour différentes espèces et variétés d'heuchère à Arexhor Pays de la Loire (essai 2021)       Heuchera seul en légende = Heuchera micrantha, les autres sont précisées.

Fig. 4 : Nombre d'oeufs de Duponchelia observés pour différentes espèces et variétés d'heuchère à Arexhor Pays de la Loire (essai 2021) Heuchera seul en légende = Heuchera micrantha, les autres sont précisées.

Dispositifs de tests des variétés d'heuchère comme plante-piège de Duponchelia fovealis à Arexhor Pays de la Loire (photo 3) et à Astredhor Sud-Ouest (photo 4).

Dispositifs de tests des variétés d'heuchère comme plante-piège de Duponchelia fovealis à Arexhor Pays de la Loire (photo 3) et à Astredhor Sud-Ouest (photo 4).

 Photos : T. Hebbinckuys - É. Maugin

Photos : T. Hebbinckuys - É. Maugin

Fig. 5 : Nombre de larves de Duponchelia observées pour différentes variétés d'heuchère à Astredhor Sud-Ouest (essai 2021)      Conditions d'essais : test de choix mis en place le 20 avril 2021, quatre plantes/variété réparties en cercle à 2 m du point de lâcher central de 76 papillons. Comptage du ravageur une fois par semaine pendant 1 mois, le graphique illustre la notation finale.

Fig. 5 : Nombre de larves de Duponchelia observées pour différentes variétés d'heuchère à Astredhor Sud-Ouest (essai 2021) Conditions d'essais : test de choix mis en place le 20 avril 2021, quatre plantes/variété réparties en cercle à 2 m du point de lâcher central de 76 papillons. Comptage du ravageur une fois par semaine pendant 1 mois, le graphique illustre la notation finale.

Heuchères infestées de Duponchelia fovealis sans intervention (en bas) et avec application de Bacillus thuringiensis (en haut). Photo : A. Baillou

Heuchères infestées de Duponchelia fovealis sans intervention (en bas) et avec application de Bacillus thuringiensis (en haut). Photo : A. Baillou

Fig. 6 : Nombre total de larves de Duponchelia fovealis observées en culture de cyclamen et sur heuchères utilisées comme plantes-pièges Essai Arexhor Pays de la Loire 2021.

Fig. 6 : Nombre total de larves de Duponchelia fovealis observées en culture de cyclamen et sur heuchères utilisées comme plantes-pièges Essai Arexhor Pays de la Loire 2021.

Duponchelia fovealis est un papillon de type « pyrale » originaire de Méditerranée, arrivé en Europe en 1984, et qui se développe progressivement en France. Astredhor Loire-Bretagne et Astredhor Sud-Ouest étudient différents leviers de protection, complémentaires aux agents de lutte biologique et au piégeage phéromonal, parmi lesquels les plantes de service. Ainsi, l'intérêt des plantes-pièges est en cours d'évaluation. Les premiers essais soulignent le potentiel de la méthode.

Un ravageur polyphage et discret

Une expansion régulière en France depuis 2010

Polyphage, Duponchelia fovealis attaque de nombreuses cultures, notamment le cyclamen et les fraisiers dans le Sud-Ouest, depuis les années 2000. En horticulture, de plus en plus d'entreprises sont touchées depuis 2010, et la gamme des plantes-hôtes évolue. On le retrouve maintenant fréquemment sur des cultures de dipladénia, au gré des importations de matériel végétal du sud de l'Europe, notamment d'Espagne, mais aussi sur des cultures de chrysanthèmes (sous serre, tunnel, mais aussi en extérieur). Ce sont de bons « voiliers » qui se dispersent facilement (> 100 km).En région méditerranéenne, le papillon est présent d'avril à octobre, mais il peut survivre dans les serres pour se disperser au printemps jusqu'au début de l'hiver. En climat doux, il pourrait passer l'hiver dehors (tas de compost).

Le papillon marron à l'abdomen recourbé vers le haut reste discret, avec un vol « rasant » plutôt nocturne (photo 1). Sa chenille, responsable de dégâts directs, est blanc crème à tête noire, caractéristique des pyrales, et affectionne les milieux humides. Elle a un comportement fouisseur, se retrouve souvent au niveau du substrat et à la base des plantes, voire sous les pots et y tisse des toiles pour se protéger. De manière générale, le ravageur est difficile à détecter. De ce fait, le premier diagnostic est souvent tardif. Les dégâts, discrets en début de culture, amènent à des effondrements subits de plantes.

Biologie et dégâts

La première génération de papillon émerge en avril, plus ou moins tôt dans le mois. La température est un facteur important à prendre en compte pour la levée de diapause hivernale du ravageur. En effet, la pyrale hiverne au stade larvaire, le plus souvent dans des feuilles séchées au pied des plantes. Quand les conditions climatiques redeviennent favorables, les larves se remettent à consommer les feuilles et les papillons qui émergent forment alors la première génération de l'année. La pyrale Duponchelia fovealis a besoin de 454 degrés jours pour compléter son développement avec une température de base de 11,7 °C (Paes et al., 2012) (Figure 1).

Dans le Sud-Ouest, cinq générations du ravageur sont observées : la première génération s'étale sur avril-mai à la faveur des températures variables de début de saison et des températures consignes appliquées dans la serre. La deuxième génération émerge vers mi-juin. Sur l'été, deux autres générations se succèdent plus rapidement, ce qui occasionne une forte pression sur les cultures fin août. La cinquième génération se développe à l'automne et un pic de population est toujours observé fin octobre, précédant la diapause hivernale. Sur les trois sites de production suivis, les générations sont assez synchronisées.

Quant aux dégâts, ils sont très variables. La chenille a la capacité de consommer tous les organes de la plante (racines, bulbes, tiges, feuilles, fruits...) avec des conséquences plus ou moins importantes. Ainsi, la consommation des racines ou du collet des tiges conduit à des ruptures hydriques, la plante flétrit (photo 2) et meurt. C'est généralement ce qui arrive en culture de cyclamen.

Moyens de lutte actuels

Compte tenu de la localisation des adultes et des chenilles, les traitements chimiques s'avèrent peu efficaces. Les producteurs avaient recours majoritairement à des produits systémiques de type néonicotinoïde (thiaméthoxame ou acétamipride), à raison de un à deux traitements par culture en présence du ravageur. Depuis leur interdiction, les solutions sont peu nombreuses. Les leviers à ces utilisations de produits phytopharmaceutiques passent par le recours à des techniques de biocontrôle en poursuivant deux objectifs : dépister efficacement et précocement le ravageur Duponchelia fovealis et protéger la culture de ces discrètes mais redoutables chenilles.

Côté dépistage, le piégeage phéromonal sert soit à détecter les populations (piège en extérieur ou sur cultures-hôtes d'hivernage), soit à contrôler les générations en limitant l'accouplement (culture sensible). Cependant, cette solution à base de phéromone sexuelle ne piège que les adultes mâles. Les pièges permettent donc de limiter la reproduction sans toutefois affecter les femelles : ces dernières continuent de voler dans les cultures, sans que ces vols traduisent pour autant une inefficacité du piégeage. En fonction de l'objectif poursuivi, les densités de pièges diffèrent et varient de 1 pour 100 à 500 m². De même, le piège utilisé peut varier, le plus utilisé reste le piège delta.

En parallèle de la capture des adultes, la protection de la culture passe par l'installation d'agents de lutte biologique pour limiter le développement des chenilles. Plusieurs macro-organismes sont connus pour s'attaquer aux lépidoptères : le staphylin prédateur Dalotia coriaria qui attaque les oeufs et les larves, des espèces spécifiques de trichogrammes parasitoïdes des oeufs, et des acariens du sol prédateurs d'oeufs comme Gaeolaelaps aculeifer (anciennement Hypoaspis aculeifer) et Stratiolaelaps scimitus (anciennement Hypoaspis miles). Il est également possible d'avoir recours à plusieurs agents entomopathogènes à pulvériser sur les stades larvaires comme les produits à base de Bacillus thuringiensis (différentes sous-espèces disponibles diffèrent dans la composition des toxines et confèrent une spécificité dans les espèces-cibles de lépidoptères), et les nématodes Heterorhabditis bacteriophora et Steinernema spp. (Van der Ent et al., 2018). Des travaux récents sur le ravageur indiquent qu'une combinaison de nématodes Steinernema carpocapsae et de pulvérisation de Bacillus thuringiensis est efficace contre le ravageur en culture de kalanchoé au Pays-Bas (Neefjes H., 2017) et de fraise en Italie (Sannino et al., 2017). Une autre équipe de chercheurs a également mis en évidence, in vitro et en serre de fraise, une forte mortalité engendrée par les champignons du sol Beauveria bassiana (Poitevin et al., 2018 ; Amatuzzi et al., 2018 a) et Paecilomyces sur les larves de D. fovealis (Amatuzzi et al., 2018 b). Les plantes de service représentent un levier supplémentaire à étudier dans la lutte contre Duponchelia.

Plante-piège, l'heuchère ?

Fonctionnement des plantes-pièges

Le piégeage des ravageurs par des plantes attractives, dites « plantes-pièges », offre une solution qui s'inscrit pleinement dans les solutions agroécologiques. Les plantes-pièges sont des végétaux hypersensibles au ravageur ciblé. Pour que le couple plante-piège/ravageur fonctionne efficacement, le ravageur doit présenter deux caractéristiques indispensables : être mobile et polyphage. La mobilité assure le possible déplacement des ravageurs vers une plante donnée, et la polyphagie est la condition à l'existence d'une préférence alimentaire. Disposées au sein ou autour des végétaux à protéger, les plantes-pièges attirent et concentrent les ravageurs. Contrairement aux pièges à phéromones qui ne permettent que de piéger les adultes mâles, la plante-piège a pour fonction d'attirer les femelles afin qu'elles y pondent leurs oeufs. La plante peut ensuite être traitée au moyen d'une solution de biocontrôle pour lutter contre le développement du ravageur par une approche plus ciblée et moins coûteuse que les phéromones.

À la recherche de plantes sensibles

Depuis 2018, des tests sont réalisés avec les plantes les plus sensibles à Duponchelia afin de définir si l'une d'elles est particulièrement sensible et pourrait jouer le rôle de plante-piège. Un grand nombre d'espèces ont été testées, comme le thym, le poivron, la menthe, le calibrachoa, le chrysanthème, le cyclamen, le kalanchoé, le lantana ou encore le pélargonium. Le lantana s'est avéré particulièrement attractif mais présente trop d'inconvénients sous serre, car il héberge de nombreux ravageurs comme les pucerons, les aleurodes ou encore les acariens.

Les années suivantes, l'heuchère est apparue comme étant particulièrement sensible. En 2020, un essai a consisté à disposer trois pots (répétitions) de huit espèces différentes aléatoirement au sein d'un tunnel insect-proof, sans culture. Au milieu du tunnel ont été lâchés 71 papillons (dont 38 femelles). Les notations, réalisées sept jours après le lâcher, visaient à dénombrer les oeufs pondus sur les plantes. Les pontes étaient largement concentrées sur l'heuchère (Figure 2). La plante semble bien plus sensible que le cyclamen, d'où l'intérêt de la tester comme plante-piège.

Heuchère oui, mais quelle variété ?

Au sein d'une même espèce, des différences de sensibilité existent entre variétés et sont même souvent importantes. Ainsi, dans le cas des aleurodes, des travaux menés à la station angevine (Maine-et-Loire) d'Astredhor il y a quelques années ont montré que l'aubergine était une très bonne plante-piège pour Trialeurodes vaporariorum alors que le melon serait plus adapté pour Bemisia tabaci : dans ces deux exemples, de très grosses disparités de sensibilité existent entre les variétés. Lors des essais, certaines n'attiraient quasiment pas d'aleurodes alors que des centaines s'installaient sous les feuilles de leurs voisines. Finalement, les variétés 'Bonica' pour l'aubergine et 'Emir' pour le melon sont les plus performantes, et donc celles à utiliser.

Cette différence de sensibilité s'applique probablement aussi dans notre cas. Or, vingt-six espèces constituent le genre Heuchera et les variétés se comptent par centaines. L'espèce la plus produite est Heuchera micrantha, mais sont également présentes en production H. sanguinea, H. americana, H. villosa, H. pulchella... La supposition de différences de sensibilité entre les espèces et variétés vis-à-vis de Duponchelia semble confirmée par des observations réalisées chez les producteurs en Pays de la Loire et en Nouvelle-Aquitaine.

À la recherche de la bonne variété

Constat en station d'expérimentation

Deux variétés d'heuchère sont cultivées en pots de 3 litres sur la pépinière de la station d'expérimentation d'Astredhor Sud-Ouest depuis l'automne 2018 : 'Palace Purple', une variété classique au feuillage pourpre ; et 'Silver Scrools', une variété au feuillage violet argenté. Une pression du ravageur est constatée en juillet 2019 avec des signes caractéristiques de présence : amas de débris sous les ergots du pot, déjections et légère présence de toile au niveau du collet.

Un dénombrement du ravageur sur plantes réalisé fin juillet à raison de vingt-cinq plantes/variété a permis de dénombrer entre zéro et quatre larves/pot avec une nette préférence du ravageur pour la variété 'Palace Purple' (76 % des pots touchés, 1,7 larve/pot en moyenne). La variété 'Silver Scrools' cultivée dans les mêmes conditions présente 20 % de pots touchés avec moins de 0,3 larve/pot.

Suivi en entreprise : cinq variétés d'heuchère observées

En parallèle de la station, la population du ravageur est suivie sur un site de production horticole où la pression parasitaire est plus forte, à la faveur d'un système de culture de vivaces puis de chrysanthème (Figure 3). Une gamme de cinq variétés d'heuchère y est cultivée depuis juin 2020 : 'Berry Smoothie', 'Lime Marmelade', 'Marmelade', 'Purple Petticoats' et 'Silver Lord'. Ces variétés ont été observées à deux reprises, mi-novembre 2020, soit trois semaines après le dernier vol, et mi-mars 2021 à la reprise d'activité du ravageur. Le nombre de chenilles de Duponchelia a été dénombré pour quinze plantes par variété.

Alors qu'en novembre, seule une larve est détectée, la pression est très forte 4 mois après avec 186 chenilles dénombrées sous les vieilles feuilles séchées en contact avec le substrat. La variété 'Marmelade' semble plus attractive, avec 87 % des plantes touchées, et en moyenne 4,4 chenilles/pot. La variété 'Berry Smoothie' est la moins appétente avec 20 % de plantes infestées et 0,5 chenille/pot. Même constat chez un producteur du Maine-et-Loire avec quatre variétés aux couleurs bien distinctes et de grosses différences observées en termes de nombres de larves retrouvées par pot.

Des tests en cours au moment de la rédaction de cet article visent à identifier l'espèce d'heuchère ainsi que la ou les variétés les plus sensibles.

Tests de choix en conditions contrôlées

Les tests actuels à Angers visent à évaluer une vingtaine de variétés d'heuchère (ainsi que les quatre espèces) (Figure 4, photo 3). Trois pots de chaque variété sont disposés aléatoirement sur une tablette de culture recouverte d'un filet insect-proof (pour s'assurer que les papillons lâchés restent dans l'enceinte). Parmi les plantes présentes, Photinia x fraseri joue le rôle de témoin négatif permettant de valider le dispositif expérimental et donc les résultats obtenus. Cette espèce n'étant pas sensible à Duponchelia fovealis, les femelles ne devraient donc pas y pondre. La présence d'oeufs du ravageur sur cette plante indiquerait une ponte aléatoire, sans choix de la femelle, invalidant les résultats. Dans le cas contraire - aucun oeuf retrouvé sur Photinia mais présence sur les heuchères voisines -, la femelle choisit bien son lieu de ponte (sur un critère encore inconnu), le dispositif peut être validé et les résultats exploités. À ce jour, Heuchera micrantha 'Plum Pudding' s'avère plus sensible que les autres variétés mais toutes n'ont pas encore été évaluées.

Un test de choix similaire réalisé à Astredhor Sud-Ouest en 2021 n'a pas montré de préférence du papillon pour une des cinq variétés d'heuchère évaluées (Figure 5, photo 4). En revanche, elle a montré que toutes sont plus sensibles que le chrysanthème.

Sur quel critère la femelle choisit-elle son lieu de ponte ?

Un critère de choix de la femelle pour son lieu de ponte pourrait être la couleur du feuillage. Les observations tendent à infirmer cette hypothèse puisque les variétés les plus sensibles sont dans certains cas pourpre, « caramel » ou encore vertes. D'autres critères possibles sont la pilosité, la densité de feuillage ou encore le nombre de feuilles mortes. Il semble effectivement, d'après les derniers essais, y avoir une corrélation entre le nombre d'oeufs pondus et le nombre de feuilles mortes par pot, cette « litière » offrant une humidité susceptible de favoriser les éclosions. Cette observation soulève une nouvelle hypothèse à tester : la plante-piège pourrait n'être qu'une plante en train de dépérir.

La gestion des plantes-pièges

La plante-piège attire le ravageur et héberge l'essentiel de ses larves. Elle devient donc un « nid à ravageurs » qu'il faut inévitablement gérer, sous peine d'accentuer la pression en ravageurs dans la serre. L'élimination du ravageur s'effectue par destruction du végétal ou traitement ciblé du bioagresseur sur la plante-piège.

La plante-piège ne doit pas être déposée telle quelle dans le tas de compost. Il faut d'abord s'assurer de la destruction du ravageur, soit en broyant le végétal, en l'immergeant ou encore en le conservant plusieurs semaines dans un contenant hermétique. La technique de l'immersion semble offrir le résultat le plus sûr. La méthode de la destruction a l'inconvénient de devoir renouveler régulièrement le stock de plantes-pièges. La gestion du ravageur sur la plante-piège peut s'effectuer à l'aide d'agents entomopathogènes tels que des nématodes ou Bacillus thuringiensis, par exemple. Les essais ont montré une efficacité de 90 % de celui-ci lorsque le produit est appliqué quatorze jours après que la plante a été en contact avec le ravageur (photo 5). Les plantes-pièges permettant de concentrer le ravageur, le produit n'a pas besoin d'être appliqué sur toute la culture mais juste sur ces plantes, réduisant ainsi le coût de l'intervention. La larve étant souvent cachée dans le substrat, il est conseillé de traiter à un volume hectare plus important pour bien faire pénétrer le produit. À titre d'exemple, les applications au cours de nos essais en 2021 ont été réalisées à un volume de 4 000 litres de bouillie/hectare.

Enfin, les plantes-pièges peuvent être gérées avec des auxiliaires comme Dalotia coriaria ou l'acarien prédateur Stratiolaelaps scimitus, qui peuvent être lâchés en densité importante tout en restant économiquement intéressants. En 2020, des tests avec ces auxiliaires ont été mis en place en cage d'élevage. Trois pots d'heuchères étaient infestés par cinq mâles et cinq femelles Duponchelia. Au même moment, les auxiliaires ont été lâchés à la dose de cinq staphylins (D. coriaria) par pot et, dans une autre cage, 250 acariens par pot (dose curative recommandée) afin d'y consommer les oeufs et les jeunes larves. Les résultats ont montré une quasi-inefficacité du staphylin alors que l'acarien avait permis de réduire le nombre d'oeufs de D. fovealis de 90 %. En 2021, les mêmes tests ont été réalisés, avec cette fois-ci 53 % d'efficacité pour Dalotia et 73 % pour les acariens.

Des essais à l'échelle de la culture de cyclamen

Fin juin 2020 à Angers, une culture de 216 cyclamens a été mise en place sous serre. Deux variétés d'heuchère y ont été installées pour tester la méthode des plantes-pièges. Grâce à l'élevage de ravageurs de la station, des lâchers réguliers de D. fovealis ont été effectués de juillet à octobre (au total 123 papillons), et les oeufs et larves du ravageur ont été observés chaque semaine sur 72 cyclamens et sur les huit heuchères.

Les résultats obtenus sont encourageants puisqu'au total, au cours de l'essai, 92 larves ont été observées sur les huit heuchères, sans différence entre les deux variétés, contre seulement six sur l'ensemble des cyclamens (Figure 6).

Si les heuchères semblent plus attractives que les cyclamens vis-à-vis de Duponchelia, elles peuvent attirer d'autres ravageurs. Un essai mené sur cyclamen à Astredhor Sud-Ouest en 2020 avec des plantes âgées a donné lieu à un développement de cochenilles farineuses. Dans ce cas-là, les plantes-pièges doivent être jetées immédiatement. Les heuchères présentent aussi une forte attractivité aux otiorhynques qu'il faut surveiller. Elles sont très peu attractives pour les pucerons. Il est ainsi recommandé de vérifier les inconvénients potentiels des plantes de service, ainsi que leurs besoins culturaux. Par exemple, l'heuchère est une plante d'ombre, elle sera donc plus adaptée à la culture du cyclamen qu'à celle du chrysanthème, sauf si cela a pour effet de produire des feuilles sèches plus attractives pour Duponchelia...

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En horticulture, depuis 2010, de plus en plus d'entreprises sont touchées par la pyrale Duponchelia fovealis, sur cyclamen, mais aussi dipladénia et chrysanthème.

ÉTUDE - Astredhor Loire-Bretagne et Astredhor Sud-Ouest étudient différents leviers de protection, parmi lesquels les plantes de service. Dès 2018, les premiers essais soulignent le potentiel de l'utilisation de l'heuchère comme plante-piège.

RÉSULTATS - L'heuchère est plus sensible que le cyclamen et que le chrysanthème aux attaques de Duponchelia fovealis. Elle se révèle être une bonne candidate en tant que plante-piège pour aider à la gestion du papillon dans ces cultures en procurant des sites de ponte privilégiés pour les femelles. Pour le moment, la variété la plus sensible est 'Plum Pudding' mais des tests confirmatoires sont toujours en cours.

L'utilisation de Bacillus thuringiensis semble être la solution la plus efficace pour gérer le ravageur sur les plantes-pièges. Les auxiliaires Dalotia coriaria (staphylin) et Stratiolaelaps scimitus (acarien prédateur) présentent eux aussi des résultats très encourageants.

MOTS-CLÉS - Plante-piège, Duponchelia fovealis, heuchère, cyclamen, chrysanthème.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : tom.hebbinckuys@astredhor.fr

emilie.maugin@astredhor.fr

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