De tout temps, les hommes ont cherché les remèdes aux agressions de leurs cultures et de leurs denrées stockées en s'inspirant souvent de recettes utilisées en médecine humaine et, très naturellement, ils se sont tournés vers les médications proposées par les médecins et les apothicaires. En 1485, Johann Wonnecke von Caub publie Gart der Gesundheit, le premier livre imprimé d'histoire naturelle. En 1491, une adaptation latine voit le jour sous le titre Hortus sanitatis. Pour l'occasion, le nom d'auteur est aussi latinisé pour devenir Johannes de Cuba. Il y est fait mention de la « mouche » Culex. À cette époque, le monde des insectes était découpé en mouche (mouches, abeilles, moustiques), puces et pucerons, chenilles et punaises... Dans cet ouvrage, les remèdes conseillés proviennent de textes anciens qui faisaient référence à l'époque, comme celui de Palladius Rutilius Taurus Aemilianus (Ve siècle) qui, dans son traité d'agriculture De Re Rustica, recommande de répandre sur les légumes du vinaigre mordant avec du jus de jusquiame pour se débarrasser des pucerons et de brûler des tiges d'ail sans tête pour chasser les chenilles.
Plus tard, ces recettes vont se complexifier et Avicenne propose, pour faire fuir les moustiques et les punaises, une fumigation de sciures de bois de pin, avec la graine appelée nyelle(1), du myrte, du bdellium(2), de la spina fetida(3), de la fiente de vache et des feuilles de cyprès.
Dans ces exemples, les recommandations pour éloigner les insectes reposent sur des substances de la science médicinale de l'époque, utilisant des plantes odoriférantes ou toxiques pour l'homme. Plus que la destruction des « nuisibles », c'était la répulsion qui était recherchée en s'appuyant sur l'idée que les odeurs fortes repoussent les insectes indésirables.
Empirisme, science et art culinaire
Cette profusion de recettes montre aussi les tâtonnements de l'époque pour trouver des solutions à ces moustiques, punaises ou chenilles. Mille ans plus tard, pour sauvegarder les précieux stocks de grains, un mélange d'ail et de persicaire âcre est préconisé. En 1756, La Gazette d'agriculture mentionne cette recette qui pourrait figurer au menu d'un restaurant : « Vous remplirez un grand chaudron de feuilles de persicaire âcre, vous mettrez sur les feuilles une livre et demie de sel marin, deux ou trois gousses d'ail, environ un bon seau d'eau. Vous ferez bouillir et vous arroserez avec cette décoction le plancher du grenier, les murs, et les tas de bled sans les remuer. »
Ces recommandations sont toujours un mélange d'empirisme, de sciences et d'art culinaire, comme cette recette du XIXe siècle qui associe 1 kg de soufre à 2 kg de tabac, 100 g d'aloès, 2,5 kg de feuilles de noyer, et cinq ou six têtes d'ail, et qui est présentée comme la solution idéale contre le tigre du poirier(4).
Substances de base approuvées aujourd'hui
Ces préconisations peuvent donner le sentiment d'un tâtonnement désordonné, mais elles ont eu pour mérite de définir les sources possibles de régulation des insectes indésirables en « évaluant » de nombreuses plantes.
Malgré ces 2000 années de « cuisine phytosanitaire », au début de ce XXIe siècle, on attend toujours de macérations de végétaux (agrémentées d'un peu d'ail ou non !) des propriétés insecticides, anti-appétentes, répulsives, biostimulantes, fertilisantes... qui permettent aux cultures de se défendre contre les insectes ravageurs ou qui créent des barrières entre les insectes et les plantes !
On retrouve parmi les substances de base approuvées au règlement (CE) n° 540/2011 de la Commission du 25 mai 2011 portant application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, la prêle, une ortie (Urtica follium), la poudre de graines de moutarde et l'huile de tournesol. En revanche, ne sont pas approuvées l'armoise, la tanaisie, l'extrait de racine de rhubarbe officinale, les huiles essentielles de sarriette, d'origan, l'achillée millefeuille, l'extrait de paprika, la grande bardane, la consoude et la saponaire.
La diversité des plantes permet de concevoir encore de nombreuses macérations à vocation phytosanitaire pour les deux mille années à venir. Le temps des recettes est-il fini ?
(1) Nigelle : probablement la nielle des blés Agrostemma githago, dont la toxicité de la graine lorsqu'elle était mélangée au pain était connue.(2) Bdellium : gomme-résine odoriférante ressemblant à la myrrhe obtenue d'un arbre (Commiphora africana) du nord-ouest de l'Afrique et d'Arabie.(3) Spina fetida = nerprun des teinturiers.(4) Voir « Le glas du tigre », Phytoma n° 744, mai 2021, p. 51.