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DOSSIER - Un réseau majeur de défense La rhizosphère

Rhizosphère et maladies d'origine tellurique

CLAUDE ALABOUVETTE ET CHRISTELLE CORDIER, Agrene - Dijon - Phytoma - n°747 - octobre 2021 - page 12

Une meilleure connaissance des interactions en jeu dans le sol permet de couper le mal à la racine...
Colonisation du sol et d'une racine de tomate par une souche de Fusarium oxysporum exprimant le gène GFP. L'image en microscopie confocale montre des hyphes colonisant la surface racinaire et également des agrégats de sol illustrant la notion de rhizoshère.  Photo : Agrene

Colonisation du sol et d'une racine de tomate par une souche de Fusarium oxysporum exprimant le gène GFP. L'image en microscopie confocale montre des hyphes colonisant la surface racinaire et également des agrégats de sol illustrant la notion de rhizoshère. Photo : Agrene

Racine de tomate colonisée par une souche de Fusarium oxysporum pathogène (Fo lycopersici, rouge) et une souche de Fusarium oxysporum protectrice (Fo47 vert). Les conidies ont été introduites dans le sol deux jours après plantation de la jeune tomate. Microscopie confocale permettant de distinguer les deux souches de Fusarium exprimant les marqueurs DsRed2 et GFP.  Photo : Agrene

Racine de tomate colonisée par une souche de Fusarium oxysporum pathogène (Fo lycopersici, rouge) et une souche de Fusarium oxysporum protectrice (Fo47 vert). Les conidies ont été introduites dans le sol deux jours après plantation de la jeune tomate. Microscopie confocale permettant de distinguer les deux souches de Fusarium exprimant les marqueurs DsRed2 et GFP. Photo : Agrene

Le dossier de ce numéro est consacré à la rhizosphère et à la santé des cultures. Associer rhizosphère et santé des plantes impose d'évoquer les bioagresseurs qui attaquent les plantes au niveau de leur système racinaire.

Un diagnostic difficile ou destructeur

Diagnostiquer les maladies qui attaquent la plante au niveau des racines est plus difficile que de diagnostiquer les maladies aériennes, car les racines ne sont visibles qu'après avoir arraché la plante. Avant de faire appel à cette méthode destructrice, il est possible de formuler une hypothèse de diagnostic concernant le système racinaire en observant le système aérien de la plante.

De très nombreuses causes peuvent expliquer le flétrissement d'une plante, des facteurs dus à de mauvaises pratiques culturales (phytotoxicité), à des facteurs abiotiques liés au climat, aussi bien la sécheresse qu'une trop forte humidité conduisant à une asphyxie racinaire, et des facteurs biotiques dus à l'activité d'organismes délétères ou pathogènes. Au niveau du sol, il peut s'agir de virus, de nématodes, d'insectes, de bactéries ou de champignons provoquant des lésions sur le système racinaire, mais aussi d'organismes pathogènes pénétrant dans le système vasculaire de la plante sans provoquer de lésions superficielles.

Du sol infectieux au sol suppressif

Jusque dans les années 1970, le pathologiste, observant des symptômes liés aux bioagresseurs telluriques, a considéré le sol comme un réservoir d'agents pathogènes qu'il convenait d'éliminer, d'où le recours à des traitements biocides comme la désinfection des sols à la vapeur, au bromure de méthyle ou au métam-sodium. Cette approche drastique s'est révélée non seulement dangereuse pour l'environnement et souvent pour l'homme, mais aussi pour le sol lui-même puisque ces produits phytopharmaceutiques biocides détruisent indistinctement organismes nuisibles, adventices et organismes bénéfiques à la croissance des plantes.

À la fin des années 1960 a été créée à l'Inra de Dijon la « Station de recherche sur la flore pathogène dans les sols ». À l'époque, l'objectif était de détecter et si possible de quantifier la microflore pathogène, pour prédire le potentiel infectieux des sols et proposer des méthodes de lutte. Mais il est très vite apparu qu'il n'existait pas de relation directe entre la densité d'une population d'agents pathogènes et la gravité de la maladie. La mise en évidence de sols résistants (suppressifs) aux maladies a contribué à faire prendre conscience du rôle de la microflore autochtone des sols dans la régulation du potentiel infectieux. À cette époque, le microbiologiste du sol ne disposait que de techniques de mise en culture pour étudier la microflore des sols. Ce type de techniques ne permettant de révéler qu'une faible proportion de micro-organismes, il a fallu attendre l'arrivée des méthodes moléculaires et surtout leur généralisation à partir des années 1990 pour mieux appréhender les communautés microbiennes du sol et de la rhizosphère en termes d'abondance et de diversité.

Au coeur des interactions sol/racines : la rhizosphère

Le sol est, avant tout, un milieu vivant hébergeant de très nombreux organismes dont les activités et les interactions contribuent à sa fertilité. Les principales interactions entre la plante et les communautés d'organismes vivants se situent dans la rhizosphère. Cette dernière correspond au volume de sol soumis à l'influence de la racine. Cette définition peut paraître imprécise mais, selon le type de sol et l'espèce végétale considérée, le volume de sol soumis à l'influence de la racine varie considérablement. La racine modifie aussi bien les caractéristiques physico-chimiques du sol que ses caractéristiques biologiques.

Les racines absorbent eau et éléments minéraux, modifiant ainsi les caractéristiques abiotiques du sol, leur respiration contribue à créer des gradients de pression partielle en oxygène et en gaz carbonique, elles larguent des acides organiques entraînant une diminution des valeurs du pH. La plante enrichit le sol de ses exsudats racinaires composés de sucres et d'acides aminés. Selon les espèces végétales considérées, une proportion importante (10 à 20 %, voire plus) du carbone issu de la photosynthèse est excrétée dans le sol, à laquelle il faut ajouter les cellules de la coiffe qui s'exfolient à l'apex de la racine. C'est pourquoi il convient de parler de rhizodépots pour englober tous les éléments nutritifs qui, dans la rhizosphère, stimulent les activités biologiques et, en particulier, microbiennes. La rhizosphère est donc une zone d'échanges multiples entre, d'une part, les racines et les micro-organismes du sol et, d'autre part, les micro-organismes entre eux.

Une question d'équilibre

Il convient d'insister sur la diversité des micro-organismes, de leurs modes de vie et de leurs interactions. Qu'ils soient pathogènes ou bénéfiques à la croissance, il ne faut pas oublier que tous ces micro-organismes co-existent dans les sols, interagissent entre eux et avec la plante. Le même genre microbien, voire la même espèce peut, selon les circonstances, être bénéfique ou délétère.

Signalons enfin que seule la réglementation fixe un cadre à la stimulation de croissance et au biocontrôle ; néanmoins, de nombreux micro-organismes possèdent à la fois la capacité à stimuler la croissance des plantes et à limiter des attaques parasitaires.

Pour favoriser la croissance et la santé des plantes, deux approches sont possibles : introduire des populations sélectionnées ou/et favoriser les populations bénéfiques autochtones. N'oublions pas que le sol est un écosystème complexe qui contrôle les populations des organismes qui y vivent. Les processus biologiques tels que compétition nutritive, compétition spatiale, antibiose, parasitisme, prédation, mais aussi symbiose contribuent à la fertilité des sols et à leur état sanitaire ; toute intervention culturale est susceptible d'avoir des conséquences multiples, bénéfiques ou défavorables, au développement et à la santé des plantes.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Jusqu'à la fin des années 1960, le sol a été considéré comme un simple substrat pour les cultures, éventuellement porteur d'agents pathogènes et de bioagresseurs des racines. Si l'existence de communautés microbiennes bénéfiques pour les cultures est désormais reconnue, il est également démontré que l'équilibre des populations telluriques importe plus que les espèces en présence. Les racines, loin d'être passives, jouent un rôle majeur en modifiant les caractéristiques du sol, aussi bien physicochimiques que biologiques.

Rhizosphère et croissance racinaire

Les hyphes de Fusarium oxysporum se développent plus lentement à la surface de la racine de tomate que la racine se développe dans le sol, de telle sorte que la zone d'élongation apparaît non colonisée.  Photo : Agrene

Les hyphes de Fusarium oxysporum se développent plus lentement à la surface de la racine de tomate que la racine se développe dans le sol, de telle sorte que la zone d'élongation apparaît non colonisée. Photo : Agrene

Selon les plantes, qu'elles soient herbacées ou ligneuses, annuelles ou pérennes, la structure de la racine évolue avec le stade de développement de la plante. Comme il a été indiqué, les rhizodépôts qui sont constitués à la fois des exsudats racinaires, des cellules de la coiffe qui s'exfolient, des jeunes poils absorbants qui disparaissent, sont abondants à l'apex de la jeune racine en croissance. C'est donc là que se situent les principales interactions entre la plante et les micro-organismes du sol. En vieillissant, la racine se subérise, les échanges avec le sol se font plus rares.

Chez une plante ligneuse, les vieilles racines ont essentiellement un rôle de transport de la sève, sans interactions avec les micro-organismes du sol. En d'autres termes, l'effet rhizosphère se déplace au fur et à mesure que la racine se développe. Considérant les micro-organismes liés au sol, dans l'incapacité de se déplacer activement, on parle parfois, pour cet effet rhizosphère, d'une fenêtre qui s'ouvre, libérant les exsudats racinaires, stimulant les activités microbiennes, puis se referme, exacerbant ainsi les phénomènes de compétition entre les micro-organismes.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : c.ala@agrene.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Alabouvette C., Olivain C., Migheli Q., Steinberg C., 2009. Microbiological control of soil-borne phytopathogenic fungi with special emphasis on wilt-inducing Fusarium oxysporum. New Phytologist, n° 184, pp. 529-544 DOI: 10.1111/j. 1469-8137.2009.03014.x

- Raaijmakers J. M., Paulitz T. C., Steinberg C., Alabouvette C., Moenne-Loccoz Y., 2009. The rhizo-sphere: a playground and battlefield for soilborne pathogens and beneficial microorganisms. Plant And Soil, n° 321, pp. 341-361 DOI: 10.1007/s11104-008-9568-6

- Louvet J., Rouxel F., Alabouvette C., 1976. Recherches sur la résistance des sols aux maladies. I. Mise en évidence de la nature microbiologique de la résistance d'un sol au développement de la fusariose vasculaire du melon. Annales de phytopathologie, n°8, pp. 425-436.

- Alabouvette C., Steinberg C., 2006. The soil as a reservoir for antagonists to plant diseases, 123-144. In J. Eilenberg & Hokkanen H.M.T., An ecological and societal approach to biological control. Springer, Dordrecht, Pays-Bas.

- Alabouvette C., Olivain C., Steinberg C., 2005. Maîtrise de communautés microbiennes pour lutter contre les maladies d'origine tellurique, 571-588. In C. Regnault-Roger, Fabres G. & Philogène B.J.R., Enjeux phytosanitaires pour l'agriculture et l'environnement, 1013 p., Lavoisier.

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