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DOSSIER - Un réseau majeur de défense La rhizosphère

Les microbiotes associés aux plantes : un enjeu majeur

LIONEL LEBRETON ET CHRISTOPHE MOUGEL Institut de génétique, environnement et protection des plantes (Igepp), Inrae, Agrocampus Ouest, université de Rennes - Le Rheu - Phytoma - n°747 - octobre 2021 - page 14

Une meilleure compréhension de la biodiversité microbienne en interaction avec la plante, grâce notamment aux outils moléculaires, permet d'envisager de nouveaux leviers de protection des cultures.
Préparation des échantillons de sol et racines pour la conservation à ultra-basse température. Plateforme Genosol dans l'UMR d'agroécologie. Dijon, 12 septembre 2019. Photo : C. Maitre - Inrae

Préparation des échantillons de sol et racines pour la conservation à ultra-basse température. Plateforme Genosol dans l'UMR d'agroécologie. Dijon, 12 septembre 2019. Photo : C. Maitre - Inrae

Fig. 1 : Une diversité microbienne en interaction avec l'environnement

Fig. 1 : Une diversité microbienne en interaction avec l'environnement

Fig. 2 : Outils moléculaires et méthodes pour l'étude des microbiotes - composition taxonomique, fonctions exprimées et molécules secrétées

Fig. 2 : Outils moléculaires et méthodes pour l'étude des microbiotes - composition taxonomique, fonctions exprimées et molécules secrétées

Conservation des racines. Photo : R. Segura - Inrae

Conservation des racines. Photo : R. Segura - Inrae

Fig. 3 : La santé de la plante dépend des équilibres mis en place au sein du microbiote

Fig. 3 : La santé de la plante dépend des équilibres mis en place au sein du microbiote

Un changement de paradigme dans nos systèmes de production est attendu, avec le défi pour l'agriculture d'assurer la production et la sécurité alimentaire dans un souci de respect de l'environnement, tout en limitant les pertes liées aux ravageurs. Des résultats prometteurs montrent que la diversité inexploitée du microbiote du sol contribue à la fertilité des sols, et peut aussi influencer la tolérance/résistance des plantes aux stress biotiques. En se basant sur ces résultats et d'autres acquis dans d'autres domaines de la santé des plantes, l'agriculture moderne doit relever le défi de concevoir une nouvelle génération de solutions agroécologiques. Ce défi ne pourra être relevé que par la mobilisation des acteurs de la recherche dans une optique de transfert des résultats de la recherche vers le monde agricole.

Microbiote, agriculture et santé des plantes

La rhizosphère, zone d'interaction entre le sol et les racines

Tous les organismes supérieurs (les animaux, y compris l'homme, les végétaux) hébergent une très grande diversité de micro-organismes (virus, bactéries, champignons filamenteux, oomycètes et protistes) à la surface, mais aussi à l'intérieur des tissus de leurs différents organes. L'ensemble de ces micro-organismes forment des communautés d'espèces, ou microbiote, en interrelation et en interaction avec les composantes biotiques et abiotiques du milieu.

Ainsi chez les plantes, le système racinaire a été largement étudié depuis les travaux pionniers de Lorenz Hiltner en 1904 qui a défini le terme de rhizosphère. La rhizosphère correspond à la zone d'interaction entre le sol et les racines de la plante. En conséquence, les activités de la racine (respiration, prélèvement de l'eau et des éléments minéraux, libération de composés carbonés issus de la photosynthèse...) modifient les propriétés du sol et façonnent l'habitat rhizosphérique. Ce façonnage contribue à sélectionner une diversité d'espèces et de fonctions ayant des effets bénéfiques ou délétères sur leur hôte.

Parmi les processus écologiques impliqués dans l'assemblage des communautés microbiennes, la sélection d'espèces ayant la plus grande capacité à coloniser et exploiter l'habitat est considérée comme le processus majeur qui va structurer la composition des microbiotes. Identifier et hiérarchiser les facteurs impliqués dans la sélection de ces microbiotes est donc un front de sciences afin d'envisager de les mobiliser, voire de les piloter pour les espèces et les fonctions microbiennes au service de la santé des plantes cultivées (Figure 1).

Les facteurs influençant la diversité microbienne du sol

Le sol est donc le réservoir principal de diversité microbienne. Cette diversité est conditionnée par le contexte pédologique (texture et structure du sol, pH, typologie de la matière organique...) et le climat va contribuer à rendre ces écosystèmes dynamiques en termes de succession de populations microbiennes. Les interventions agricoles vont également influencer cette diversité. Le travail du sol ou l'absence de travail du sol, la fertilisation et les amendements organiques, ou encore la diversification des cultures dans le temps (rotation plus ou moins complexe) et l'espace (mélanges variétaux, associations, couverts végétaux) sont autant de facteurs qui conditionnent la diversité des microbiotes et leurs dynamiques. Le choix variétal a aussi un rôle central à jouer. Les variétés sont choisies en fonction de leur potentiel de rendement et associent des traits d'adaptation en lien en particulier avec la compétition pour les adventices ou la résistance aux pathogènes.

Équilibres entre pathobiote et microbiote bénéfique

Le pathobiote désigne l'ensemble de la diversité des pathogènes démontrés ou supposés, en interaction avec la plante. Il correspond donc à une sous-fraction du microbiote ayant des interactions potentiellement négatives avec la plante. La plante sélectionne une fraction de la diversité du microbiote du sol. Ce microbiote entre en interaction plus ou moins intime avec le végétal, en colonisant la surface ou l'intérieur de ses organes, et constitue le microbiote de la plante. Les équilibres entre le microbiote bénéfique (par exemple le microbiote promouvant la croissance des plantes comme les fixateurs d'azote, les champignons mycorhiziens ou le microbiote antagoniste d'agents pathogènes) et le pathobiote vont in fine conditionner la performance de la plante en jouant sur sa croissance, son développement et sa santé. La compréhension des facteurs écologiques jouant sur les équilibres entre microbiote bénéfique et pathobiote constituent donc un enjeu majeur pour trouver de nouveaux leviers optimisant la performance des plantes dans des contextes pédoclimatiques contrastés, et qui plus est dans le contexte de changements globaux.

Vers la sélection d'un holobionte performant ?

La communauté scientifique s'interroge sur les déterminismes génétiques des interactions entre la plante et le microbiote, et donc de leur possible sélection. La mise en évidence de ces déterminismes pourrait permettre d'identifier des cibles d'intérêt pour les sélectionneurs. Cette question est à discuter au regard du concept récent d'holobionte, défini comme la somme d'un macro-organisme - par exemple la plante - et des microbiotes en interactions avec celle-ci. Le génome de ce super-organisme correspond à la combinaison des génomes de la plante et des microbiotes associés. Les expressions croisées et coordonnées de ces génomes apportent des fonctions étendues au-delà des seules fonctions de la plante. Ces fonctions peuvent être les bases d'un formidable potentiel adaptatif encore inexploré du végétal face aux nombreux stress auxquels il est confronté.

La meilleure connaissance des processus permettant d'aboutir à un holobionte fonctionnel et performant offrira de nouvelles stratégies de sélection dans le but de proposer non pas une plante mais un holobionte au potentiel adaptatif accru dans un environnement fluctuant.

Le pilotage des propriétés du microbiote des sols et de ceux associés aux plantes apparaît comme une piste prometteuse aussi bien pour améliorer les fertilité des sols que la santé et la performance des plantes. Pour décrire plus précisément ces microbiotes et leurs interactions avec la plante, de nombreux outils moléculaires ont été mis au point.

Les microbiotes, une diversité taxonomique

De nouveaux outils moléculaires

L'existence d'outils moléculaires et l'apparition récente des techniques de séquençage de nouvelle génération (NGS) permettent aujourd'hui d'accéder à la composition taxonomique des microbiotes et d'identifier des fonctions bénéfiques, portées par ces microbiotes, et essentielles à la santé des plantes (Figure 2 page suivante).

Avant de déterminer la composition des microbiotes, une étape préalable importante est de connaître la taille des communautés de micro-organismes associées aux plantes. Des outils de PCR quantitative (qPCR) sont maintenant classiquement utilisés pour déterminer le nombre de copies de cellules bactériennes et fongiques, toutes espèces confondues, présentes au sein d'un échantillon. Ces outils sont basés sur l'amplification de portions universelles des gènes 16S rRNA pour les bactéries et 18S rRNA pour les champignons.

Composition des microbiotes par métabarcoding

La composition taxonomique des communautés microbiennes présentes dans un écosystème (sol, plantes, animaux) est maintenant fréquemment estimée par séquençage haut débit de fragments d'ADN, appelé métabarcoding (Figure 2). Cette méthode a comme avantage d'être relativement rapide, peu coûteuse et assez résolutive. Le principe de cette méthode consiste à extraire l'ADN d'un échantillon environnemental, à amplifier par PCR un fragment-cible à l'aide d'un couple d'amorces prédéfini, puis à séquencer les produits PCR obtenus et, enfin, à identifier les taxons présents en interrogeant des bases de données de référence. Pour être discriminante, le marqueur moléculaire doit être ubiquiste au sein d'un règne et polymorphe entre espèces. Les cibles sont le plus souvent des portions des gènes codant l'ARNr (16S pour les bactéries et 18S pour les champignons) et les régions ITS (Internal Transcript Spacer). D'autres cibles polymorphes et en copie unique dans les génomes ont aussi été définies pour améliorer la qualité et la résolution de la méthode, rpoB et gyrB pour les Eubacteria, par exemple. Cependant, la petite taille des fragments d'ADN utilisés comme marqueurs (entre 400 et 500 paires de bases) ne permet souvent pas de descendre à l'individu, mais à un petit groupe de séquences réunies en OTU (Operational Taxonomic Units) ou ASV (Amplicon Sequence Variants). On descend aussi rarement au rang taxonomique de l'espèce de manière fiable, mais plutôt à celui du genre. Une autre limite importante de ce type de méthode est que le métabarcoding ne permet pas d'accéder à une quantification exacte de chaque variant, mais à une abondance relative, à cause des biais d'extraction d'ADN et de l'étape d'amplification par PCR.

L'analyse de ces données de séquençage par métabarcoding permet de déterminer les propriétés de diversité <03B1> de chaque communauté par le calcul de la richesse spécifique en taxons (nombre d'OTU/ASV), et le calcul d'indices de diversité et d'équitabilité (indices de Shannon, InvSimpson, Fisher, etc.). La diversité <03B2_8> est le second niveau de calcul de la diversité. Elle permet de comparer les échantillons entre eux en fonction de leur composition en taxons. La dissimilarité entre échantillons est calculée à l'aide d'indices tenant compte de la présence/absence des taxons (indice de Jaccard), de leur abondance (indice de dissimilarité de Bray-Curtis) ou des relations phylogénétiques entre eux (indice de distance UniFrac). Pour représenter la diversité <03B2_9>, une analyse en coordonnées principales (PCoA) est réalisée à partir de la matrice de distance entre échantillons.

Composition des microbiotes par métagénomique shotgun

La composition taxonomique des microbiotes peut aussi être décrite par métagénomique shotgun (Figure 2). Cette méthode a comme principe de fragmenter et séquencer l'ADN extrait d'échantillons environnementaux. Les séquences obtenues sont ensuite assemblées et alignées sur des génomes de référence par des approches bio-informatiques, pour identifier les espèces formant le microbiote. Les séquences consensus absentes des bases de données peuvent aussi permettre d'identifier des espèces nouvelles, alors annotées et incorporées dans les bases de données. Cette méthode plus coûteuse et complexe à mettre en oeuvre est en revanche plus précise pour descendre au rang taxonomique de l'espèce.

Diversité fonctionnelle des microbiotes

Outils bio-informatiques et métagénomique shotgun

Les outils d'étude des fonctions des microbiotes sont encore plus récents, ils sont pour certains encore en cours de développement. Pour caractériser les grandes fonctions exprimées au sein des microbiotes, des assignations fonctionnelles peuvent être réalisées à l'aide d'outils bio-informatiques (PICRUSTs, Tax4fun, etc.) à partir des taxons identifiés par métabarcoding dans les échantillons. Le séquençage massif en métagénomique shotgun permet aussi d'accéder de manière beaucoup plus précise aux fonctions portées par un microbiote. À partir des séquences obtenues, des catalogues de gènes sont constitués par prédiction, pour identifier les fonctions exprimées.

Approches de métatranscriptomique

Mais les approches de métatranscriptomique (Figure 2) semblent aussi très prometteuses ; elles nécessitent cependant encore du développement. En se concentrant sur les gènes exprimés par l'ensemble de la communauté microbienne, la métatranscriptomique permet d'accéder au profil fonctionnel actif d'une communauté microbienne. Le métatranscriptome fournit un instantané de l'expression génique dans un échantillon donné, à un moment donné et dans des conditions spécifiques, en capturant l'ARNm total. Cependant, des limites empêchent encore l'utilisation complète de cette approche, particulièrement dans des échantillons complexes tels que des tissus de la plante où la fraction des ARNm du microbiote est sous-représentée par rapport à celle de la plante et diluée entre les différentes espèces constituant le microbiote. Le séquençage avec une profondeur suffisante de l'ARNm microbien reste donc difficile à réaliser.

Méthodes de métabolomique

Les méthodes de métabolomique (Figure 2) sont complémentaires des méthodes utilisées pour décrire la composition taxonomique et les fonctions des microbiotes. Elles ont pour principe d'identifier et/ou de quantifier les petites molécules libérées dans l'environnement par les micro-organismes (sucres, acides aminés, peptides, etc.). Ces méthodes font intervenir des techniques de chromatographie en phases liquide (LC) et gazeuse (GC), et des méthodes de détection par spectrométrie de masse et résonnance magnétique nucléaire (RMN). Les variations dans la production de métabolites d'une condition à l'autre permettent d'identifier des voies métaboliques impliquées dans des processus écologiques d'intérêt. Un défi important de cette approche reste cependant à déterminer si un métabolite a été généré par l'hôte ou par les micro-organismes composant le microbiote. En outre, si, d'un ensemble de métabolites, on souhaite remonter à des voies métaboliques, puis à un ensemble de gènes activés et d'organismes en interaction, ces données de métabolomique devront être combinées avec les autres données « omiques » décrivant les métagénomes et métatranscriptomes du microbiote. Cependant, l'intégration de toutes ces données reste un défi à relever pour les années à venir.

Interactions micro-organismes et immunité des plantes

Une myriade d'interactions

Le séquençage de nouvelle génération a déjà permis d'explorer la composition des microbiotes des plantes et d'identifier certaines fonctions impliquées dans leur fonctionnement. Nous sommes cependant encore loin d'aboutir à une compréhension globale du fonctionnement des réseaux microbiens impliqués dans la santé des holobiontes. En effet, les micro-organismes procaryotes et eucaryotes ont développé une myriade de mécanismes d'interaction qui façonne les assemblages microbiens dans tous les compartiments de la plante. Certaines interactions sont mutualistes, c'est-à-dire à bénéfice réciproque, d'autres antagonistes, favorables à une espèce au détriment d'une autre, ou de nature compétitive, défavorable aux deux protagonistes (Figure 3).

Coopération

Parmi les mécanismes de coopération utilisés par les membres du microbiote pour persister au sein de l'holobionte, l'échange de métabolites permet aux micro-organismes d'étendre leur niche écologique, de persister dans des environnements pauvres en nutriments et même de mobiliser des ressources individuellement inaccessibles. Cette coopération entre micro-organismes peut aussi se traduire par la formation de biofilms, assemblages de micro-organismes dans une matrice de polymères extracellulaires. Ces biofilms permettent en particulier une protection contre les molécules antimicrobiennes. Certaines espèces bactériennes surveillent leur propre densité par la production de molécules de signalisation. Ce mécanisme de détection par des micro-organismes d'autres micro-organismes est appelé quorum sensing. Enfin, des processus de coopération sont nécessaires à certains micro-organismes pour se déplacer. Par exemple, certaines bactéries peuvent utiliser les hyphes des eucaryotes filamenteux comme vecteur, ce qui leur donne un avantage sélectif pour se propager dans leur environnement.

Compétition

La colonisation de niches écologiques par les micro-organismes et la stabilité des communautés microbiennes colonisatrices dépend aussi de relations de compétition entre certains micro-organismes. L'un des mécanismes de compétition les plus connus est la compétition pour la ressource. Par exemple, certaines bactéries ont développé des stratégies sophistiquées pour séquestrer le fer par la sécrétion de sidérophores, altérant ainsi la croissance des microbes adverses dans leur voisinage immédiat. La santé des plantes dépend d'ailleurs en partie de ces relations de compétition pour la ressource, puisque des micro-organismes entrent en compétition pour la ressource avec certains agents pathogènes limitant ainsi leur invasion. Les agents de biocontrôle présentent d'ailleurs souvent ce type d'aptitude, comme dans le cas des sols suppressifs aux fusarioses vasculaires qui combinent à la fois de la compétition pour le carbone et pour le fer.

Antagonisme

Les bactéries associées aux plantes peuvent aussi s'engager dans des interactions antagonistes directes intervenant après contact entre micro-organismes. Certaines bactéries sont munies de systèmes de sécrétion leur permettant d'injecter des toxines dans les cellules bactériennes adverses. D'autres systèmes de sécrétion permettent à certains procaryotes de coloniser une large gamme d'hôtes eucaryotes (plantes, animaux, etc.). Les bactéries produisent également différents métabolites, notamment des antibiotiques et des enzymes qui présentent une activité à large spectre contre des champignons phytopathogènes. Les eucaryotes filamenteux sont, quant à eux, capables de produire une multitude de métabolites secondaires de faible poids moléculaire qui ont des activités antifongiques contre d'autres micro-organismes adverses. Ce sont ces mécanismes qui sont impliqués dans le caractère suppressif des sols au piétin-échaudage du blé, par exemple en complément de la production de composés antibiotiques, certaines bactéries des genres Pseudomonas et Streptomyces par exemple présentent l'aptitude de produire des composés organiques volatiles (COV) qui inhibent en particulier la croissance de nombreux champignons et oomycètes.

Enfin, les relations de prédation sont fréquentes en particulier à l'interface racine/sol. Les réseaux trophiques sont d'ailleurs probablement des règles organisationnelles importantes pour l'établissement du microbiote. Cette aptitude à la prédation de certaines espèces de champignon (Trichoderma) et d'oomycète (Pythium) est aussi intéressante à explorer dans le cadre de la recherche d'agents de biocontrôle contre les parasites des plantes.

Modulation de l'immunité de la plante

Les interactions au sein du microbiote, et entre microbiote bénéfique et pathobiote, permettent de réduire les populations de pathogènes et en conséquence le développement de certaines maladies. Un autre effet de certaines populations constituant le microbiote est de jouer sur l'immunité de la plante. La modulation de l'immunité constitue donc un front de sciences pour imaginer des stratégies influençant les niveaux de défense des plantes. Des métabolites produits par les micro-organismes (constituants pariétaux, molécules excrétées) sont reconnus par la plante et induisent une réponse en mobilisant les voies de défense exprimées en réponse aux bioagresseurs. La connaissance de ces métabolites est un enjeu fort pour imaginer des inducteurs de défense des plantes utilisables en agriculture.

Étudier la somme des interactions

Reconstitution de communautés synthétiques en laboratoire

Si certains mécanismes d'interaction entre individus (compétition, antagonisme, coopération) au sein des microbiotes commencent à être décrits, en revanche peu d'informations existent sur les propriétés des réseaux microbiens résultant de la somme des interactions entre les individus les composant. Des approches de mathématiques (statistiques) et d'intelligence artificielle se développent pour décrire et anticiper ces interactions potentiellement positives pour la plante. En complément de ces approches, l'intégration des différentes données métagénomiques, métatranscriptomiques, métabolomiques en lien avec les données de phénotypage est un défi à relever entre les disciplines de la biologie et des mathématiques, comme la biologie des systèmes. Cependant, ces méthodes restent encore très descriptives et corrélatives, et le besoin de validation fonctionnelle reste un défi pour bien étayer les travaux sur les microbiotes. Ainsi, des approches expérimentales au laboratoire de reconstitution de communautés synthétiques récemment mises au point devraient permettre d'avancer significativement dans la compréhension des règles d'assemblage, de stabilité, et des processus de recrutement et de modulation des défenses de la plante.

Un projet d'envergure sur le microbiote associé au colza et au blé

Le projet interdisciplinaire Deep Impact, financé dans le cadre du programme prioritaire de recherche Cultiver et protéger autrement, vise entre autres à identifier, caractériser et valider les communautés microbiennes, les communautés végétales et les facteurs abiotiques (pratiques agricoles) modulant la résistance du colza et du blé à plusieurs parasites. Pour cela, une approche in situ permettra de caractériser 100 parcelles agricoles (50 pour chaque espèce cultivée) concernant l'environnement (variables climatiques et édaphiques) et les facteurs biotiques (microbiote, virome, communautés de mauvaises herbes, attaques de ravageurs et prévalence du pathobiote).

Les informations tirées de cette caractérisation générale seront intégrées dans des modèles statistiques corrélatifs afin de décrire la part relative de la variance expliquée par les caractéristiques de l'habitat et des facteurs biotiques, dont les caractéristiques du microbiote, et corrélée à une réduction des attaques de ravageurs. Ceci permettra d'identifier une combinaison d'espèces microbiennes et de sols corrélés à une meilleure résistance des cultures aux bioagresseurs. Ces consortia microbiens seront isolés par des techniques de culturomique et caractérisés au niveau génétique et physiologique. Des consortia synthétiques associant des propriétés de compétition et antagonismes seront reconstruits pour tester leur efficacité sur un large éventail de ravageurs attaquant les deux cultures.

La question de l'optimisation des interactions bénéfiques associées au microbiotes des plantes restera un enjeu avec deux pistes : soit le pilotage in situ des microbiotes présents par une combinaison de leviers agronomiques, qui inclura un holobionte de la plante optimisant le recrutement d'un microbiote fonctionnel bénéfique à la performance de la plante ; soit par l'introduction de consortium microbien, via par exemple la graine, qui permettra d'apporter des fonctions microbiennes absentes ou sous-représentées dans le microbiote indigène. Finalement, Deep Impact, comme de nombreux projets de recherche actuels, contribuera au développement de pratiques agricoles durables basées en partie sur l'exploitation du microbiote de la plante pour réduire l'utilisation d'intrants dont les pesticides en milieu agricole.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Nos systèmes de productions agricoles se caractérisent encore largement par des pratiques associant le recours à une mécanisation importante, une grande spécialisation des productions sur les territoires, une utilisation massive d'intrants, le recours à l'irrigation combinée à l'usage de variétés à haut potentiel de rendement mais peu adapté au leur environnement. Il est maintenant admis que certaines de ces pratiques peuvent avoir des effets délétères sur la qualité de l'environnement, la biodiversité et la santé humaine.

UN NOUVEAU LEVIER - Les sols ne sont pas des supports inertes de production mais un écosystème hébergeant une forte diversité d'organismes en interactions. Ainsi, ils jouent un rôle essentiel dans la santé des cultures, notamment du fait de la diversité microbienne qu'ils hébergent. Ils peuvent donc contribuer à diminuer l'utilisation de produits phytopharmaceutiques par l'adoption de pratiques optimisant leur diversité et leurs activités.

MICROBIOTE & PLANTE - Les micro-organismes du sol - le microbiote -, en particulier ceux situés au niveau de la rhizosphère, interagissent entre eux dans un ensemble complexe de relations mutualistes, antagonistes ou encore commensales, ainsi qu'avec la plante en modifiant sa physiologie et son immunité.

Une meilleure compréhension des mécanismes d'interaction en jeu entre plante et microbiote, qui définissent « l'holobionte plante », est nécessaire pour développer de nouveaux leviers pour la santé des plantes.

Les approches d'écologie moléculaires (métabarcoding, métatranscriptomique...) et les approches mathématiques vont permettre d'accélérer les recherches.

MOTS-CLÉS - Microbiote, holobionte, rhizosphère, écologie moléculaire.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : lionel.lebreton@inrae.fr

christophe.mougel@inrae.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).

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