La lutte contre le chardon des champs est un casse-tête pour nombre d'agriculteurs. En effet, cette plante vivace a un enracinement profond, forme de nombreux rhizomes, et se multiplie aisément tant par reproduction sexuée qu'asexuée.
À la fin du XVIIIe siècle, dans son cours d'agriculture, l'Abbé Rozier détaille les nuisances du chardon aux cultivateurs de trois manières : 1° « en étouffant les céréales ou autres plantes ; 2° en piquant les moissonneurs lors de la récolte ; 3° en introduisant son grain dans le blé. » L'abbé agronome recommande d'en débarrasser un champ soit en l'arrachant à la main, ou avec une tenaille de bois faite exprès, soit en le coupant entre deux terres avec un couteau ou une espèce de houlette tranchante qu'on appelle « échardonnet ». Le point important est d'empêcher cette plante de grainer, ajoute-t-il !
Mais comme on ne coupe pas les pieds qui se trouvent dans les champs voisins, sur les berges des fossés etc., les vents apportent chaque année de nouvelles graines, au grand désespoir des propriétaires qui ont fait des dépenses pour débarrasser leurs terres de ce chardon.
Une lutte collective nécessaire
De ce constat, va naître l'idée que la technique ne suffit pas, et que l'organisation d'une lutte collective et obligatoire est nécessaire. Cette disposition va perdurer jusqu'à nos jours.
Le chardon était listé dans l'arrêté du ministère de l'Agriculture et de la Pêche du 31 juillet 2000 modifié, établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire, désormais abrogé pour la France métropolitaine. Si la lutte contre cette adventice n'est plus obligatoire sur tout le territoire de façon permanente pour des raisons phytosanitaires, la limitation du risque de dissémination peut s'avérer nécessaire. Pour cela, il existe des possibilités d'actions limitées, soit à certaines périodes, soit dans des périmètres déterminés.
Cent ans après les écrits de l'abbé Rozier, ce sont les mêmes méthodes qui sont pratiquées dans les campagnes, le plus souvent à la charge des femmes et des enfants « qui se servent à cet effet, ou de couteaux allongés pour couper les herbes entre deux terres, ou de tenailles en bois (moettes) pour les arracher ». Les résultats restent malheureusement souvent insuffisants : « Il va sans dire qu'on ne réussit pas à les détruire toutes, c'est beaucoup déjà que de les tourmenter ou de les empêcher de fleurir. »
En 1920, avec l'arrivée du désherbage chimique(1), Rémi Dumont, dans son livre Les Céréales culture productive, précise les conditions de destruction des chardons : « On les coupe assez profondément avec l'échardonnoir et si l'on fait verser dans le trou de la coupe 8 à 10 grammes de kaïnite, de sel dénaturé ou de crud d'ammoniaque par un enfant, on court la chance de la détruire radicalement. » En 1921, Jean Pierre, l'agriculteur dans son ouvrage Propos de paysan, recommande l'acide sulfurique : « Si vous avez des chardons, il faut traiter en mars. L'épandage doit se faire par temps sec car il faut que cette rosée puisse sécher. »
Depuis, des progrès ont été accomplis pour faire appel à des substances herbicides actives contre les chardons. Cependant, la lutte chimique est loin d'être la seule efficace contre ces plantes envahissantes.
Les avantages de la « culture alterne »
« Mais n'est-il donc pas moyen de débarrasser complètement un champ des chardons qui s'y trouvent ? », s'interrogeait l'abbé Rozier. Cette question reste d'actualité. Faute d'herbicide à son époque, voici les conseils prodigués : « Pour détruire radicalement le chardon dont il est question, il faut le mettre en prairie au moins pendant trois ans en ayant soin de le sarcler la première année avec le plus d'exactitude possible. Et j'en appelle aux cultivateurs qui sèment des luzernes ou des sainfoins, pour la vérification de ce fait. J'invite aussi ceux qui ont visité les belles cultures par assolement de la Flandre et de l'Angleterre à dire si les champs de blé de ces pays montrent des chardons aussi fréquemment que les nôtres ! »
Deux siècles plus tard, les recommandations restent les mêmes. Les méthodes de lutte font toujours appel aux techniques culturales (labour, déchaumage dans l'interculture...) et la rotation des cultures avec mise en place de plantes fortement concurrentes vis-à-vis de la lumière (association trèfle/graminée), des éléments nutritifs ou de l'eau (luzerne notamment), auxquelles s'ajoute l'utilisation d'herbicides adaptés.
Et l'abbé Rozier, dont l'influence agronomique s'est étendue tout au long du XIXe siècle, de conclure : « Ceci concourt à mettre en évidence les nombreux avantages de la culture alterne, la plus conforme à la nature et la plus productive de toutes. » Il n'en reste pas moins que les chardons demeurent une préoccupation majeure dans les systèmes céréaliers et que ceux qui s'y frottent s'y piquent toujours.
(1) Voir « Les chevaliers du désherbage », Phytoma n° 742, mars 2021, p. 52.