1. Fleur et capsules de coquelicot (Papaver rhoeas) dans du blé. Photos : 1. C. Délye - Inrae 2. S. Pierron - Corteva Agriscience
4. Capsules mûres de coquelicot (Papaver rhoeas). Photos : 3. C. Délye - Inrae 4. W. Obermayer - Université de Graz - Autriche
Fig. 2 : Localisation des 364 parcelles sur lesquelles des coquelicots ont été analysés Chaque point représente une parcelle (c'est-à-dire un prélèvement sur 50 plantes). La couleur du point indique la fréquence d'allèles résistants de l'ALS mesurée sur la parcelle.
Fig. 1 : Codons de l'ALS dans lesquels des mutations causant une résistance peuvent se produire En rouge, codons pouvant contenir des mutations dont le rôle dans la résistance a été prouvé chez des adventices. En bleu, codons pouvant contenir des mutations dont le rôle dans la résistance a été prouvé en laboratoire, mais reste à démontrer chez des adventices. Les codons portant des mutations identifiées chez les coquelicots dans cette étude sont colorés en rouge (mutations majoritaires) et jaune (mutations mineures).
Fig. 3 : Diversité des fréquences d'allèles résistants et des allèles résistants détectés à l'échelle d'un département Les parcelles où des allèles résistants ont été détectés sont représentées par des camemberts. Les parts colorées des camemberts indiquent les allèles identifiés, et leurs fréquences respectives dans la parcelle. Les parcelles où aucun allèle résistant n'a été détecté sont représentées par des points verts.
La capacité à détecter massivement des résistances est un élément indispensable d'une gestion rationnelle de l'emploi des substances actives composant les produits phytopharmaceutiques. L'utilisation des techniques de séquençage « à haut débit » rend désormais possible la détection simultanée de résistances dans un très grand nombre de parcelles. Ceci permet l'obtention d'un diagnostic de résistances, dans de nombreuses situations, et offre, en outre, la possibilité d'établir une cartographie des résistances et de l'actualiser régulièrement. Illustration avec la recherche de résistances aux herbicides inhibiteurs de l'acétolactate-synthase (ALS, groupe HRAC 2 ou groupe R4P F2) chez le coquelicot.
Les tests « ADN » de résistance passent à l'échelle industrielle
Passer des tests PCR « classiques » à l'emploi du séquençage à haut débit, c'est propulser le diagnostic « ADN » des résistances de l'artisanat vers l'industrie. Les techniques de séquençage « à haut débit » (dites aussi « massivement parallèles » ou « de nouvelle génération ») permettent en effet d'augmenter énormément les capacités d'analyse des tests « ADN ». Dans ces nouveaux tests, les analyses ne se font plus individu par individu, mais population par population. En outre, une réaction de séquençage à haut débit permet de détecter plusieurs mutations de résistance d'un seul coup dans un grand nombre de populations, et non une seule mutation dans une seule plante comme dans les tests PCR « classiques ». Résultat : les capacités d'analyse des tests par séquençage à haut débit sont au minimum de 500 à 1 000 fois plus élevées que celles des tests PCR « classiques ».
Pour les lecteurs qui souhaitent en savoir plus, le principe des tests à haut débit et sa validation ont été décrits dans un précédent article (Loubet et al., 2020).
Inhibiteurs de l'ALS : le coquelicot voit rouge...
Les coquelicots, dont il existe trois espèces principales en France (Papaver rhoeas, Papaver dubium, Papaver argemone) sont des plantes populaires auprès du grand public, et qui possèdent une valeur patrimoniale et esthétique (photo 1). Ils n'en sont pas moins également des adventices posant d'importants problèmes dans les cultures d'hiver, notamment les céréales (photos 2 et 3), et capables de produire un très grand nombre de semences très longévives (photo 4) (Arvalis, 2011). L'application d'herbicides de synthèse est la technique la plus utilisée en agriculture conventionnelle pour éviter les proliférations de coquelicots. Parmi les herbicides efficaces contre les coquelicots, ce sont les inhibiteurs de l'ALS qui sont les plus employés. Mais leur utilisation intensive et/ou mal raisonnée a causé l'évolution de résistances. Les premiers cas de coquelicots résistants observés remontent à 2007 (Délye et al., 2011a). Depuis cette date, quelques analyses ponctuelles ont été pratiquées dans le cadre du dispositif de surveillance des effets néfastes des produits phytopharmaceutiques (« phytopharmacovigilance », instituée par la loi du 13 octobre 2014 sur l'avenir de l'agriculture). Cependant, aucune évaluation à grande échelle de la situation des résistances aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots n'avait encore été réalisée.
Recherche de résistance aux inhibiteurs de l'ALS
Un échantillonnage sans précédent !
Des prélèvements ont été effectués en 2019, 2020 et 2021 par Corteva sur 364 parcelles agricoles à travers la France. Ces parcelles ont été choisies aléatoirement sur la base de la présence visible de coquelicots, que des traitements aient été réalisés ou non avant prélèvement. Chaque prélèvement consistait en 50 feuilles, chacune prélevée sur une plante différente. C'est donc un total de 18 200 plantes qui ont été échantillonnées. Une extraction d'ADN a été effectuée par lot de 50 feuilles. La séquence d'un total de quinze positions (« codons ») d'intérêt de l'ALS (Figure 1) a ensuite été obtenue à partir de chaque extraction par PCR suivie de séquençage à haut débit (technique Illumina). Huit des codons ciblés peuvent porter des mutations connues pour conférer une résistance aux herbicides chez des adventices (Tranel et al., 2021). Sur les sept autres, des mutations conférant une résistance aux inhibiteurs de l'ALS sur des plantes de laboratoire, ou chez d'autres organismes, ont été décrites dans la littérature mais n'ont pas été signalées à ce jour chez des adventices (Duggleby et al., 2008). Par la suite, on appellera « allèle mutant » ou « allèle résistant » une séquence d'ALS portant une mutation à l'un des quinze codons d'intérêt.
Une fiabilité à 1 %
Avant d'analyser les 364 parcelles, le test a été validé à Inrae par l'analyse d'échantillons de référence contenant des fréquences préalablement connues de plantes portant des allèles mutants de l'ALS bien identifiés, selon une procédure précédemment décrite (Loubet et al., 2020). Aucun faux positif n'a été identifié. La corrélation entre les fréquences attendues et celles observées pour chaque allèle mutant a permis de valider le test. La détection d'allèles mutants de l'ALS est fiable pour les différentes espèces de coquelicots jusqu'à une fréquence aussi faible que 1 % d'allèles mutants dans un échantillon. Les coquelicots étant des espèces diploïdes, le génome de chaque plante contient deux copies (deux allèles) du gène de l'ALS. De ce fait, le seuil de détection de 1 % d'allèles mutants correspond à la détection d'une plante de coquelicot hétérozygote mutante (c'est-à-dire portant un allèle mutant et un allèle non-mutant de l'ALS) dans un lot de 50 individus. Les analyses ont été effectuées par Inrae (192 parcelles de 2019) et Anova Plus (67 parcelles de 2020, 105 de 2021).
La résistance est là, et bien là !
En préambule, il faut noter que plusieurs mutations différentes, chacune conférant une résistance à des herbicides, peuvent se produire à l'un des quinze codons d'intérêt. Des allèles de l'ALS portant une mutation dont le rôle dans la résistance aux inhibiteurs de l'ALS est établi ont été détectés dans 141 des 364 parcelles analysées (38,7 % des parcelles, Figure 2). Le quart nord-ouest de la France est particulièrement touché, mais aucune région n'est épargnée. Au total, douze allèles résistants différents ont été identifiés. Neuf allèles sur les douze portent une mutation au codon 197 de l'ALS. Les trois autres allèles portent une mutation au codon 574, 122 ou 205, respectivement. Les neuf allèles mutants au codon 197 sont très largement majoritaires : au moins un allèle mutant au codon 197 est présent dans 135 des 141 populations « positives ». Le second type d'allèle le plus fréquent, qui porte une mutation au codon 574, n'a été détecté que dans sept populations (dont trois contiennent aussi un ou des allèles mutants au codon 197). Les allèles portant une mutation au codon 122 ou 205 n'ont été détectés que dans une population chacun.
Dans les 135 parcelles positives, les allèles mutants résistants sont présents en fréquences variant de 1 % à 99,8 %, avec une fréquence moyenne élevée (56,2 %). La fréquence des allèles résistants est supérieure à 50 % dans 86 des 135 parcelles positives (63,7 %), et comprise entre 15 et 50 % dans 39 parcelles (28,9 %). Seules seize des parcelles positives (11,8 %) contiennent une faible fréquence d'allèles résistants (entre 1 et 15 %). Ces chiffres indiquent que la résistance, lorsqu'elle est présente, est généralement bien installée.
De nouveaux allèles détectés grâce au haut débit
Dans une précédente étude qui ne concernait que 29 parcelles (Délye et al., 2011a), seuls des allèles résistants portant une mutation au codon 197 avaient été identifiés chez les coquelicots. Ce type d'allèles donne une résistance élevée aux herbicides de la famille des sulfonylurées (metsulfuron, tritosulfuron, iodosulfuron + mésosulfuron, etc.), et une résistance variable aux herbicides des familles des imidazolinones (imazamox) ou des triazolopyrimidines (florasulame) (Délye et al., 2011b ; Tranel et al., 2021). Notre travail confirme le rôle prééminent de ces allèles dans la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez le coquelicot. Toutefois, nos résultats vont plus loin : l'analyse de 18 200 plantes a permis de mieux échantillonner la diversité génétique des coquelicots et de mettre en évidence des allèles résistants « minoritaires ». Parmi ceux-ci, notons la présence d'allèles portant une mutation au codon 574. Ce type d'allèle confère une forte résistance à toutes les familles d'inhibiteurs de l'ALS (Tranel et al., 2021). Quant aux allèles portant une mutation aux codons 122 ou 205, ils conféreraient une résistance élevée aux imidazolinones, et une résistance variable aux sulfonylurées et aux triazolopyrimidines (Tranel et al., 2021), mais ceci reste à confirmer chez les coquelicots par des tests biologiques.
Une mosaïque d'allèles résistants
Les parcelles positives identifiées dans ce travail contenaient un ou plusieurs allèles résistants différents (Figure 3). Jusqu'à cinq allèles portant chacun une mutation différente au codon 197 ont été identifiés dans une même parcelle. Des parcelles positives contenant de très fortes fréquences d'allèles résistants peuvent voisiner avec des parcelles où aucun allèle résistant n'a été détecté (Figure 3). De même, des parcelles positives proches peuvent contenir des allèles mutants différents. La distribution des allèles résistants dans et entre les parcelles ne semble donc pas posséder de structuration géographique à grande échelle. Cette distribution en mosaïque des allèles résistants indique que la sélection locale de résistance (par les itinéraires culturaux appliqués sur chaque parcelle) joue un rôle beaucoup plus important que la propagation des semences (par les machines) ou le pollen (par les insectes) dans l'évolution de la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots. Autrement dit, ce sont les (mauvaises) pratiques de désherbage qui sélectionnent la résistance. Celle-ci peut ensuite se propager naturellement aux parcelles environnantes, ou être transportée via les semences des coquelicots résistants par des engins agricoles.
Désherbage chimique : les clignotants virent au rouge...
Notre étude, qui a analysé un échantillonnage aléatoire de parcelles, et non uniquement des parcelles où une résistance était suspectée, montre clairement l'ampleur et l'étendue de la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots. Près de quatre parcelles sur dix où les coquelicots sont présents sont concernées. En ce qui concerne le désherbage chimique des coquelicots, les deux modes d'action herbicides les plus efficaces contre cette adventice en post-levée sont les inhibiteurs de l'ALS et les herbicides auxiniques. La situation de la résistance des coquelicots aux inhibiteurs de l'ALS vient d'être décrite dans cet article. La résistance des coquelicots aux auxiniques (2,4-D, MCPA, aminopyralide...) est également une réalité en France (Délye et al., 2016) et est en expansion (R4P, 2021). Ceci indique clairement qu'il est périlleux d'envisager un contrôle du coquelicot qui ne soit basé que sur la chimie.
Sortir du « tout chimique »
Les préconisations visant à réduire le risque de sélection de résistance ou à gérer une résistance avérée chez le coquelicot sont simples :
- éviter d'utiliser des herbicides ayant le ou les modes d'action concernés par les résistances dans les cultures où du coquelicot résistant est présent, car cela ne fera qu'aggraver le problème ;
- utiliser une combinaison de pratiques agronomiques pour réduire l'infestation. Ceci comprend l'inclusion de cultures de printemps ou d'été dans la rotation et le désherbage mécanique (voir Arvalis, 2011).
Herse-étrille, houe rotative, bineuse... utilisées dans les bonnes conditions sont efficaces sur jeunes plantes (jusqu'à 4 vraies feuilles). Le faux-semis peut également contribuer à réduire le stock semencier. Attention : dans le cas du coquelicot, le labour est déconseillé à cause de la longévité des semences. Il est préférable de laisser les graines en surface pour faciliter leur germination. Ces pratiques sont sans aucun doute plus contraignantes qu'un simple passage de pulvérisateur, mais une efficacité durable du désherbage ne peut être atteinte qu'au prix de la mise en oeuvre d'une diversité de pratiques.
CHRISTOPHE DÉLYE(1), SÉVERINE MICHEL(1), CAROLINE LEBEAUX(1), GAËLLE CHUPEAU(2), CAROLE BLOËS(2), MARC MASSON(2), SYLVAIN PIERRON(3) ET ELSA PENGUILLY(3) (1) Inrae - UMR Agroécologie - Dijon. (2) Anova Plus SAS - Évry. (3) Corteva Agriscience - Guyancourt
RÉSUMÉ
CONTEXTE - La capacité à détecter les résistances aux produits phytopharmaceutiques est un élément essentiel pour éclairer la préconisation. Ceci permet d'éviter les applications inutiles et de préserver l'efficacité du contrôle dans la durée, notamment par l'utilisation de pratiques non chimiques (R4P, 2020). Les tests de diagnostic les plus rapides et les plus fiables sont les tests « PCR » qui révèlent la présence des mutations en cause dans la résistance. Toutefois, l'emploi de ces tests pour l'analyse massive d'échantillons s'est longtemps heurté à deux obstacles : les capacités de traitement des laboratoires d'analyse et le coût des analyses.
ÉTUDE - Un total de 18 200 plantes ont été échantillonnées entre 2019 et 2021 sur 364 parcelles agricoles à travers la France. Après extraction d'ADN, des allèles résistants de l'ALS portant une mutation à l'un des quinze codons connus pour avoir un rôle dans la sensibilité à des herbicides ont été recherchés par PCR suivie de séquençage à haut débit.
RÉSULTATS - L'étude montre l'ampleur et l'étendue de la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez les coquelicots. Près de quatre parcelles sur dix où des coquelicots sont présents sont concernées. Le quart nord-ouest de la France est particulièrement touché, mais aucune région n'est épargnée. Sur les douze allèles résistants identifiés, neuf portent une mutation au codon 197 de l'ALS. Ces mutations confèrent une résistance élevée aux herbicides de la famille des sulfonylurées et une résistance variable aux herbicides des familles des imidazolinones ou des triazolopyrimidines. Trois autres allèles résistants « minoritaires » ont également été détectés.
MOTS-CLÉS - Coquelicot, résistance, inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS), herbicides, diagnostic moléculaire à haut débit.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : christophe.delye@inrae.fr
LIEN UTILE : Note inter-instituts sur les résistances aux herbicides : https://www.r4p-inra.fr/wp-content/uploads/2019/04/NC2019_herbicides.pdf
BIBLIOGRAPHIE : - Arvalis, 2011. Fiche adventice : le coquelicot (Papaver rhoeas). https://www.arvalis-infos.fr/fiche-adventice-le-coquelicot-papaver-rhoeas--@/view-8294-arvarticle.html
- Délye C, Boucansaud K., Pernin F. & Bertin G., 2011a. Résistance du coquelicot aux inhibiteurs de l'ALS : la mise au point d'outils de diagnostic rapide a permis de révéler la présence de cette résistance en France. Phytoma - LdV n° 645, p. 47-50.
- Délye C., Pernin F. & Scarabel L., 2011. Evolution and diversity of the mechanisms endowing resistance to herbicides inhibiting acetolactate-synthase (ALS) in corn poppy (Papaver rhoeas L.). Plant Science n° 180, p. 333-342.
- Délye C., Thiery-Lanfranchi D. & Pernin F., 2016. Sur Coquelicot, des herbicides auxiniques sont dans le rouge. Phytoma - LdV n° 698, p. 7-10.
- Duggleby R. G., McCourt J. A., & Guddat LW, 2008. Structure and mechanism of inhibition of plant acetohydroxyacid synthase. Plant Physiology and Biochemistry, n° 46, p. 309-324.
- Loubet I., Pernin F., Fontaine S., Caddoux L., Barrès B., Le Corre V. & Délye C, 2020. Résistances aux phytos : le diagnostic passe au haut débit. Phytoma - LdV n° 735, p. 34-38.
- R4P (Réseau de Réflexions et de Recherches sur les Résistances aux Pesticides), 2020. Prévenir et gérer les résistances aux produits phyto. Phytoma - LdV n° 733, p. 15-20.
- R4P, 2021. Mise à jour des cartes de résistance aux herbicides. https://www.r4p-inra.fr/fr/mise-a-jour-des-cartes-resistance-aux-herbicides/
- Tranel P. J., Wright T. R., & Heap I. M., 2021. Mutations in herbicide-resistant weeds to ALS inhibitors. http://www.weedscience.com.
REMERCIEMENTS
Nous remercions toutes les personnes sur le terrain qui ont collecté et expédié les milliers de feuilles de coquelicot nécessaires à cette étude.