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DOSSIER - Un ordre avec lequel compter Les coléoptères

Le Lixus de la betterave sous investigation

BENJAMIN COUSSY(1), JEAN-DAVID CHAPELIN-VISCARDI(2), GHISLAIN MALATESTA(3), FABIENNE MAUPAS(3), SANDRINE MOUTON(4), HERVÉ MORIAT(5) ET FERNAND ROQUES(6), D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 12E CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES RAVAGEURS ET AUXILIAIRES EN A - Phytoma - n°748 - janvier 2021 - page 27

Les nouvelles connaissances sur Lixus juncii doivent permettre de trouver des solutions de gestion de ce ravageur qui touche désormais toutes les filières de production.
Accouplement de Lixus juncii, la femelle creusant la tige pour déposer ultérieurement un oeuf.  Photo : G.  Fourment

Accouplement de Lixus juncii, la femelle creusant la tige pour déposer ultérieurement un oeuf. Photo : G. Fourment

2. Œuf de Lixus juncii.

2. Œuf de Lixus juncii.

3. Larve de Lixus juncii minant une tige.

3. Larve de Lixus juncii minant une tige.

 4. Trous de pontes sur une tige.

4. Trous de pontes sur une tige.

5. Galeries de larves dans une racine de betterave à sucre.  Photos : 2. Deleplanque 3. F. Roques 4. G.  Fourment 5. B. Coussy 6. S. Mouton

5. Galeries de larves dans une racine de betterave à sucre. Photos : 2. Deleplanque 3. F. Roques 4. G. Fourment 5. B. Coussy 6. S. Mouton

Fig. 1 : Hypothèses sur le cycle (1) univoltin ou (2) bivoltin de Lixus juncii en France

Fig. 1 : Hypothèses sur le cycle (1) univoltin ou (2) bivoltin de Lixus juncii en France

 Photos : G. Fourment

Photos : G. Fourment

Tente Malaise pour la capture des Lixus adultes.

Tente Malaise pour la capture des Lixus adultes.

Fig. 2 : Distribution des sommes de températures correspondant à la première observation de Lixus sur plusieurs parcelles de betterave suivies entre 2015 et 2020 (n = 25)

Fig. 2 : Distribution des sommes de températures correspondant à la première observation de Lixus sur plusieurs parcelles de betterave suivies entre 2015 et 2020 (n = 25)

9. Structure de l'appareil reproducteur femelle de Lixus juncii au stade 1 (voir tableau ci-dessus).

9. Structure de l'appareil reproducteur femelle de Lixus juncii au stade 1 (voir tableau ci-dessus).

10. Au stade 2.

10. Au stade 2.

11. Au stade 4. Photos : D. Chapelin-Viscardi

11. Au stade 4. Photos : D. Chapelin-Viscardi

12. Spermathèque.

12. Spermathèque.

13. Spermatophore.

13. Spermatophore.

Fig. 3 : Évolution des stades de maturation des femelles (nombres échantillonnés en blanc) pour chaque décade des périodes étudiées en 2018

Fig. 3 : Évolution des stades de maturation des femelles (nombres échantillonnés en blanc) pour chaque décade des périodes étudiées en 2018

Fig. 4 : Évolution des stades de maturation des femelles (nombres échantillonnés en blanc) pour chaque décade des périodes étudiées en 2019

Fig. 4 : Évolution des stades de maturation des femelles (nombres échantillonnés en blanc) pour chaque décade des périodes étudiées en 2019

La problématique Lixus était plutôt cantonnée à la production de betterave porte-graine du sud de la France, mais aujourd'hui toutes les productions betteravières de France sont touchées. Les acteurs des différentes filières se coordonnent donc pour étudier plus précisément ce ravageur et rechercher des solutions de gestion des populations.

La betterave cultivée et un de ses ravageurs, le Lixus

Un coléoptère sur une culture d'importance majeure

La betterave (Beta vulgaris L., 1753 subsp. vulgaris) est une espèce phare dans la production agricole française. Elle est produite pour l'alimentation humaine et animale, ainsi que pour en extraire du sucre. La France est ainsi le premier producteur mondial de sucre de betterave (Gnis, 2019). Chaque année, près de 500 000 ha sont dévolus à la production de betteraves sucrières, potagères, fourragères et porte-graine. Son importance économique est majeure et se chiffre à plusieurs milliards d'euros chaque année, répartis sur les différentes filières de production (Gnis, 2019).

Les insectes du genre Lixus sont des coléoptères de la famille des Curculionidae. Ils sont polyphages aussi bien à l'état larvaire qu'à l'état adulte et peuvent se nourrir sur apiacées, amaranthacées, polygonacées, caryophyllacées, brassicacées, astéracées, fabacées, capparidacées, malvacées et géraniacées (Hoffmann, 1954). Cependant, chaque espèce de Lixus présente des exigences, plus ou moins fortes, en termes de plantes-hôtes.

Description du ravageur

Si 36 espèces de Lixus sont recensées en France actuellement (Compte, 2020), celle principalement observée dans l'Hexagone sur betterave cultivée est Lixus juncii Boheman, 1835. Comme tous les Lixus, il est assez facilement reconnaissable du fait de sa forme longiligne. Sa taille est relativement imposante, comprise entre 9 et 15 mm (photo 1) et il possède comme chez beaucoup de charançons un rostre allongé. Son corps est brun clair à noir avec une très fine pubescence cendrée, parfois recouverte d'une pruinosité ocrée. Son prothorax est orné latéralement d'une bande blanche se poursuivant sur les bords latéraux des élytres (Hoffmann, 1959 ; Balachowsky, 1963). L'identification de L. juncii nécessite un examen attentif car il existe d'autres espèces morphologiquement proches. L'oeuf est ovale, de couleur jaunâtre à orangée et mesure environ 1 mm de long sur 0,5 mm de large (photo 2 page suivante). La larve est apode et blanchâtre, elle mesure de 10 à 16 mm selon les stades larvaires, et sa tête est brune à orangée (Lebouc, 2003) (photo 3 page suivante).

Éléments de biologie

Un certain nombre d'éléments de son cycle sont déjà connus. Les adultes (mâles et femelles) sont en diapause durant l'hiver (Rivnay, 1962), dans l'environnement des parcelles, mais sans que nous sachions exactement où. Ils sont de nouveau actifs au printemps, avec des premières apparitions entre mars et avril en France, et colonisent les parcelles de betterave où ils vont se nourrir des feuilles.

L'accouplement a généralement lieu dans les quinze jours suivant la reprise d'activité, et la ponte peut survenir dès trois jours après cet accouplement (Hoffmann, 1954). La femelle creuse un trou à l'aide de son rostre dans les jeunes tiges de hampes florales, dans les pétioles ou au niveau du collet. Elle dépose un oeuf par trou qu'elle rebouche ensuite avec un liquide buccal (Ocete et al., 1994). L'oeuf est donc protégé dans le tissu végétal, et une cicatrice reste visible (photo 4). Une femelle peut pondre une dizaine d'oeufs par jour, pour un total de 100 à 350 oeufs au cours de sa vie (Lebouc, 2003). La durée d'incubation de l'oeuf est comprise entre trois et quinze jours en fonction de la température, l'incubation étant rapide au-delà de 25 °C (Rivnay, 1962).

À la suite de l'éclosion, la larve se développe dans les tissus, en général la tige, où elle creuse une galerie en se nourrissant. Quatre stades larvaires se succèdent sur une durée d'environ 30 jours (Ocete et al., 1994). À la fin du développement, la nymphose a lieu à l'extrémité de la galerie et dure environ quinze jours. L'adulte apparaît dans le végétal et son émergence a lieu environ trois jours plus tard (Lebouc, 2003).

En France, en Italie et en Espagne, la bibliographie mentionne une seule génération annuelle pour L. juncii (Hoffman et Nepveu, 1950 ; Zambelli, 1961 ; Ocete et al., 1994). Au Maroc et en Israël, ce sont deux générations annuelles qui sont mentionnées (Brémond, 1938 ; Rivnay et Melamed in Zambelli, 1961).

Impact sur les productions de betterave françaises

Jusqu'à récemment, les productions françaises les plus touchées par ce ravageur étaient les productions de betterave porte-graine sucrière, principalement dans le sud de la France. Mais depuis moins d'une décennie, le Lixus colonise au fur et à mesure des territoires plus septentrionaux et, par la même occasion, d'autres types de production de betterave, à savoir la betterave sucrière, la betterave potagère et la betterave potagère porte-graine. Aujourd'hui, excepté les zones de production les plus au nord de la France, ce ravageur est potentiellement présent sur toutes les cultures de betterave françaises.

C'est la larve de Lixus qui provoque les dégâts observés en productions de betterave. En production de semences, les galeries provoquent des dessèchements de tiges ou de la plante entière, ce qui a un impact sur le rendement grainier et le calibre de semences. Des pertes de rendement de 30 % (Roques, 2018), voire 50 à 70 % (Hoffmann, 1954) ont été observées.

En production de betterave sucrière, la larve creuse une galerie jusqu'à la racine (photo 5). Ces galeries n'atteignent pas directement la production, bien qu'elles puissent entraîner environ 5 % de perte de rendement, mais sont des portes d'entrée pour des pathogènes lors du stockage, en particulier pour les champignons du genre Rhizopus. Ces champignons ont pu entraîner, pour certaines récoltes, des pertes de rendement de près de 50 % (comm. pers. ITB).

En production de betterave potagère, la larve atteint également la racine (photo 6), ce qui pose un problème de commercialisation car le consommateur ne souhaite pas retrouver d'insectes dans la betterave qu'il va consommer. Dans ce cas, la principale difficulté est que les détections de Lixus se font une fois que les racines sont mises sous vide (les larves peuvent alors être expulsées de leur galerie sous l'effet de la pression) ou directement dans l'assiette.

Les problématiques en cours d'étude

Plusieurs questions sont en cours d'étude. Premièrement, il s'agit de préciser comment détecter et capturer les adultes en parcelles. Plusieurs types de pièges sont susceptibles de permettre la capture du Lixus et certains d'entre eux ont déjà été testés (pièges au sol, cuvettes à eau, plaques engluées, parties du végétal engluées) mais n'ont pas montré d'efficacité (Lebouc, 2003).

Deuxièmement, le lien entre somme de températures et observation des premiers adultes au printemps est à évaluer pour savoir si ce critère est pertinent en termes d'outil d'aide à la décision.

Troisièmement, les observations de Lixus sur les parcelles de betterave françaises ces dernières années nécessitent de réétudier plus précisément le caractère univoltin jusqu'à maintenant établi. Une unique génération annuelle signifierait que la période d'accouplements et pontes ainsi que la présence d'oeufs, larves et nymphes se dérouleraient sur un laps de temps assez long et avec une superposition des stades. Cette dernière serait due à une hétérogénéité dans l'état physiologique des adultes présents au champ. Cependant, plusieurs éléments laissent supposer que L. juncii pourrait désormais présenter deux générations annuelles, tels que :

- des accouplements observés fin juillet ;

- des nymphes observées mi-octobre ;

- la remontée vers le nord de la France de ce ravageur qui peut laisser penser que les conditions climatiques du Sud permettent dorénavant un cycle bivoltin (Figure 1).

Méthodes de capture, étude de maturation des femelles

Observation et captures

• Observations visuelles

Des observations visuelles sur plantes sont réalisées à partir de la fin d'hiver/début de printemps (à partir de mars) pour déterminer si des adultes sont déjà présents sur les cultures de betterave ou d'autres plantes du genre Beta. Des captures à la main sont également réalisées pour collecter des Lixus (pour identification spécifique notamment). Les observations ne sont pas très faciles car le Lixus adopte un comportement de thanatose : il simule un état de mort apparente en présence d'un danger et se laisse tomber au sol. Les observations réalisées permettent de définir approximativement à quelles dates les premiers Lixus colonisent les différentes parcelles suivies. Ces observations et captures ont été réalisées entre 2015 et 2020 en Anjou, en Beauce, dans le Sud-Ouest et en Auvergne. Entre deux et six parcelles ont été suivies par année, ce qui représente en tout vingt-cinq parcelles sur cette période (parcelles différentes d'une année sur l'autre), avec une fréquence d'observations hebdomadaire.

• Piégeage à l'aide de tentes Malaise

La tente Malaise n'a jamais été testée pour la capture du Lixus avant 2017. Ce piège sert à intercepter les insectes en vol ou se déplaçant au sol grâce à des toiles de maille fine faisant office de barrière verticale (photos 7 et 8). Les insectes croisant cette toile montent vers le haut du piège où un flacon collecteur rempli d'alcool à 70 ° permet la capture et la conservation des spécimens. Ce type de piège a donc été utilisé pour réaliser des captures d'adultes en cours de saison.

Les tentes Malaise, à raison de une ou deux par parcelle, sont placées dans la parcelle de betterave, entre 10 et 15 mètres de la bordure. L'orientation du piège s'effectue selon les vents dominants et les éléments du paysage. Par exemple, si une bande enherbée ou un chemin se trouvent au bord de la parcelle, l'orientation de la tente se fait perpendiculairement au sens du vent dominant. Si une haie ou une lisière de bois se trouvent au bord de la parcelle, la tente est placée perpendiculairement à la bordure. La partie la plus haute de la tente (où se trouve le flacon collecteur) est orientée au sud, sud-ouest ou à l'ouest. Les tentes ont été placées en Anjou, en Beauce, dans le Sud-Ouest et en Auvergne.

Les relevés des pièges sont effectués une ou plusieurs fois par semaine, à partir de mars-avril, pour compter le nombre de Lixus adultes capturés. Les données de suivi permettent de détecter les premiers vols de Lixus, d'identifier les espèces présentes et d'évaluer les dynamiques de populations en parcelles.

Dates de premiers vols des Lixus et somme de températures

De 2015 à 2020, les dates de première observation de Lixus sur différentes parcelles de production ont été relevées et mises en relation avec les sommes de températures observées depuis le 1er janvier de chaque année étudiée et sur une base de développement du Lixus de 0 °C. Cette dernière valeur a été choisie arbitrairement par manque de connaissances sur la biologie de cet insecte, en particulier sur la température permettant sa reprise d'activité.

Étude de la maturation des femelles

• Création d'une typologie de maturation

Des Lixus adultes femelles capturés en 2018 et 2019 dans différentes parcelles de betterave sucrière de Limagne (Auvergne) ont été disséqués afin d'examiner l'état de leur appareil reproducteur. L'étude des différents éléments composant ce dernier (germanium, oviductes, ovocytes, oeufs, spermathèque, spermatophore, etc.) a permis de définir une typologie de maturation. Cette dernière a pu être établie avec l'aide de différentes études des appareils reproducteurs d'autres espèces et familles taxonomiquement proches, telles que Scyphophorus acupunctatus Gyllenhal, 1838, Sitona cylindricollis Fåhraeus, 1840 ou Sitophilus granarius (L., 1758) (Garthe, 1970 ; Gaino et Fava, 1995 ; Vega-Petlacalco et al., 2018). En 2018, 254 femelles ont été disséquées contre 178 en 2019.

• Évaluation de la maturation des femelles au cours du temps

Définir l'état de maturité de femelles capturées au champ à différentes dates permet d'évaluer la dynamique de maturation sexuelle et reproductive d'une population. Ces informations peuvent donc permettre de déterminer s'il existe une ou plusieurs générations annuelles de L. juncii en France.

Nouvelles informations sur L. juncii en France

Espèces de Lixus et autres coléoptères nuisibles à la betterave

En 2018, 707 spécimens de Lixus ont été capturés et identifiés, et tous appartenaient à l'espèce L. juncii. Sur une des parcelles suivies cette année-là, quatre spécimens d'un autre coléoptère potentiellement nuisible à la culture de betterave ont été capturés. Il s'agit de Tanymecus palliatus (Fabricius, 1787). En 2019, quelques individus de Lixus scabricollis Boheman, 1842 ont également été capturés sur des parcelles de betterave.

Lien entre sommes de températures et vols de Lixus

Sur plusieurs parcelles de betterave (n = 25) réparties dans les différents secteurs étudiés, quel que soit leur type (sucrières, potagères, porte-graine), la somme de températures correspondant à la première observation d'adultes de Lixus sur une parcelle se situe en moyenne entre 2015 et 2020 à 1 157,1 ± 233,7 °Cj (degrés-jours). En se basant sur la médiane, la somme de températures est plutôt de l'ordre de 1 059 °Cj (Figure 2). La moyenne est plus importante du fait des résultats beaucoup plus élevés observés en 2016.

Maturation des femelles

• Typologie de maturation

L'observation de l'appareil reproducteur des 432 femelles disséquées (photos 9 à 13) a permis d'élaborer un barème d'évolution de la maturation (tableau), ce barème servant par la suite à caractériser l'état de la population à une date donnée.

• Maturation observée en 2018 et 2019 en Limagne

Les résultats obtenus en 2018 et 2019 en Limagne indiquent que, malgré un décalage de deux à trois semaines entre les deux années, des femelles non matures ou en cours de maturation (stades 0 à 2) sont présentes en mai, voire jusqu'à fin juin (Figures 3 et 4 p. 32). Il est important de noter que des femelles aptes à pondre (stade 3) sont observables dès les premiers relevés, pendant le mois de mai.

En juillet, toutes les femelles sont matures. De fin juillet à début septembre, un certain nombre de femelles sont en fin de vie (stade 5), tandis que des femelles immatures (stades 0 et 1) sont de nouveau observées vers fin juillet et jusqu'au dernier relevé effectué à la mi-octobre. De fin juillet à octobre, nous n'avons pas observé de femelles aux stades 2 et 3.

Des connaissances à approfondir

Lixus juncii, principale espèce observée sur betterave

D'après les relevés effectués en 2018 et 2019, l'espèce observée en parcelles de betterave est quasi exclusivement Lixus juncii, ce qui corrobore l'observation déjà réalisée par Lebouc en 2003. L. scabricollis est présent de manière très ponctuelle ; c'est une espèce qui était plutôt méridionale (Hoffmann, 1954), tout comme L. juncii, mais qui semble avoir colonisé des territoires plus au nord. Pour améliorer la protection des cultures de betteraves en France, il convient de se pencher plus précisément sur L. juncii et de préciser certains éléments de son cycle encore inconnus.

Détecter les premières arrivées d'adultes sur les parcelles de production est un élément important pour la gestion des populations du ravageur. Il a été constaté au champ que les accouplements pouvaient avoir lieu très rapidement (quelques jours) après la première observation de spécimens sur betteraves, et les pontes peuvent également être rapidement réalisées consécutivement à l'accouplement. Maîtriser les populations avant le pic de pontes sur une parcelle permet de limiter la présence de larves dans les plantes, celles-ci provoquant les principaux dommages et étant par ailleurs presque impossibles à atteindre dans les tiges avec les solutions phytosanitaires actuellement homologuées. Cibler les adultes est donc actuellement la stratégie mise en place en termes de gestion du Lixus, à l'aide de traitements insecticides.

Somme de températures et première détection

Les observations effectuées entre 2015 et 2020 montrent que la première détection d'adultes de Lixus sur une parcelle correspond à une somme de températures de base 0 °C depuis le 1er janvier équivalente en moyenne à 1 157 °Cj. Néanmoins, les résultats sont assez variables d'une année sur l'autre, ce que traduit bien l'écart-type de plus ou moins 234 °Cj calculé sur la moyenne précédente. Cet écart correspond environ à un décalage de plus ou moins vingt jours, ce qui est beaucoup. En se basant sur la médiane, on obtient un résultat de 1 059 °Cj, moins influencé par les résultats plus tardifs constatés en 2016 ou plus précoces en 2018. Il est donc probable que la somme de températures théorique se situe entre 1 059 et 1 157 °Cj. Ces informations peuvent vraisemblablement être précisées car :

- faute de connaissances suffisantes nous avons utilisé une base de 0 °C correspondant à la reprise d'activité du Lixus, mais il est fort probable que cette température soit supérieure ;

- la précision dans la détection des premiers adultes sur les parcelles est potentiellement variable.

Des méthodes de détection à affiner

Pour pallier ce problème de précision dans la détection, il faut justement disposer d'une méthode d'observation ou capture adaptée au Lixus. Les tentes Malaise ont montré ces dernières années qu'elles permettaient de capturer cet insecte. Néanmoins, des travaux comparatifs menés sur betterave porte-graine en 2019 ont montré que des observations visuelles sur plantes permettent généralement de détecter les premiers adultes avant la capture dans une tente (Fnams, 2019). Pour l'instant, cette observation directe resterait donc la plus précise pour identifier les premiers individus, mais elle nécessite par ailleurs du temps pour échantillonner les plantes (au moins trente plantes par parcelle), un oeil aguerri car le Lixus peut être difficile à observer et une fréquence de suivi au moins hebdomadaire durant la période de potentielle colonisation au printemps. La somme de températures pourrait permettre de préciser cette période en fonction des conditions de l'année, d'où les recherches menées sur cette variable actuellement.

Des premiers tests en 2019 ont montré que l'utilisation du filet fauchoir serait susceptible de permettre une capture des Lixus sur des betteraves avant montaison (sucrières, potagères ou porte-graine) ou à un stade peu avancé de la montaison (porte-graine). La capture pourrait ainsi s'effectuer de manière plus efficace et rapide que de la simple observation visuelle. La pertinence de cette méthode reste encore à confirmer, mais elle est prometteuse car elle apparaît moins lourde à mettre en oeuvre et potentiellement plus efficace que les méthodes décrites précédemment.

Une espèce univoltine

La dissection des 432 femelles capturées en 2018 et 2019 a permis d'élaborer une typologie de maturation de celles-ci (tableau) et de préciser le cycle du Lixus. La durée de développement des stades inférieurs (oeufs, larves et nymphes) est, selon les données bibliographiques disponibles, comprise entre 45 et 60 jours (Brémond, 1938 ; Hoffman et Nepveu, 1950 ; Zambelli, 1961). En outre, un accouplement de Lixus détecté fin juillet 2018 et la présence de nymphes dans une parcelle mi-octobre 2018 laissent supposer que cet insecte pourrait dorénavant présenter deux générations annuelles en France. Pour vérifier cette hypothèse, la maturation de femelles capturées de début mai à mi-octobre 2018 et 2019 a été évaluée sur la base de la typologie élaborée spécifiquement pour le Lixus et présentée dans le tableau. À partir de cette typologie nous constatons pour ces deux années en Limagne que les femelles aptes à pondre sont présentes dès le mois de mai. Nous pouvons imaginer que des femelles à ce stade puissent être présentes dès la seconde quinzaine d'avril en fonction de l'année et du lieu (sur des sites plus méridionaux par exemple). À partir de fin juillet, des femelles en fin de vie (stade 5) et des femelles immatures (stade 1) sont observées. Début septembre, nous constatons même que des femelles dont les organes sexuels ne sont pas formés (stade 0) sont de nouveau présentes. Ces femelles aux stades 0 et 1 sont donc émergentes de l'année et issues de la génération consécutive à celle observée au printemps. De fin juillet à octobre, il n'a été observé aucune femelle aux stades 2 (en cours de maturation) ou 3 (nouvellement apte à pondre).

Nous pouvons donc en conclure que les femelles émergentes de l'année ne sont pas aptes à pondre cette même année, ce qui confirme les données bibliographiques : L. juncii apparaît univoltin en France. Sur la Figure 2 présentant les hypothèses de cycle à une ou deux générations annuelles, il convient donc, sur la base des résultats obtenus en 2018 et 2019 et des données bibliographiques, de considérer la première hypothèse (univoltine) et rejeter la seconde (bivoltine).

Des investigations complémentaires sont en cours, mais le fait de confirmer qu'il n'y a qu'une seule génération annuelle en France apporte des informations essentielles, notamment que les adultes émergents pendant l'été ne sont pas en mesure de pondre sur la culture en place.

Perspectives

Avec les pucerons, le Lixus, et plus particulièrement l'espèce L. juncii, est désormais l'insecte ravageur le plus nuisible des productions de betterave françaises. La question du caractère univoltin de ce Lixus en France apparaît confirmée au vu des derniers résultats obtenus et de la typologie de maturation élaborée dans cette étude pour cet insecte. Par ailleurs, si la tente Malaise a démontré une efficacité en termes de piégeage, il est nécessaire de continuer les investigations quant à la recherche de la solution optimale pour détecter et capturer les Lixus en parcelle, tâche difficile mais hautement importante. Le filet fauchoir est une des pistes à expérimenter.

Enfin, la poursuite du travail autour de la variable « somme de températures » est importante mais cette dernière montre actuellement une certaine variabilité de résultats en fonction des années. Préciser les variables permettant son calcul ou se diriger vers un autre type de variable (durée et/ou intensité d'ensoleillement par exemple) sont des poursuites possibles pour disposer à terme d'un outil permettant de prédire plus précisément la période de premier vol du Lixus au printemps.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le Lixus de la betterave (Lixus juncii Boheman) est un coléoptère problématique depuis de nombreuses années en production de betteraves sucrière et fourragère porte-graine.

Initialement présent dans le sud de la France, ce ravageur a désormais colonisé des surfaces de production beaucoup plus septentrionales. On le retrouve au sud de la Champagne, en région parisienne et dans le Centre-Val de Loire, et son expansion devrait se poursuivre grâce à la colonisation de parcelles de production de betterave potagère porte-graine, de betterave sucrière et de betterave potagère. L'impact économique de ce ravageur est très important et concerne aujourd'hui toutes les filières de production de betterave française.

ÉTUDE - Un travail collaboratif entre filières est en cours pour trouver des solutions de gestion des populations de Lixus. La base de ce travail passe par une meilleure connaissance de l'insecte.

RÉSULTATS - Les travaux menés récemment ont confirmé, grâce à l'élaboration d'une typologie de maturation des femelles, que L. juncii est bien univoltin en France, et il semblerait que les premières apparitions d'adultes sur les parcelles au printemps soient liées à des sommes de températures comprises entre environ 1 060 et 1 160 °Cj (degrés-jours).

MOTS-CLÉS - Lixus, betterave, charançon, coléoptère, sucre.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : benjamin.coussy@fnams.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (15 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient l'ensemble des agriculteurs et expérimentateurs ayant contribué à l'obtention de ces résultats, en particulier Alexandre Pirot et Quentin Legros qui ont beaucoup oeuvré pour que nous puissions mieux connaître le Lixus de la betterave en France.

Cet article fait partie du dossier Un ordre avec lequel compter Les coléoptères

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