La réglementation de l'ergot du seigle a été révisée compte tenu de la réévaluation de sa toxicité. Photo : E. Jullien - Geves Snes
Lorsque la presse généraliste, en particulier la presse française, évoque la sécurité alimentaire, elle fait en général référence à la disponibilité des aliments de base pour la population. Cette notion rend compte du risque de pénurie d'aliments ou d'un manque de diversité dans les approvisionnements. Cette définition correspond au terme anglo-saxon « food security ». Une autre notion, pourtant primordiale, est la sécurité sanitaire de l'aliment, ou « food safety ». En effet, différents contaminants peuvent rendre impropres à la consommation les denrées récoltées, en particulier celles issues des cultures de céréales.
Une diversité de contaminants, plus ou moins médiatisés
Par extension(1), de nombreux médias étendent le champ de la sécurité alimentaire à différents contaminants, principalement des contaminants d'origine humaine, comme les résidus de pesticides ou les OGM (Organismes génétiquement modifiés). Les autres risques d'origines anthropiques sont en général abordés de façon très ponctuelle, à l'occasion d'analyses dans les végétaux qui conduisent, dans les pays qui ne souffrent pas de difficulté d'approvisionnement, à interdire temporairement ou définitivement la commercialisation des produits à cause de la contamination par des dioxines, des furanes, des PCB (polychlorobiphényles) et autres contaminants ubiquitaires ou des métaux lourds (ETM : éléments traces métalliques).
Ces contaminations accidentelles ou chroniques n'intéressent la presse que de façon ponctuelle ou diffuse. C'est également le cas pour les contaminations bactériennes qui concernent désormais marginalement les productions végétales conventionnelles dans les pays développés, même les produits frais, depuis la généralisation de la fertilisation minérale qui réduit le risque de contamination des fruits et légumes, et concentre ce risque sur des cultures recevant des engrais organiques. Seules les productions animales restent plus spécifiquement concernées par ces contaminants.
Il existe enfin une catégorie de contaminants au moins aussi préoccupants que les précédents, mais dont il est très rarement fait mention dans la presse non spécialisée. Il s'agit de contaminants naturels produits par des « moisissures », ou mycotoxines qui sont considérées comme des menaces sérieuses par la communauté internationale (Clarke, 2014), mais aussi correspondant à des parties de plantes toxiques, qui sont encore ponctuellement associés à la récolte au début du XXIe siècle (Glaizal et al., 2013). Les céréales (céréales à paille, maïs, sorgho, riz) sont concernées par ces contaminants à la sortie du champ, pendant le temps de stockage ou durant le processus industriel, notamment pour la fabrication de la bière.
Cet ensemble de contaminants : résidus de pesticides, OGM, contaminants ubiquitaires (dioxines...), éléments trace métallique (As, Hg, Pb, Cd...), bactéries pathogènes... relèvent d'un registre inégalement abordé par les médias. Ces derniers se focalisent sur des risques plus visibles, liés à l'action directe et volontaire de l'homme - pesticides, OGM -, risques souvent moins significatifs pour les aliments produits en Europe actuellement en raison de la surveillance et de l'encadrement réglementaire (Benford, 2014). L'ensemble de ces contaminants entrent dans le cadre de la sécurité sanitaire de l'aliment ou « food safety » pour les Anglo-Saxons, comportant un ensemble de critères de qualité de l'alimentation. Ces critères sont essentiels puisqu'ils déterminent la non-nocivité de l'aliment pour leurs consommateurs, animaux ou humains.
Une prise en compte récente des mycotoxines
Identification
L'identification de la dangerosité des mycotoxines dans l'alimentation des populations est un phénomène récent. L'ergot du seigle (sclérotes du champignon Claviceps purpurea contenant des alcaloïdes toxiques), dont les ravages dans les populations humaines sont connus depuis le Haut Moyen Âge notamment pour les phénomènes de toxicité aiguë, fait partiellement exception à cette règle. Pour les autres mycotoxines, il a fallu attendre les mortalités de masse dans les élevages de dindes en 1960 en Angleterre, à la suite de l'ingestion de tourteaux d'arachides contaminés par des aflatoxines (Dragacci et al., 2011). La première mention pratique de l'ochratoxine A sur le végétal remonte à 1969, observée aux États-Unis dans un échantillon de maïs (Afssa, 2009). Pour les autres mycotoxines, cette mise en évidence a été progressive de 1970 au début des années 2000 (Délos et al., 2019).
Réglementation et valeurs-seuils
Comme pour d'autres contaminants naturels (ETM), les valeurs seuils pour les mycotoxines tiennent compte de la réalité de la contamination des aliments et tolèrent des facteurs de sécurité plus faibles que dans le cas de contaminants volontaires tels que les pesticides. Mais il reste de nombreuses mycotoxines pour lesquelles aucune limite n'est fixée dans l'aliment, faute d'études permettant d'établir une dose toxique.
Devant la réévaluation des dangers liés aux mycotoxines, les valeurs des teneurs acceptables dans l'aliment sont régulièrement soumises à des révisions à la baisse. Pour l'ergot du seigle (alcaloïdes), des modifications sont intervenues récemment, la dernière en date limitera le poids de sclérote à 0,2 g/kg de céréales brutes (sauf le seigle, bien que plus à risque, mais moins consommé) à partir du 1er janvier 2022, accompagnée de valeurs-seuils également pour la teneur en alcaloïdes dans les aliments transformés. Les toxines T2 et HT2, produites par des espèces de Fusarium distinctes, devraient être réglementées à compter du 1er juillet 2022 à des niveaux qui restent à confirmer. Il en est de même pour le déoxynivalénol (DON), dont les teneurs dans le grain et les aliments transformés baisseront à compter du 1er juillet 2022.
Perspectives : cocktails et mycotoxines masquées
Les cocktails de mycotoxines sont relativement fréquents (Smith et al., 2016) dans un aliment contaminé(2) et ne font pas l'objet d'études poussées. Même si des phénomènes de potentialisation sont observés entre substances, les doses journalières tolérables (DJT) établies restent des doses pour des mycotoxines isolées (Streit et al., 2012 ; Alassane-Kpembi et al., 2017). Il existe enfin de nombreuses autres mycotoxines présentes dans les plantes, identifiées comme présentant un danger intrinsèque pour les animaux et potentialisant les autres mycotoxines associées, mais pour lesquelles il n'y a pas d'étude toxicologique suffisante menée (Scudamore et al., 1998 ; Efsa c, 2014), elles sont dans l'immédiat quasiment ignorées.
Des incertitudes ont été mises à jour récemment sur la capacité des tests à détecter en totalité les mycotoxines présentes dans les produits céréaliers, en raison de conjugaisons notamment avec des sucres qui empêchent la détection d'une part non négligeable des contaminants. Ces formes de mycotoxines non détectables par les analyses classiques mais dont certaines sont rendues biodisponibles lors de la digestion sont qualifiées de mycotoxines masquées (Berthiller et al., 2013 ; Efsa b, 2014). Les évaluations de l'Efsa(3) ont montré que les formes modifiées des mycotoxines ont une toxicité qui peut être supérieure à celle de leurs « parents ». Cette découverte a entraîné les révisions à la baisse des teneurs autorisées dans le grain et l'aliment transformé.
Ces évolutions font l'objet de propositions de valeurs-seuils mais n'ont pas encore été publiées dans le cadre des règlements européens.
Un contexte climatique à considérer
Aflatoxine : réchauffement et stress hydrique
L'aflatoxine B1 est la principale mycotoxine secrétée par le champignon Aspergillus flavus, et de façon moindre par Aspergillus parasiticus dans les climats tropicaux et subtropicaux. On la retrouve dans les denrées, en mélange avec les aflatoxines B2, G1 et G2 excrétées par les mêmes champignons. L'aflatoxine B1 ou AFB1 est cependant un des plus puissants cancérigènes et hépatocancérigènes chez les animaux. Les champignons Aspergillus flavus sont aussi des bioagresseurs majeurs de l'épi du maïs lorsque les températures nocturnes sont élevées et la plante souffre de stress hydrique en cours de floraison (Payne, 1998 ; OMS, 2005 ; Battilani et Camardo Leggieri, 2015).
L'Europe de l'Ouest en général et la France en particulier étaient considérés comme à l'abri d'un tel risque, malgré les prévisions pessimistes de l'Efsa (Efsa, 2012), en raison de la pratique assez généralisée de l'irrigation, sous réserve d'un accès à l'eau maintenu possible. Le risque aflatoxines pour l'Europe en général, et l'Europe de l'Est ou l'Italie en particulier, n'est plus seulement un risque futur en lien avec le réchauffement climatique mais un risque actuel, même s'il est plus exceptionnel que dans la plupart des autres régions du monde. En France, la détection de spots de contamination par les aflatoxines dans des maïs récoltés en 2019, année chaude et sèche, en l'absence d'irrigation, a confirmé un risque également valable dans l'Hexagone.
Fusariotoxines : fraîcheur et foreurs
Le début des années 2000 (notamment la période 2003-2006) a été caractérisé par une contamination assez régulière des maïs par les fusariotoxines déoxynivalénol (DON) et zéaralénone (ZEN), et les fumonisines, en Europe en général et en France en particulier. Ces contaminations élevées s'expliquent à la fois par des conditions climatiques favorables pour le champignon Fusarium, mais aussi pour les foreurs de l'épi qui amplifient l'effet du climat. L'incidence de ces ravageurs sur l'augmentation de la contamination a été parfaitement établie lors de cette période (Weisssenberger et al., 2006 ; Délos et al., 2014). Dans ce contexte, les mycotoxines DON et ZEN ont été majoritairement détectées dans le nord de l'Europe et les fumonisines majoritairement dans les pays bordant la Méditerranée.
Après une période de plus faible contamination, un retour spectaculaire des mycotoxines DON et ZEN a été observé en 2013 sur maïs, à la suite de récoltes tardives dans des conditions particulièrement humides dans le sud de l'Europe, sur une zone allant des bords de l'Atlantique à la mer Adriatique. En 2014, des contaminations du maïs par ces mêmes mycotoxines ont posé des problèmes dans le nord et le centre de l'Europe, sur une zone englobant la frontière est de la France jusqu'à la Pologne, en lien avec des conditions climatiques estivales très fraîches et humides, en juillet et août. Deux zones différentes d'Europe ont donc été concernées au cours de ces deux années, mais les champignons en cause étaient dans les deux cas des producteurs de DON et de ZEN. La situation de 2013 a conduit les autorités françaises à demander à la Commission européenne, fin avril 2013, un relèvement temporaire des seuils européens proposés par le règlement 1126/2007 pour ces deux mycotoxines. Cette demande de dérogation n'a pas été suivie d'effets. Comme les surfaces en maïs sont bien réparties sur le territoire français, avec une moitié non affectée par le climat ayant entraîné cette contamination, le recours à des affectations de récoltes a permis de respecter les seuils réglementaires du règlement.
(1) La définition initiale de la sécurité alimentaire (« food security ») lors de la « World Food Conference » en 1974 n'incluait pas la sécurité sanitaire de l'aliment. Cette sécurité qualitative a été associée, théoriquement, à la « food security » lors de la conférence « World Food Summit » de 1996. Toutefois, dans la pratique, lorsqu'il est fait référence à l'insécurité alimentaire ou aux populations en situation d'insécurité alimentaire, il n'est fait référence qu'à la quantité d'alimentation et accessoirement à la diversité de cette alimentation pour éviter des carences graves, jamais ou très rarement aux contaminants naturels (food safety). Or la population mondiale exposée à un risque d'intoxication chronique par les aflatoxines est estimée à plus de 5 milliards (Alloysius et Ositadinma, 2016 ; Shephard, 2008 ; Williams et al., 2004).(2) Au-delà de la multi-contamination de chaque aliment par différentes mycotoxines, les aliments différents composant la ration peuvent être contaminés par des mycotoxines différentes : le maïs avec des trichothécènes B, des fumonisines, des aflatoxines... ; le blé ou le triticale avec des alcaloïdes d'ergot, des trichothécènes ou de la zéaralénone ; des tourteaux d'oléagineux avec des aflatoxines. Les possibilités de co-occurrence de différentes mycotoxines dans la ration sont donc nombreuses.(3) Formes modifiées de la DON : https://tinyurl.com/2p8mj4m7 ; formes modifiées des fumosines : https://tinyurl.com/2p8a4tyh ; formes modifiées de la ZEA : https://tinyurl.com/4nwj4ezz
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Les mycotoxines sont des substances dangereuses produites par des « moisissures » qui contaminent les végétaux ou produits végétaux. Face aux dangers qu'elles représentent, la réglementation évolue.
MYCOTOXINES - Aflatoxines, ochratoxine, déoxynivalénol, fumonisines, toxines T2 et HT2, alcaloïdes de l'ergot... sont parmi les mycotoxines considérées comme étant les plus préoccupantes. Leur prise en compte dans la palette des risques sanitaires liée à l'aliment est récente.
Mises en évidence à partir des années 1960, elles font l'objet d'une réglementation visant à limiter leur présence dans les denrées. Les valeurs seuils sont en cours de réévaluation et de nouveaux risques sont étudiés, liés aux effets cocktails et aux mycotoxines masquées. Souvent étroitement liée aux conditions climatiques, la production de ces toxines varie selon les années.
MOTS-CLÉS - Contaminants, sécurité alimentaire, qualité sanitaire, mycotoxines.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : marc.delos@agriculture.gouv.fr