Fig. 1 : Influence des traitements à l'ozone sur le pourcentage de pommes 'Topaz' et 'Otava' affectées par de la pourriture lenticellaire après 6 mois d'entreposage en froid normal à 4 °C (essais 2017-18)
Fig. 2 : Influence des traitements à l'ozone sur le pourcentage de pommes 'Topaz' affectées par des pourritures secondaires (mycélium sur la suture du pédoncule) après 3 mois d'entreposage en froid normal à 4 °C (essais 2016-17)
Les fruits sont des produits vivants dont la qualité après la récolte se dégrade sous l'effet d'altérations physiologiques, mécaniques ou parasitaires. Les maladies fongiques nuisent fortement à la qualité commerciale des fruits, les rendant impropres à la consommation, ce qui inflige des pertes importantes le long de la chaîne de valeur. Certains pathogènes infectent les fruits durant leur croissance, mais ne sont détectés que lors de leur développement durant le stockage, où ils provoquent des symptômes tels que des taches de pourriture brunes. D'autres micro-organismes infectent les fruits après la récolte, via des blessures, et se répandent sous forme de spores microscopiques sur les autres fruits dans les cellules de stockage ou les contenants. Quel que soit le type de champignon, les pourritures ont un impact négatif sur toute la filière, de la production à la commercialisation, et mènent à un gaspillage total des ressources investies, telles que les intrants, l'eau, l'énergie et le travail.
Limiter les pertes au stockage, et les résidus sur fruits
Une recherche d'alternatives
En production conventionnelle, les maladies fongiques sont contrôlées par l'application de produits phytosanitaires de synthèse. Or, la demande croissante des consommateurs pour des fruits sans résidus, couplée au développement de résistances des pathogènes face aux fongicides, pose de nouveaux défis aux producteurs de fruits(1). Les fruits produits conformément aux exigences de l'agriculture biologique prennent également une part plus importante du marché, en réponse à la sensibilisation et aux préoccupations croissantes des consommateurs quant à l'impact avéré, ou supposé, des pesticides sur la santé ainsi que sur l'environnement(2). Les fongicides de synthèse sont interdits en production biologique, et de plus en plus réduits en production conventionnelle ou intégrée, notamment dans les programmes de production à bas résidus. Ils constituent, néanmoins, encore aujourd'hui, une méthode efficace pour prévenir la pourriture de stockage. Par conséquent, le développement et la mise en oeuvre de nouvelles méthodes et stratégies de lutte contre les pathogènes fongiques sont nécessaires pour limiter les pertes pendant le stockage et garantir des fruits de qualité aux consommateurs.
Dans ce cadre, le centre de recherche Agroscope, situé dans la région du Valais, en Suisse, teste depuis 2016 le traitement à l'ozone gazeux en chambre frigorifique pour limiter le développement des pourritures sur les fruits.
L'ozone, un oxydant naturel
L'ozone est un puissant oxydant naturel qui agit comme désinfectant. Composé de trois atomes d'oxygène, il se dégrade rapidement en dioxygène lorsqu'il est en contact avec la matière, et ne laisse donc pas de résidus. De nombreuses études ont évalué l'efficacité d'un traitement à l'ozone contre le développement de maladies fongiques sur différents types de fruits et de légumes(3), en particulier depuis 2001, date à laquelle la U.S. Food and Drug Administration (FDA) a approuvé l'ozone comme Generally Recommanded as Safe (Gras) pour des application de contact direct aux denrées alimentaires. L'efficacité du traitement est influencée par de nombreux facteurs, tels que l'espèce bactérienne ou fongique et son stade de développement, la concentration en ozone et la durée d'exposition, la température et l'humidité relative dans la chambre frigorifique(4). En conséquence, l'efficacité d'un tel traitement varie selon les études pour un même type de produit horticole. Agroscope a donc mené des expérimentations sur pomme et sur fraise, deux fruits au comportement post-récolte très différent, afin de déterminer l'efficacité d'un traitement à l'ozone pour limiter le développement des maladies fongiques durant l'entreposage. L'impact sur la qualité commerciale et gustative a également été évalué. Ces essais ont été réalisés en collaboration avec DLK Technologies/ozone.ch, une société basée au Locle, en Suisse.
Trois années d'essais sur pommes
Différentes concentrations et fréquences testées
Les expérimentations sur pomme ont été menées durant trois saisons sur les variétés 'Topaz' et 'Otava', issues de vergers cultivés selon un mode de production à bas résidus. Les pommes ont été entreposées dans des microcellules de 0,2 m3 en froid normal durant 3 à 6 mois, à une température de 4 °C et une humidité relative de 90-95 % (photo 1). Différentes concentrations, durées et fréquences d'application de l'ozone ont été testées et sont détaillées dans le Tableau 1. L'influence des traitements a été évaluée sur le développement des maladies fongiques, et est exprimée en nombre de fruits atteints sur des lots de 40 pommes après stockage. Les paramètres physico-chimiques (fermeté, teneur en sucre et acidité) ont été mesurés sur des lots de vingt fruits à l'aide d'un laboratoire automatique 'Pimprenelle' (Setop Giraud-Technologie). L'effet des différents traitements à l'ozone a également été évalué sur les maladies physiologiques (par exemple : brûlures lenticellaires, échaudure).
Une efficacité sur pourriture lenticellaire
Durant les trois années d'expérimentations, les pommes ont principalement été affectées par de la pourriture lenticellaire. Cette maladie, provoquée par des pathogènes tels que Neofabraea spp. qui infectent les fruits dans les vergers via les lenticelles et restent latents jusqu'à un certain degré de maturité des pommes, est l'une des plus fréquentes sur les fruits à pépins en Europe de l'Ouest(5). Les symptômes apparaissent généralement durant l'entreposage sous forme de taches brunes circulaires. En Suisse, cette maladie pose déjà de nombreux défis dans la conservation des pommes issues de la production biologique, et tend à augmenter sur les pommes issues de programmes de production à bas résidus dans lesquels les fongicides de synthèse sont réduits. Les traitements à l'ozone testés dans nos essais ont permis de limiter le développement de la pourriture lenticellaire, sans toutefois l'inhiber complètement (Figure 1). Un pourcentage similaire de pommes 'Topaz' et 'Otava' non traitées a été affecté par de la pourriture lenticellaire, tandis que le traitement à l'ozone à une concentration de 0,5 à 1 ppm, appliqué quotidiennement durant 1 heure, a démontré une meilleure efficacité en comparaison des autres concentrations et fréquences d'application testées pour les deux variétés.
Une efficacité sur les parasites de blessure
Des parasites de blessure, qui peuvent contaminer les pommes au verger ou se disperser de fruit en fruit durant l'entreposage sous l'effet de la ventilation, ont également été observés dans les expérimentations menées en 2016-17 (Figure 2). Les agents pathogènes, qui n'ont pas été déterminés précisément, se sont développés sous la forme d'un mycélium blanc apparu sur les sutures des pédoncules. Les traitements à l'ozone ont montré une très bonne efficacité contre ce type de pathogènes, en particulier à concentration élevée. De manière générale, nos expérimentations ont montré que plus la concentration, la durée et la fréquence d'application étaient élevées, plus l'effet observé sur les maladies fongiques était important.
En revanche, aux doses testées les plus élevées, l'ozone a provoqué des brûlures lenticellaires, principalement sur les pommes de la variété 'Otava' (photo 2), et a renforcé l'aspect graisseux de l'épiderme des fruits, en particulier sur les pommes de la variété 'Topaz' (photo 3). Les traitements à l'ozone n'ont, en revanche, pas influencé la fermeté des fruits (Tableau 2). L'influence sur la teneur en sucre et l'acidité a varié selon les traitements, les années et la variété testée (Tableau 2).
Expérimentations sur fraises
Conditions d'essais
Les essais sur fraise ont été menés en 2016 et 2017 sur les variétés 'Murano' cultivées selon un mode de production intégrée sous tunnel sur substrat, et 'Laetitia', cultivée en production biologique en plein champ. Les fruits ont été entreposés à une température de 8 °C et une humidité relative de 90-95 %. La moitié des fruits a été traitée deux fois par jour durant 1 h 30 avec de l'ozone à une concentration de 2 à 3 ppm. L'autre moitié a été entreposée dans une microcellule sans ozone (lot témoin). En 2017, un traitement à 4 à 5 ppm d'ozone appliqué durant 30 minutes à 3 heures avant un entreposage de 2 jours à 20 °C a également été testé sur les fraises de la variété 'Murano'. L'influence du traitement à l'ozone sur le développement des maladies fongiques a été évalué sur des lots de 60 fraises. La fermeté, la teneur en sucre, l'acidité et la couleur ont été mesurées sur 60 fraises après un entreposage de 8 jours à 8 °C avec ou sans ozone.
La mesure de la fermeté a été réalisée au moyen d'un appareil Durofel muni d'un embout de 0,5 cm2 (Giraud-Technologie, Setop) et est exprimée en indice Durofel (ID50). La couleur des fruits (composante « a ») a été déterminée sur chaque fruit à l'aide d'un colorimètre (chromamètre CR-400, Minolta). Les fraises ont ensuite été réduites en jus au moyen d'un robot mixeur avec centrifugeuse pour les analyses de la teneur en sucre et l'acidité. La teneur en sucre (°Brix) a été mesurée à l'aide d'un réfractomètre (Atago, modèle PR-1) et l'acidité (g acide citrique/kg) a été déterminée par titration (titrimètre Metrohm, 719S, Titrino).
Enfin, l'influence des traitements a également été évaluée sur la qualité sensorielle à l'aide d'un test discriminatif de type « 2 parmi 5 »(6). Ce test a été effectué avec un panel de 20 personnes sur les fraises de la variété 'Murano' entreposées durant 4 et 8 jours, avec ou sans traitement à l'ozone.
Un ralentissement des pourritures
Les fraises sont des fruits dont la durée de vie après la récolte est limitée à quelques jours. Les maladies fongiques telles que l'oïdium (Podosphaera aphanis) ou la pourriture grise (Botrytis cinerea) sont particulièrement problématiques sur fraise et peuvent conduire à des pertes conséquentes durant leur itinéraire post-récolte. Les résultats obtenus dans cette étude ont montré qu'un traitement à l'ozone appliqué à une concentration de 2 à 3 ppm a limité le développement des maladies fongiques (Figure 3 page suivante). Comme dans le cas de la pourriture lenticellaire sur pomme, l'ozone a ralenti le développement des pourritures sur les baies, sans toutefois l'inhiber. L'effet était visible uniquement après 7 à 8 jours d'entreposage à 8 °C ; les fraises étant restées intactes lors des quatre premiers jours. De telles durées d'entreposage à cette température ne correspondent pas aux recommandations établies pour la pratique, mais elles ont permis de mesurer l'impact du traitement à l'ozone sur le développement des maladies fongiques en favorisant leur développement.
Un effet « désinfectant » à haute concentration
Afin d'évaluer l'influence d'un traitement à l'ozone pour « désinfecter » les fraises après la récolte, un traitement effectué à une concentration de 4 à 5 ppm a été testé avec différentes durées d'application. Les résultats obtenus ont montré que plus la durée de traitement était importante, plus l'ozone était efficace pour limiter le développement de maladies fongiques en conditions de « shelf-life » (2 jours à 20 °C, Figure 4). La durée de vie de l'ozone étant très courte (il se dégrade rapidement en dioxygène), ces résultats montrent que détruire les microorganismes présents sur les fraises au moment de la récolte permet de limiter les pertes par la suite.
Pas d'effets sur la qualité
Les analyses des paramètres physico-chimiques effectuées sur les fruits de la variété 'Murano', entreposées durant 8 jours à 8 °C avec ou sans ozone à 2 à 3 ppm, n'ont pas montré d'influence significative du traitement (Tableau 3). Les tests sensoriels de discrimination réalisés avec un panel n'ont pas non plus montré de différences entre les lots traités ou non à l'ozone (Tableau 4). Ces résultats sont cohérents avec d'autres études qui ont montré que l'ozone n'influençait pas la qualité sensorielle des baies(7) (8), et confirment le potentiel de cette méthode pour limiter les pertes de qualité des fraises une fois récoltées.
Conclusions
Des maladies fongiques ralenties
Les traitements à l'ozone testés dans cette étude ont permis de limiter le développement des maladies fongiques sur les pommes et les fraises après la récolte, sans toutefois les inhiber complètement. L'effet était particulièrement visible sur les maladies de type secondaire, infectant les fruits dans les cellules d'entreposage ou les contenants. L'ozone n'a pas eu d'influence négative sur les paramètres physico-chimiques des fruits tels que la fermeté, la couleur, la teneur en sucre et l'acidité. La qualité sensorielle des fraises n'a pas non plus été altérée par les traitements. Sur pomme, l'ozone a néanmoins induit des dégâts de brûlures lenticellaires, et a augmenté l'aspect graisseux de l'épiderme, surtout aux concentrations et fréquences d'application les plus élevées.
Une solution encore à l'étude en Suisse
Largement utilisé pour désinfecter l'eau potable et traiter les eaux usées, l'ozone n'est actuellement pas autorisé pour une application sur les fruits après la récolte en Suisse et en France. Aux États-Unis, l'ozone a obtenu le statut de Gras en 2001, et des chambres de stockage sont déjà équipées avec des systèmes de traitement. En France, l'ozone est autorisé pour le traitement du blé avant mouture et sur salades prêtes à l'emploi. Face à la réduction, voire l'interdiction de fongicides de synthèse, l'intérêt pour cette méthode est grandissant. Son fort pouvoir oxydant constitue néanmoins une contrainte pour une utilisation dans la pratique, et il doit être appliqué avec beaucoup de précautions pour garantir la sécurité des utilisateurs. Une bonne ventilation et une régulation précise dans les chambres froides sont nécessaires pour éviter l'accumulation de doses trop élevées qui risquent de provoquer des dégâts sur les fruits. Trop peu d'ozone peut ne pas être efficace contre les maladies fongiques, en particulier contre celles provenant des vergers, plus difficiles à éliminer que les maladies infectant les fruits durant le stockage. Il est donc essentiel d'effectuer des expérimentations pour déterminer les concentrations et les fréquences d'application de l'ozone pour chaque type et variété de fruits afin d'obtenir une efficacité maximale toute en limitant les dégâts liés au traitement.
(1) Granatstein D., Kirby E. et Willer H., 2010. Current world status of organic temperate fruits. Acta Hort, n° 873, p. 19-36.(2) Tilman D., 1999. Global environmental impacts of agricultural expansion: the need for sustainable and efficient practices. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, n° 96 (11), p. 5995-6000.(3) Miller F. A., Silva C. L. M et Brandão T. R. S., 2013. A Review on Ozone-Based treatments for Fruit and Vegetables. Food Eng. Rev., n° 5, p. 77-106.(4) Pascual A., Llorca I. et Canut A., 2007. Use of ozone in food industries for reducing the environmental impact of cleaning and disinfection activities. Trends Food Sci. Tech., n° 18, p. 29-35.(5) Giraud M. et Moronvalle A., 2012. Maladies de conservation de la pomme - Biologie et épidémiologie des gloéosporioses. Infos CTIFL, n° 285, p. 21-29.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Face à la pression des maladies fongiques, le maintien de la qualité des fruits en post-récolte est un défi. De nouvelles stratégies de lutte doivent être disponibles afin de répondre à la diminution, voire à l'interdiction de l'utilisation de fongicides de synthèse dans les vergers et les cultures, ceci afin de limiter les pertes liées aux pourritures après la récolte et de garantir des fruits de qualité aux consommateurs.
ÉTUDE - Dans cette étude, l'efficacité d'un traitement à l'ozone, appliqué en post-récolte sous forme gazeuse, a été évaluée sur la réduction des pertes liées au développement de maladies fongiques des pommes et des fraises.
RÉSULTATS - Les résultats montrent que l'ozone est efficace pour limiter le développement des maladies, sans toutefois les inhiber complètement. Le traitement n'a pas eu d'influence négative sur les paramètres physico-chimiques tels que la fermeté, la couleur, la teneur en sucre et l'acidité, mais a cependant induit des brûlures lenticellaires et augmenté l'aspect graisseux de l'épiderme des pommes. Ces dégâts étaient surtout visibles à concentrations et fréquences d'application élevées. Sur fraise, ni la qualité commerciale, ni la qualité sensorielle n'ont été affectées par les traitements. L'ozone se présente donc comme une méthode alternative prometteuse pour limiter les pertes de fruits après la récolte. La dose et la fréquence des applications sont déterminantes pour la qualité commerciale des fruits.
MOTS CLÉS - Ozone, post-récolte, fraise, pomme, qualité, maladies fongiques.
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