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Chronique historique

Les parmentières et le mildiou

PAR ANDRÉ FOUGEROUX - Phytoma - n°749 - décembre 2021 - page 47

Qu'aurait été l'avenir de la pomme de terre en Europe si le mildiou Phytophthora infestans avait été introduit en même temps qu'elle ? On peut aisément imaginer que cette maladie cryptogamique qui, depuis 1845, frappe régulièrement les cultures du précieux tubercule, aurait probablement compromis son extension sur tout le vieux continent.
Phytophthora infestans. Photo :

Phytophthora infestans. Photo :

Vers 1536, Pedro de Cieza de Leon avait constaté que les Indiens Chibcha se nourrissaient de racines formées de tubercules. De retour en Espagne, il raconta ses souvenirs en 1553 dans la chronique espagnole du Pérou. En 1560, les premières pommes de terre (Solanum tuberosum) arrivaient à Séville dans le sillage des bateaux rapportant les trésors de l'Amérique tout juste découverte. Une autre introduction fut le fait de l'amiral anglais Raleigh qui, au XVIIe siècle, l'importa avec succès en Irlande. La pomme de terre passa ensuite d'Irlande en Angleterre avant d'aborder le continent par la Flandre puis l'Allemagne, la Suisse et finalement la France.

Remède et poison

Sa dissémination en Europe connut des fortunes diverses. Elle fut considérée comme un remède bénéfique (le roi d'Espagne Philippe II en envoya au pape Pie IV qui souffrait de la goutte), mais aussi comme plante d'ornement, ou tantôt, moins glorieusement, comme nourriture aux cochons sous le nom de taratouffli (petite truffe). En France, au XVIIIe siècle, ce tubercule fut accusé de véhiculer la lèpre ou pire, fut catalogué parmi les poisons. Son apparence ne plaidait pas en sa faveur la botanique classant la pomme de terre comme cousine de la mandragore, de la belladone et du datura de triste réputation. De plus, en pourrissant présente un aspect noir repoussant et exhale une odeur pestilentielle.

En France, il faudra l'obstination d'Antoine Parmentier pour faire adopter la pomme de terre comme aliment : « Je sais qu'on a déjà beaucoup écrit sur la culture et sur les avantages économiques des pommes de terre ; mais ce sujet est du nombre de ceux dont on ne saurait trop parler, puisqu'il intéresse la nourriture du peuple. » Parfois appelée parmentière, la pomme de terre, dont le nom fut définitivement adopté par Duhamel du Monceau en 1762, connut le succès entre 1789 et 1892, et les surfaces cultivées passèrent de 4 500 ha à 145 000 ha !

Selon l'étude de von Martius sur les maladies de la pomme de terre, en 1842, le mildiou n'existait pas en Europe alors qu'il était déjà bien établi dans les cultures d'Amérique du Nord. En 1845, il déferla sur le Vieux Continent. Les fermiers des Flandres, des Pays-Bas et du nord de la France signalèrent les symptômes d'une nouvelle maladie favorisée par les conditions climatiques de l'été de cette année. Une bataille s'ensuivit entre les tenants d'une affection due à un champignon et les partisans d'une affection liée à des causes physiques, voire surnaturelles. Le mildiou fut présent en août 1845 en Île-de-France. Élisée Lefevre présenta des symptômes lors d'une séance de la Société royale et centrale d'agriculture pour conclure qu'elle « ne paraît nullement être à l'origine de cryptogames ». Toutes les hypothèses circulèrent : pour certains, cette maladie était le fait « d'une causalité climatique et d'un excès d'humidité », pour d'autres, il s'agissait de phénomènes électriques, à Bonn pour les paysans, cette maladie était la conséquence de l'érection d'une statue en l'honneur de Beethoven. Le grand Justus von Liebig lui-même s'en mêla, considérant cette maladie comme une conséquence de la stagnation du suc de la plante dans des conditions de trop forte humidité !

Un agent causal définitivement identifié

D'abord nommé Botrytis devastatrix par Charles Morren en 1844, il fut repris par une des premières femmes phytopathologiste, Marie-Anne Libert, comme Botrytis vastatrix, puis comme B. infestans par Camille Montagne. Heureusement, plusieurs mycologues, dont le révérend Miles Berkeley, s'opposèrent à l'idée que cette maladie était due à une cause physique et poursuivirent l'idée de C. Montagne d'une infection d'origine cryptogamique. Finalement il faudra attendre les travaux d'Anton de Bary en 1861 pour connaître le cycle complet du mildiou et pour que son agent causal soit définitivement identifié en 1876 comme Phytophthora (littéralement, qui détruit les plantes) infestans.

Pendant cette bataille scientifique, en 1846 en Irlande, l'épidémie de mildiou de la pomme de terre fit des ravages dans la population. On estime qu'au cours de l'hiver 1846-1847, la famine qui suivit cette épiphytie entraîna le décès de près d'un million de personnes par inanition, dysenterie ou typhus. Elle contraint à l'exil un autre million vers les États-Unis et l'Angleterre dont un quart mourut dans l'année qui suivit leur départ.

Moins connu est le rôle que joua le mildiou de la pomme de terre dans la conclusion de la Première Guerre mondiale. Le cuivre qui servait pour prémunir les cultures de cette maladie était monopolisé à des fins militaires et le mildiou qui sévit en Allemagne en 1916 ne put être jugulé entraînant des pénuries alimentaires dans la population allemande. Cette situation affecta profondément le moral des troupes, au point de différer l'offensive allemande de 1917. Peut-être le mildiou contribua-t-il ainsi à la fin du conflit ?

On peut s'interroger sur l'absence de mildiou pendant près de 300 ans entre 1560 et 1844 et sur les causes de son arrivée en Europe. Toujours est-il que si les « parmentières » avaient été contaminées au XVIe siècle, Parmentier n'aurait pas pu organiser ses célèbres dîners dont les plats étaient tous à la gloire de la pomme de terre et qui comportaient deux sortes de pain, « celui mêlé de pulpe de pomme de terre et de farine de froment représentait assez bien le pain mollet et le second fait de pulpe de pomme de terre, avec leur amidon, portait le nom de pain de pate ferme »... et aujourd'hui nous n'aurions point de hachis Parmentier dans nos assiettes.

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