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Sur le métier

Cédric Ernenwein fabrique des adjuvants pour les producteurs

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°749 - décembre 2021 - page 48

Mettre au point des adjuvants extemporanés, telle est la mission de Cédric Ernenwein chez SDP. En France, cinq à six ans sont nécessaires entre le démarrage d'un projet et la commercialisation d'un nouvel adjuvant. Cela passe par la mise au point de plusieurs prototypes, des tests en laboratoire, sous serre puis en plein champ pour ne retenir qu'un candidat pour lequel un dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) sera déposé à l'Anses.
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

Après 17 ans passés chez ARD(1) et Wheatoleo(2), Cédric Ernenwein est entré dans le monde des adjuvants en 2014 en tant que directeur recherche et innovation chez SDP à Laon (Aisne). Sa mission : mettre au point des adjuvants extemporanés(3) pour les producteurs. Fabricant d'adjuvants et de fertilisants foliaires, la société SDP compte aujourd'hui environ 70 collaborateurs dont dix en R&D. Elle a été rachetée en 2018 par Rovensa présent dans de nombreux pays en protection des cultures, nutrition des plantes et biocontrôle. « En France, nous avons un savoir-faire et des adjuvants à haute valeur ajoutée, souligne Cédric Ernenwein. Le challenge est de dupliquer ce modèle dans le monde, avec des conditions d'utilisation complètement différentes. »

Prototypes

Un adjuvant est une préparation dépourvue d'activité phytopharmaceutique qui, ajoutée aux traitements de protection des plantes, renforce leur efficacité et autres propriétés physico-chimiques. La gamme de SDP comprend six adjuvants et une dizaine d'AMM pour l'Hexagone ; elle est beaucoup plus large au niveau international. Tout commence par la définition d'un cahier des charges : quelles fonctions veut-on obtenir, pour quels PPP, quels usages... L'adjuvant contient très souvent un tensioactif, molécule à la fois hydrophile et hydrophobe. La feuille d'une plante a en effet une nature lipophile : elle repousse l'eau. L'objectif de l'adjuvant est donc de faire le lien entre la feuille lipophile et la bouillie de pulvérisation hydrophile pour mieux retenir le PPP ou le faire pénétrer et ainsi réduire les pertes. Historiquement d'origine chimique, les matières premières utilisées par Cédric Ernenwein et son équipe sont de plus en plus biosourcées. Pour chaque projet, une dizaine de prototypes dotés de plusieurs propriétés sont ainsi formulés.

Tests en labo et sous serre

Toute une batterie de tests attend ensuite les candidats, tout d'abord au laboratoire pour mesurer leurs propriétés technico-fonctionnelles, puis sous serre sur plantes en pot. « Nous sommes quasiment les seuls en France à avoir une serre expérimentale dédiée aux adjuvants avec un banc d'essai pour obtenir des tests représentatifs des conditions au champ en termes de vitesse de pulvérisation et de volumes appliqués. » Le pouvoir de rétention est testé sur des feuilles-modèles difficiles à mouiller comme la folle avoine ou le colza. Une pluie de 5, 10 ou 20 mm peut être reproduite pour mesurer la résistance au lessivage de l'adjuvant. Ensuite, son efficacité est testée avec les PPP. Des courbes effet/dose sont établies pour les herbicides. « Obtenir une réduction de 2 à 2,5 fois la dose d'herbicide, tout en maintenant une très bonne efficacité de celui-ci, constitue un bon résultat. » Les tests avec fongicides sont plus complexes à conduire car il faut maîtriser le champignon pathogène, son inoculation sur les plantes... « Nous avons beaucoup travaillé sur la septoriose et la fusariose du blé avec UniLaSalle Beauvais. Un partenariat est en cours pour le mildiou de la vigne. » À la fin, seuls deux à trois prototypes poursuivront les essais en micro-parcelles au champ.

Essais au champ

Leur efficacité et leur intérêt technico-économique sont alors vérifiés en conditions réelles. « En phase de constitution du dossier de demande d'homologation, les essais sont sous-traités car ils doivent être BPE(4) et réalisés avec tous les PPP visés, sous différentes conditions climatiques. Beaucoup sont effectués avec un pulvérisateur à dos, ce qui n'est pas représentatif des traitements réalisés par l'utilisateur. Mais c'est encore la méthode utilisée largement lors des essais BPE utiles aux dossiers de demande d'AMM. Or l'adjuvant a sa raison d'être si la vitesse réelle de pulvérisation est prise en compte. Pour cela, nous nous sommes équipés d'un quad pour mieux discriminer les adjuvants au champ. »

Homologation

Douze à dix-huit mois s'écoulent entre le démarrage du projet et le début de la constitution du dossier d'homologation. Deux ans d'essais BPE au champ sont ensuite nécessaires. Parallèlement, des tests toxicologiques et écotoxicologiques sont conduits, un peu plus allégés que pour les produits phyto. Une fois le dossier déposé, l'Anses rend son avis sous deux ans environ, soit un total de cinq à six années avant la commercialisation du nouvel adjuvant avec un coût de 500 000 à 700 000 €. « Trois personnes sont dédiées aux questions réglementaires car les exigences évoluent continuellement et sont de plus en plus contraignantes, sans compter que pour vendre au niveau international, il faut s'adapter à la réglementation de chaque pays, même en Europe où il n'existe pas d'harmonisation. »

Nouveaux défis

L'adjuvant est devenu aujourd'hui un outil qui peut accompagner la réduction des PPP et de leur impact. « C'est une opportunité pour nous, mais il faut qu'en amont, il soit neutre d'un point de vue environnemental et sans risque, d'où l'intérêt d'utiliser des molécules biosourcées. » Cédric Ernenwein et son équipe vont devoir également créer des adjuvants adaptés aux techniques de pulvérisation de demain, notamment le drone qui va traiter de façon très précise avec un volume d'eau réduit. Les adjuvants doivent aussi accompagner le développement des produits de biocontrôle en augmentant leur efficacité. Ce sont donc de multiples défis qui attendent Cédric Ernenwein et son équipe !

(1) Agro Industrie Recherches et Développements. (2) Structure issue d'ARD fabriquant des tensioactifs. (3) Qui s'ajoutent aux produits phyto au moment de la préparation de la bouillie.(4) Bonnes pratiques d'expérimentation.

BIO EXPRESS

CÉDRIC ERNENWEIN

1995. Maîtrise en chimie à l'Université Reims Champagne-Ardenne (URCA) à Reims (Marne)

1997. Technicien supérieur en chimie verte et chimie des sucres chez ARD à Pomacle (Marne)

2002. DESS en physico-chimie des surfaces à l'UTC à Compiègne (Oise)

2003. Chef de projet R&D chez ARD puis Wheatoleo à Pomacle (Marne)

Depuis 2014. Directeur recherche et innovation chez SDP à Laon (Aisne)

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