Fig. 1 : Présentation d'une parcelle expérimentale (programme Zerrac) et des deux transects de suivi des micromammifères définis dans chaque sous-parcelle
Il est nécessaire de développer des méthodes alternatives aux rodenticides face au campagnol des champs Microtus arvalis. Photo : Fredon BFC
Fig. 2 : Densité relative de campagnols des champs mesurée avant hersage sur les huit parcelles de 2017 à 2021, toutes modalités confondues - Prog. Zerrac
Fig. 3 : Densités relatives de campagnols des champs « après hersage » et différence de densités relatives de campagnols « après/avant » hersage, en fonction des densités « avant hersage » et de la modalité « herse » ou « contrôle » Dans les deux figures, les courbes verte et rouge représentent les tendances prédites entre les deux variables à partir d'un GLM binomial pour les modalités « contrôle » et « herse », respectivement. Ici, l'effet aléatoire n'a pas été inclus dans le modèle prédictif pour simplifier la représentation. Dans la Figure 3B, une différence « après/avant » positive signifie que la densité relative a augmenté entre les comptages ; si cette différence est négative, la densité a diminué. Les valeurs seuils de densité relative pour les modalités « herse » (2,9 % en rouge) et « contrôle » (6,8 % en vert) sont représentées.
Fig. 4 : Variations temporelles des densités relatives de campagnols des champs (en %) « avant hersage » pour cinq parcelles suivies (BD, BF, BJ, FE et FN) pour la modalité « contrôle » en vert et la modalité « herse » en rouge de 2017 à 2020 Chaque mesure de densités est matérialisée par un rond rouge ou vert en fonction de la modalité. Les flèches et dates en bleu matérialisent les passages de herse dans la modalité « herse ». À noter que l'échelle de l'axe des ordonnées change entre les parcelles.
Dans un contexte de transition vers une agriculture durable, l'agriculture de conservation des sols (ACS) est une alternative d'avenir reposant sur une gestion plus écologique des agrosystèmes cultivés et des services écosystémiques associés. Cette pratique a cependant pour inconvénient de favoriser les pullulations de campagnols des champs. Dans le département du Jura, un groupe d'agriculteurs engagés en ACS s'est posé la question de l'impact de la herse sur les populations de campagnols des champs afin de réduire l'usage de rodenticide.
L'agriculture de conservation des sols
Une alternative durable...
L'ACS est définie par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture comme une agriculture reposant sur une forte réduction, voire une suppression du travail du sol, une couverture végétale permanente (semis direct sous couvert végétal) et des successions culturales diversifiées. Les bénéfices sont multiples puisque l'ACS permet :
- d'augmenter les taux de matière organique dans les sols grâce aux résidus de cultures et d'intercultures ;
- de préserver la biodiversité et l'activité biologique des sols, donc de favoriser la minéralisation de cette matière organique et la porosité verticale des sols ;
- de limiter l'érosion des sols et l'évaporation de l'eau.
Pour les agriculteurs, ce type de conduite entraîne une réduction de la consommation d'énergie fossile et du temps de travail, alors que les rendements sont améliorés ou diminués suivant la culture considérée et le contexte.
Dans le monde, les surfaces conduites en ACS sont passées de 45 millions d'hectares en 1999 à 180 millions d'hectares en 2016 (soit 12,5 % de la surface arable totale). En France, comme dans le reste de l'Europe, si les surfaces de grande culture conduites en ACS ont augmenté de 50 % entre 2009 et 2015, elles restent peu développées avec 4 % de la surface arable totale. Pourtant, les plus récentes estimations suggèrent un potentiel de développement allant de 41 % à 94 % de la surface arable totale européenne.
Une alternative sous contrainte
L'ACS ne présente pas que des bénéfices. L'usage d'herbicides est plus important qu'une culture conduite en conventionnel, puisque lié, d'une part, à une pression plus élevée des adventices et, d'autre part, à la nécessité de « brûler » les couverts végétaux avant chaque semis. La transition d'une conduite conventionnelle en ACS voit également une baisse de rendements de l'ordre de 3,7 % en climat tempéré. De plus, elle nécessite l'achat de matériel spécifique représentant un investissement coûteux. Enfin, la mise en oeuvre de l'ACS peut être freinée par l'augmentation des densités de limaces liée à la rétention de l'humidité due au maintien des résidus de cultures en surface et par les pullulations de campagnols des champs (Microtus arvalis) qui entraînent des dégâts aux cultures.
Des densités de campagnols plus élevées en ACS
Dans les zones de production céréalière ou herbagère, des pullulations de campagnols des champs sont observées dans toute l'Europe. Lors d'une pullulation, la densité peut atteindre 2 000 campagnols des champs par hectare avec des pertes de rendements atteignant 80 %. Les facteurs qui contrôlent l'apparition souvent cyclique (deux à cinq ans) des pullulations et qui font que le campagnol des champs devient un bioagresseur restent mal connus. Dans les agrosystèmes conduits en ACS, les modèles théoriques (par exemple le modèle Trim) et les constats empiriques montrent que les densités de campagnols sont plus élevées que dans les systèmes conventionnels du fait de l'absence de labour et de couvert végétal permanent. En France, les suivis mis en place par le laboratoire Chrono-Environnement et Fredon-Bourgogne Franche-Comté (BFC) suggèrent des pullulations cycliques de campagnols des champs avec une périodicité de quatre ans dans une zone expérimentale conduite en ACS (programme Zerrac financé par Écophyto 2).
En France, le campagnol des champs est classé comme organisme nuisible au titre de l'article L. 251-3 du code rural et de la pêche maritime (arrêté du 16 avril 2020) (voir article p. 14-17) au regard des pertes économiques qu'il engendre. Différents moyens de lutte sont utilisés pour limiter son impact. Jusqu'à présent, les méthodes de lutte contre les rongeurs déprédateurs reposent principalement sur l'utilisation de deux types de produits phytopharmaceutiques, les rodenticides anticoagulants (bromadiolone autorisée jusqu'en décembre 2020 en France) ou asphyxiants (phosphure de zinc Zn3P2). Si les quantités de substances actives vendues annuellement en France restent faibles comparées à d'autres produits phytopharmaceutiques, elles présentent un risque très élevé pour la faune non-cible du fait de leur forte toxicité. Il est donc nécessaire de développer des méthodes alternatives aux rodenticides.
Le programme Zerrac
Un programme de recherche pour évaluer l'efficacité d'une herse
À l'heure actuelle, peu d'études existent sur l'efficacité d'un travail superficiel du sol comme méthode de lutte alternative. Dans une étude conduite dans le nord-ouest de l'Espagne, Roos et al. montrent l'absence de campagnols des champs dans des parcelles à travail du sol profond ou superficiel alors que les parcelles non labourées sont colonisées par le rongeur. Dans l'est de la France, l'efficacité du déchaumeur à travail vertical à réduire les densités de campagnols des champs a été démontrée.
Dans le cadre du plan Écophyto 2 et en s'appuyant sur l'expérience acquise dans la gestion du campagnol terrestre (Arvicola amphibius) dans les prairies permanentes, Fredon BFC, la Draaf BFC, la chambre d'agriculture du Jura et le laboratoire Chrono-Environnement ont créé en 2016 la Zone expérimentale de régulation des rongeurs en agriculture de conservation (Zerrac) (département du Jura) avec huit exploitations agricoles engagées en ACS. Deux objectifs ont été poursuivis dans le programme Zerrac :
- mettre en place un suivi des populations de campagnols des champs sur le long terme afin de mieux appréhender leurs dynamiques spatiales et temporelles dans un paysage de grandes cultures privilégiant le semis direct ;
- concevoir et expérimenter des méthodes de lutte alternatives et/ou complémentaires à l'utilisation de rodenticide.
L'étude présentée ici a pour but d'évaluer l'effet d'un outil de travail superficiel du sol (1 à 2 cm), la herse Magnum, avant semis, sur les populations de campagnols des champs à court terme (deux à douze semaines) et à moyen terme (quatre ans), ceci dans un contexte de grandes cultures conduites en semis direct. Étant donné que l'un des piliers de l'ACS est de préserver la biodiversité et l'activité biologique des sols, l'effet du hersage sur les abondances de vers de terre a également été mesuré.
Le dispositif d'expérimentation du programme Zerrac
La zone d'étude est située dans le Finage dolois, dans la commune de Saint-Aubin (département du Jura). Ce territoire correspond à une zone de grandes cultures (céréales, colza, maïs, cultures fourragères) localisée dans une plaine alluviale (altitude : 190 m) bordée par les cours d'eau de la Saône et du Doubs.
Le dispositif expérimental est composé de huit parcelles de 4 à 10,3 ha conduites en semis direct depuis au moins un an au début de l'étude. La distance minimale entre ces parcelles est de 1 km. Chaque parcelle est divisée en quatre sous-parcelles gérées selon deux modalités : une modalité « contrôle » où aucun passage de herse n'a été effectué et une modalité « herse » où au moins un passage de herse a été effectué à chaque saison culturale (Figure 1).
La herse Magnum (photos 1 à 3) de la marque Eco-Mulch est un outil polyvalent qui permet un travail superficiel du sol sur une profondeur constante d'environ 1 à 2 cm.
L'emplacement des modalités a été choisi en accord avec les agriculteurs pour correspondre aux contraintes inhérentes à l'utilisation de la herse. Il n'a pas évolué pendant la durée de l'étude de 2017 à 2021. Pour chaque parcelle, la culture et la rotation réalisées ont été laissées aux choix des agriculteurs. Aucun traitement rodenticide n'a été réalisé pendant l'étude.
Méthodes de suivi des campagnols des champs et des vers de terre
Évaluation des densités relatives de campagnols des champs
Les densités relatives de campagnols des champs ont été évaluées à l'aide d'une méthode de transect adaptée de Delattre et al. : un transect de 5 m de large a été divisé en intervalles de 10 m de long et la proportion d'intervalles positifs d'indices récents (couloir de circulation et/ou trous et/ou fèces et/ou grignotage) a été considérée comme un indice d'abondance.
Dans chaque sous-parcelle, deux transects de suivi ont été définis (Figure 1) et la densité relative de campagnols des champs a été exprimée en pourcentage d'intervalles positifs en regroupant, au sein d'une même sous-parcelle, les données issues des deux transects.
À chaque saison culturale, trois suivis ont été réalisés dans les différentes sous-parcelles comme suit :
- un suivi « avant herse » correspondant à une évaluation des densités de campagnols des champs entre 0 et 34 jours avant le passage de la herse ;
- deux suivis « après herse » correspondant à une évaluation des densités de campagnols des champs entre 16 et 85 jours après le passage de la herse. Ces deux suivis permettent de prendre en compte, dans un premier temps, la période de gestation des femelles (21 jours) et donc le renouvellement des populations. Dans un deuxième temps, la culture étant alors bien développée, il correspond à la prise en compte d'un apport alimentaire favorable aux campagnols. Dans les différentes sous-parcelles, les deux suivis ont été espacés de 15 à 69 jours.
Évaluation de l'abondance de vers de terre
En avril 2021, un suivi a été réalisé sur chaque parcelle dans les modalités « herse » et « contrôle ». Le protocole « bêche » de l'Observatoire participatif des vers de terre a été utilisé pour évaluer les abondances de vers de terre en échantillonnant six blocs de sol par modalité.
Analyses des données
Effet de la herse sur les populations de campagnols des champs
L'effet de la herse sur les populations de campagnols des champs a été évalué à court terme au cours d'une même saison culturale (maximum douze semaines) et à moyen terme (sur quatre ans).
À court terme, il a été testé grâce à un modèle linéaire généralisé binomial à effet mixte (GLMM) expliquant les densités relatives de campagnols des champs mesurées après le passage de la herse par :
- les densités relatives de campagnols des champs mesurées avant le passage de la herse ;
- le nombre de jours entre la date de suivi « après herse » et la date de hersage ;
- la modalité de chaque sous-parcelle.
Dans une même parcelle, le nombre de jour après hersage de la modalité « contrôle » a été calculé à partir de la date de passage de herse dans la modalité « herse ». L'identifiant de chaque parcelle a été intégré comme effet aléatoire.
Pour l'analyse à moyen terme, seules les densités relatives mesurées lors des suivis avant passage de herse ont été prises en compte dans les parcelles où un passage de herse a été réalisé au moins trois années sur les quatre années suivies de 2017 à 2020. En raison d'un effectif limité, aucune analyse statistique n'a été réalisée et les données par parcelle ont été analysées et discutées en termes indicatifs sur la base des seules représentations graphiques.
Effet de la herse sur l'abondance de vers de terre
La différence d'abondance de vers de terre entre les modalités « contrôle » et « herse » a été testée grâce à un GLMM avec une fonction de lien de Poisson. L'identifiant de chaque parcelle a été intégré comme effet aléatoire. Les analyses statistiques et les graphiques ont été réalisés avec le logiciel R version 4.1.2 et la librairie lme4.
Des densités relatives de campagnols faibles au cours de l'étude
Globalement, les densités relatives de campagnols des champs mesurées avant hersage sur les huit parcelles d'étude sont restées faibles entre 2017 et 2021. La médiane de l'ensemble des suivis réalisés est de 1,3 %, et 64 % des densités relatives mesurées avant hersage au cours des cinq années de suivi sont inférieures à 10 % (Figure 2).
Un effet positif de la herse à court terme sur les populations
Des densités inférieures de 3 % à 9,4 % avec le hersage
Les densités relatives de campagnols des champs « après hersage » sont significativement inférieures dans les sous-parcelles hersées que dans les contrôles (GLMM, P < 2*10-16 ; Figure 3A). Le nombre de jours après hersage (entre 16 et 85 jours) n'a aucun effet significatif sur la différence de densités relatives de campagnols des champs « après/avant hersage » (GLMM, P = 0,455).
Les densités de campagnols des champs « avant hersage » influencent la variation de densités « après/avant hersage » (GLMM, P < 2*10-16 ; Figure 3B).
Pour des densités relatives de campagnols des champs « avant hersage » faibles, les densités « après hersage » augmentent dans les deux modalités mais cette croissance de population est moins importante dans les sous-parcelles hersées. Par exemple, pour une densité théorique « avant hersage » de campagnols des champs de 1 %, la population augmente de 4,8 % dans la modalité « contrôle » et de 1,8 % dans la modalité « herse », soit une efficacité du hersage à limiter l'augmentation de la population de 3 %.
À partir d'une densité seuil « avant hersage » de 2,9 %, la population de campagnols des champs augmente dans la modalité « contrôle » (différence « après/avant » positive ; Figure 3B) alors qu'elle diminue dans la modalité « herse » (différence « après/avant » négative ; Figure 3B). Au-dessus d'une densité seuil « avant hersage » de 6,8 %, la population de campagnols des champs décroît dans les deux modalités mais cette décroissance est plus importante dans les sous-parcelles hersées (Figure 3B). Par exemple, pour une densité théorique « avant hersage » de 45 %, la diminution de la population de campagnols est de 25,5 % dans la modalité « contrôle » et de 34,9 % dans la modalité « herse » (Figure 3B). À ces fortes densités initiales de campagnols des champs, le hersage a une efficacité à réduire les populations de campagnols de 9,4 %.
Ainsi, le passage de la herse Magnum avant semis permet de limiter les populations de campagnols des champs à court terme. Quelles que soient les densités relatives initiales, le hersage perturbe la dynamique des populations de campagnols des champs, soit en limitant l'augmentation des effectifs, soit en favorisant leur diminution au-dessus d'une densité initiale seuil de 2,9 %. Cet effet peut sembler modeste, mais il est significatif. Des études complémentaires montreront si, à lui-seul, il permet le contrôle d'une pullulation, ou s'il doit faire partie d'une palette de méthodes de lutte plus nombreuses type « boîte à outil », comme pour le campagnol terrestre.
Effet du travail du sol sur les densités de campagnols
Ces résultats sont en accord avec des travaux précédents qui montrent que les densités de campagnols des champs sont plus faibles dans des systèmes de production faisant l'objet d'un travail du sol réduit ou conventionnel. Concernant le contrôle des populations de campagnols des champs présentes dans des cultures conduites en semis direct, Blanchet et al. ont montré que l'utilisation d'un déchaumeur à travail vertical sur 2 à 5 cm de profondeur entraîne une baisse de densité relative de campagnols des champs après neuf jours de 14 % et 23 % selon qu'un ou deux passages ont été réalisés, respectivement. Dans cette étude, la densité initiale de campagnols des champs était de l'ordre de 36 %, donc proche des plus fortes densités initiales rencontrées dans notre étude (45 %). À ce niveau de densités initiales, la diminution obtenue avec ce déchaumeur est plus de deux fois supérieure à celle mesurée dans le programme Zerrac, si bien que ce déchaumeur s'avère plus efficace que la herse Magnum pour contrôler les campagnols des champs à très court terme. Cependant, l'efficacité du déchaumeur à travail vertical à contrôler les populations de campagnols des champs n'a pas été mesurée au-delà de neuf jours, alors que nous montrons que l'effet induit par la herse Magnum dure pendant au moins douze semaines.
Un effet de la herse à moyen terme sur les campagnols ?
Au total, cinq parcelles ont été retenues pour évaluer l'effet de la herse à moyen terme sur les populations de campagnols des champs, les trois autres parcelles n'ayant pas bénéficié d'au moins trois passages de herse sur les quatre années de suivi (2017-2020).
Dans les cinq parcelles, les densités relatives de campagnols des champs de la modalité « herse » sont supérieures (4/5) ou égales (1/5) à celles de la modalité « contrôle » lors du premier suivi. Au cours du dernier suivi réalisé après deux ou trois ans, les densités des sous-parcelles hersées sont inférieures à celles de la modalité « contrôle » pour quatre parcelles (BF, FE, FN et BD). Dans ces quatre parcelles, les densités relatives de campagnols des champs passent en dessous de celles de la modalité « contrôle » après 6 à 24 mois (Figure 4). Dans la parcelle BJ, les densités relatives de la modalité « herse » restent supérieures à celles du contrôle pendant les deux premières années puis deviennent équivalentes lors du dernier suivi (Figure 4).
Ainsi, le passage de la herse Magnum semble efficace pour limiter les populations de campagnols des champs à moyen terme, au cours des quatre années de suivi (2017 à 2020). Si ces résultats suggèrent la capacité potentielle d'un hersage régulier et annuel à limiter l'amplitude de la dynamique de population des campagnols des champs, d'autres expérimentations dimensionnées de façon à permettre l'analyse statistique des données devront être menées afin de tirer des conclusions robustes.
Effet de la herse à moyen terme sur l'abondance de vers de terre
Cette étude est la première qui présente une expérimentation de travail du sol comme méthode de lutte contre les campagnols des champs, tout en mesurant conjointement l'impact de ce travail sur les densités de vers de terre. Si plusieurs travaux montrent qu'en absence de travail du sol, les densités de vers de terre sont plus élevées dans les parcelles, cette étude montre qu'un hersage superficiel pendant au moins cinq ans n'a pas d'effet négatif sur les densités de lombrics. En effet, l'abondance de vers de terre dans la modalité « contrôle » (médiane = 51) n'est pas significativement différente de celle de la modalité « herse » (médiane = 51) (GLMM, P = 0,3 ; Figure 5).
Les vers de terre jouent un rôle clé dans le maintien de l'activité biologique des sols, qui est un des piliers de l'ACS. De ce point de vue, la herse Magnum est donc un outil compatible avec les pratiques de semis direct.
Des travaux à poursuivre
Une efficacité à vérifier sur de fortes densités
Les résultats obtenus sont donc encourageants pour envisager l'usage de la herse Magnum parmi les alternatives à l'usage de rodenticides respectant les principes de l'ACS. L'efficacité de la herse Magnum à contrôler les populations de campagnols des champs, démontrée à court terme (douze semaines) et suggérée à moyen terme (quatre ans), est un résultat particulièrement recherché par les agriculteurs engagés en semis direct (voir encadré ci-dessous). Si une utilisation préventive de la herse est à privilégier, à faible ou moyenne densité relative de campagnols des champs donc avant l'apparition de dégâts trop importants aux cultures, son efficacité curative dans le cas de très fortes densités de campagnols des champs reste à vérifier. En effet, malgré des suivis réalisés pendant cinq années, les densités relatives de campagnols des champs sont restées faibles, globalement inférieures à 10 %, et sans pic de pullulation marqué, alors que les suivis réalisés depuis 2016 suggèrent une cyclicité des populations, avec des pics survenant tous les trois à quatre ans dans la zone d'étude. La réelle efficacité de la herse Magnum à limiter les populations de campagnols des champs en présence de densités élevées, et donc à prévenir les éventuelles pullulations et les dégâts importants aux cultures, reste encore à prouver.
Comparer l'efficacité de différents outils
Globalement, à travers plusieurs études dont la nôtre, le travail superficiel du sol montre son efficacité contre les populations de campagnols des champs, de façon plus ou moins marquée en fonction des densités initiales. D'autres travaux pourraient être menés pour comparer l'efficacité de différents outils (herse Magnum - 1 à 2 cm - vs déchaumeur à travail vertical - 2 à 5 cm - par exemple) :
- en utilisant des intensités de passage de l'outil variable sur une même culture (un, deux, trois passages par session pour exemple) ;
- en mesurant les densités de campagnols des champs ainsi que les dégâts aux cultures et les rendements, etc. ;
- à court terme, sur une saison culturale, et à plus long terme, pour prendre en compte la dynamique des populations de campagnols des champs.
Proposer une « boîte à outils » pour la gestion du campagnol des champs
D'autres études suggèrent que le type de culture ainsi que les bords de champ (bandes enherbées...) influencent les densités de campagnols des champs et la colonisation des parcelles. Les types de rotations de cultures et d'intercultures pourraient aussi jouer un rôle mais, à notre connaissance, aucune étude n'a été publiée sur le sujet. Enfin, plusieurs projets visant à favoriser la prédation des campagnols des champs dans des zones de grandes cultures sont en cours (voir article p. 18-22).
Tous ces éléments constituent des pistes de réflexion pour repenser le mode de gestion des parcelles conduites en semis direct et ainsi mettre à disposition des agriculteurs une « boîte à outils » préconisant plusieurs méthodes complémentaires de lutte contre les campagnols des champs, comme déjà proposé pour le campagnol terrestre en prairie permanente.
JULIE MONTAZ(1), NICOLAS BLASZCZYK(1), JULES NOWAK(1), AURÉLIEN LEVRET(1), MICHAËL COEURDASSIER(2), PATRICK GIRAUDOUX(2) ET GEOFFROY COUVAL(1) (2) (1) Fredon Bourgogne Franche-Comté, École-Valentin. (2) UMR Chrono-Environnement, Université de Bourgogne Franche-Comté
RÉSUMÉ
CONTEXTE - En France, l'agriculture de conservation des sols (ACS) constitue une alternative d'avenir reposant sur une gestion plus écologique des agrosystèmes cultivés et des services écosystémiques associés. Cependant, en absence de labour du sol et avec une couverture végétale permanente, des pullulations de campagnols des champs, Microtus arvalis, sont fréquemment observées.
Afin de limiter l'usage des rodenticides, il apparaît urgent de développer des méthodes alternatives telles que le travail superficiel du sol.
ÉTUDE - Huit parcelles conduites en semis direct ont été choisies dans le Jura pour évaluer l'effet de la herse Magnum sur les densités de campagnols des champs et de vers de terre.
RÉSULTATS - Le passage de la herse Magnum avant semis permet de limiter les populations de campagnols des champs à court terme (au moins douze semaines), voire à moyen terme (quatre ans), pour des faibles densités initiales de campagnols des champs (< 10 %). En adéquation avec les principes de l'ACS, aucun effet n'a été constaté sur les densités de vers de terre.
MOTS-CLÉS - Campagnol des champs, Microtus arvalis, agriculture de conservation, herse Magnum.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : gcouval@fredonbfc.fr
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (27 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).
REMERCIEMENTS
à Thomas Muller, Arnaud Breton, Franck Butavant, Didier Fontaine, Emmanuel Fontaine, Nicolas Fontaine, Denis Bachut et Jean-Marc Bougaud, agriculteurs à Saint-Aubin et Tavaux, qui ont mis à disposition leur parcelle pour l'expérimentation et ont réalisé les travaux agricoles.
À Julie Petiteau et Florian Bailly-Maître, de la chambre d'agriculture du Jura, Christian Barneoud et Jean-Michel Antoine, de la chambre régionale d'agriculture de Bourgogne Franche-Comté.
Cette étude a été réalisée grâce aux financements de l'Office français de la biodiversité, dans le cadre du plan Écophyto 2 et du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.
Témoignage des agriculteurs engagés
Après cinq années d'utilisation de la herse Magnum, plusieurs agriculteurs témoignent de son effet positif sur les populations de campagnols des champs. Selon Franck Butavant, « elle aurait un petit effet car le fait de venir gratter les galeries et les chemins en surface, cela les perturbe pendant quelque temps ».
D'après Emmanuel Fontaine, « ... c'est l'intensification des passages de herse qui fait l'effet... ». Par exemple, en réalisant le même jour trois passages successifs de la herse dans des sens différents sur une parcelle infestée de campagnols des champs, Emmanuel a réussi à réduire la densité des populations. Selon lui, cette parcelle n'était clairement pas semable sans intervention ou alors il aurait eu d'importants dégâts.
De plus, pour lui, même si les densités de campagnols des champs sont restées faibles au cours de l'étude, il s'agit d'un critère à prendre en compte en semis direct. « Dans ce système, le niveau d'acceptation de densité de campagnols est 0 % donc même si, en passant la herse, nous passons de 2 % à 1 %, cela nous permet d'agir dès les débuts d'éventuelles pullulations et d'éviter une catastrophe les années futures. J'étais donc ravi de pouvoir éprouver la herse même si je pense que nous pouvons encore faire mieux en intensifiant son passage. »
Pour Arnaud Breton, en accord avec Emmanuel, la herse a aussi un effet agronomique positif sur la décomposition des pailles. « En mettant les chaumes à plat, on les défibre, on commence à les attaquer mécaniquement et une fois rendues au sol, elles se dégradent plus vite. » La prédation est également favorisée, car cela limite les tas de chaumes sous lesquels les campagnols trouvent refuge.
Cependant, pour la plupart des agriculteurs, la herse présente des limites : notamment l'impossibilité de la passer par temps humide et l'éventuel risque de faire germer des adventices après son passage.