Écidies (photos 4 et 5) et écidiospores (microscope x 400) (photo 6) de Puccinia graminis sp. sur Berberis vulgaris.
Fig. 2 : Signalements de rouille noire sur blé en France en 2021 et répartition de Berberis vulgaris en France A. Carte des signalements de rouille noire sur blé en France en 2021. 53 sites différents pour un total de 96 signalements, parmi lesquels 74 remontés par Arvalis et 22 par Inrae. De un signalement (jaune pâle) à six signalements (rouge vif) par département. Les points indiquent le groupe génétique ou la race identifiée à partir de 37 échantillons issus de 26 sites (Hovmøller et al., 2022) : « clade IV-B » (bleu) ou « clade IV-F » (gris). B. Aire de répartition de Berberis vulgaris en France (source : www.tela-botanica.org).
Fig. 3 : Simulation des quantités de sable déposées en Afrique et Europe le 26 avril 2021 Source : Skiron Forecast - University of d'Athens ; https://forecast.uoa.gr/en/forecast-maps/dust/north-atlantic)
Fig. 4 : Écarts estimés du stade floraison (nombre de jours) entre 2021 et la référence (moyenne sur la période 2000-2020) Les variétés de blé tendre et les dates de semis sont régionalisées pour être adaptées aux contextes agro-pédo-climatiques. Données simulées par les modèles Arvalis et les données Météo France.
En 2021, près d'une centaine de signalements de rouille noire ont été remontés en France, en grande partie en provenance de plateformes d'essai. La question de l'endémicité de la maladie se pose : assiste-t-on à un tournant épidémique ? La rouille noire est-elle seulement « de passage » avec une incursion de 2021 exceptionnelle et/ou s'agit-il des prémices d'une « installation » à bas bruit ? La maladie est-elle toujours sporadique ou est-elle en train de devenir endémique ?
État des connaissances Contexte : des décennies d'oubli
La rouille noire (photos 1 à 3) est une maladie probablement aussi ancienne que la culture du blé : les Romains y étaient régulièrement confrontés, au point de pratiquer des sacrifices d'animaux chaque printemps à l'occasion des Robigales, fêtes en l'honneur du dieu Robigus dont ils espéraient apaiser la colère et ainsi protéger les cultures des attaques du champignon parasite Puccinia graminis f. sp. tritici. La maladie a longtemps causé des dommages importants mais elle s'est fait quelque peu oublier en Europe depuis le milieu du siècle dernier. Cette disparition de la rouille noire sur notre continent est le résultat :
- de la quasi-éradication de l'hôte alternant, l'épine-vinette (Berberis vulgaris), dans la plupart des bassins céréaliers (comme ce fut le cas aux États-Unis au milieu du siècle dernier) ;
- du raccourcissement du cycle végétatif du blé se traduisant par des récoltes plus précoces ;
- de l'amélioration variétale.
Jusque dans les années 2010, la rouille noire n'était signalée qu'en Europe centrale (Hongrie, Roumanie, Bulgarie) ou sur des céréales secondaires telles que le seigle. Depuis 2013, les signalements sont plus fréquents, quoique sporadiques, en Sicile, en Allemagne, au Danemark, en Suède, en Angleterre (Saunders et al., 2019), en Irlande (Tsushima et al., 2022) et en Russie (Sibérie). L'année 2021 est apparue comme une année exceptionnelle en France : la rouille noire a en effet été observée sur l'ensemble du territoire pour la première fois depuis plusieurs décennies.
Cette maladie a aussi fait parler d'elle il y a une vingtaine d'années avec la race Ug99, identifiée pour la première fois en Ouganda en 1999. Cette race, caractérisée par sa combinaison de « virulences », a provoqué d'importantes pertes de rendement dans des cultures de blé d'Afrique de l'Est et plusieurs autres pays dans lesquels elle s'est propagée : Kenya, Éthiopie et Soudan. En 2007, elle a traversé le golfe Persique pour atteindre le Yémen, puis l'Iran l'année suivante (Singh et al., 2011). Depuis plusieurs années, des experts du GRRC (le centre de référence mondial sur les rouilles(1)) mettent en garde contre de nouvelles souches plus virulentes (capables de contourner certaines résistances ou combinaisons de résistances) et plus agressives (capables de provoquer plus de symptômes), parmi lesquelles celles appartenant à la race TTTTF qui a atteint la Sicile en 2016.
Biologie et symptomatologie
La rouille noire, causée par Puccinia graminis f. sp. tritici, est macrocyclique (cycle complet à quatre stades) et hétéroïque (passage sur un hôte alternant, Berberis spp.) (Leonard & Szabo, 2005). Les stades urédiniens (II) et téliens (III) s'expriment sur blé (Figure 2) : des pustules, d'un brun sombre rougeâtre, de forme oblongue, apparaissent sept à douze jours après l'infection sur les tiges (allant jusqu'à les faire partiellement éclater), les gaines et parfois les inflorescences. À l'échelle d'un territoire où la rouille est non endémique, les premières infections sont généralement provoquées par le dépôt d'urédospores transportées sur de très longues distances par le vent, dans des masses d'air de haute altitude. La maladie est polycyclique : les urédospores libérées par les premières pustules contaminent des tissus sains voisins et l'attaque s'amplifie. La rouille affecte l'alimentation hydrique de la plante et le remplissage du grain. Dans les régions propices à son développement, les pertes de rendement peuvent être très importantes.
Plusieurs sous-espèces de P. graminis provoquent des symptômes similaires sur d'autres céréales (orge, avoine, seigle) et graminées sauvages entre la fin du printemps et le début de l'automne. Les souches de ces sous-espèces sont spécifiques de leur hôte et incapables d'infecter le blé. Contrairement à d'autres maladies fongiques, comme l'ergot (Claviceps purpurea) ou la fusariose (Fusarium spp.), les graminées adventices ne jouent donc aucun rôle dans le développement des épidémies de rouille noire du blé en Europe.
Le stade écidien (I) de la rouille noire, facultatif, a lieu sur l'épine-vinette présente à l'état sauvage, mais aussi potentiellement sur d'autres espèces ornementales de Berberis spp. (photos 4 à 6). Ces plantes arbustives peuvent être contaminées au début du printemps par des basidiospores issues de la germination de téleutospores produites sur blé et ayant survécu pendant la période d'interculture (Figure 1). Les écidies, qui prennent la forme d'amas de petites coupes orange sont issues de la reproduction sexuée et arrivent à maturité au mois de mai. Elles libèrent, sous forme d'écidiospores, des individus susceptibles de constituer de nouvelles races capables de contourner certaines combinaisons de résistance variétales de blé jusqu'alors efficaces. En France, des écidies sur Berberis spp. ont été sporadiquement détectées (par exemple en 2021 en région parisienne, dans le sud-ouest et l'est de la France, dans les Alpes, etc.). Elles peuvent appartenir à des sous-espèces de P. graminis pathogènes d'autres graminées que le blé. Un échantillonnage sur des Berberis spp. collectés en Europe a été mis en place dans le projet RustWatch mais n'a pas concerné les régions françaises où l'épine-vinette est assez présente (exemple : Côte dijonnaise et Alpes ; Figure 2).
Épidémiologie
Sensible au froid sous sa forme asexuée, la rouille noire survit généralement mal aux hivers froids d'Europe du Nord. Elle est en revanche nettement plus résistante au froid sous sa forme sexuée, sur B. vulgaris. La présence accrue de l'épine-vinette dans certaines régions d'Europe constitue donc un facteur de risque supplémentaire, en permettant la complétude du cycle biologique, avec l'existence locale d'inoculum primaire indispensable au redémarrage des épidémies, mais également un brassage génétique accroissant la capacité d'adaptation des populations aux variétés cultivées. La rouille noire étant dépendante de températures élevées, entre 25 et 30 °C la journée et entre 15 et 20 °C la nuit, et de présence d'eau à l'état liquide, la précocité des variétés actuelles, qui achèvent généralement leur cycle avant l'apparition des conditions climatiques qui leur sont favorables, constitue encore une bonne protection des céréales d'hiver sous nos latitudes. Une augmentation des périodes de sécheresse liées au changement climatique ne serait pas non plus favorable à la rouille noire.
La situation en France en 2021
Bilan de l'enquête et estimation de la prévalence de la rouille noire
Quatre-vingt-seize observations de rouille noire ont été remontées en 2021. La totalité de ces signalements réalisés par les observateurs Inrae et plus de 80 % des signalements réalisés dans le cadre de l'enquête Arvalis proviennent de plateformes d'essais et pépinières ; les autres observations ont été réalisées par des agriculteurs ou des techniciens dans des parcelles agricoles. Cette origine des signalements a pu générer un biais car plusieurs ont été réalisés sur des lignées expérimentales ou des témoins sensibles associés. De nombreuses autres ont toutefois été réalisées sur une quinzaine de variétés commerciales. Sur certaines plateformes, la rouille noire a été observée sur plusieurs lignées. Il est probable que ces plateformes aient été davantage touchées que les parcelles agricoles du fait de la forte sensibilité de certaines lignées témoins ayant pu jouer le rôle de source d'inoculum et de l'absence de traitements fongicides. Le premier signalement a été fait début juin dans le Gers, tandis que les plus tardifs l'ont été dans les départements du nord de la France.
Identification des races et diversité des populations
Les 37 souches collectées en France en 2021 (Figure 2) ont été identifiées par des marqueurs moléculaires dans le cadre de la campagne d'échantillonnage du projet RustWatch (encadré ci-dessous). Elles appartiennent à deux groupes génétiques (clades « IV-B » et « IV-F ») qui englobent trois races (respectivement TKTTF, TTTTF, qui diffèrent par une seule virulence, et TKKTF ; Hovmøller et al., 2022) et peuvent donc être considérées comme partiellement apparentées (populations clonales présentant une faible diversité). Ces deux groupes avaient déjà été détectés en 2019 et 2020 dans des pépinières en Île-de-France, et en 2018 et 2019 en Europe du Sud (Espagne et Italie), où la rouille noire est observée quasiment chaque année depuis l'épidémie sicilienne de 2016. Ces races sont présentes depuis 2014 en Afrique et Asie occidentale(2) et y cohabitaient en 2021 avec d'autres groupes génétiques quant à eux jamais observés en France. À noter que les populations françaises de 2021 sont plus homogènes que dans le sud de l'Espagne, la Suède et la Sibérie, où l'épine-vinette est présente et où les populations sont génétiquement beaucoup plus diversifiées (Hovmøller et al., 2022 ; Villegas et al., 2022).
Origine probable de l'épidémie de 2021
Les signalements de rouille noire du blé, de plus en plus fréquents en Europe au cours des dix dernières années, sont le signe d'une réinstallation progressive de la maladie. Deux principales hypothèses pourraient expliquer sa présence en France en 2021 : origine distante de l'inoculum conférant à cette situation épidémique un caractère exceptionnel ; ou origine locale, avec une probabilité d'observer chaque année la maladie qui dépend des conditions climatiques. La survie locale pourrait se faire sur blé sous forme « clonale » avec une adaptation du champignon aux conditions climatiques actuelles (hivers plus doux en lien avec le changement climatique), ou sur l'hôte alternatif B. vulgaris, moins surveillé que par le passé, tant sous ses formes « sauvages » (incluant des réintroductions dans des haies) qu'« ornementale » pour lesquelles la sensibilité à la rouille n'est plus évaluée. Le fait que ces deux hypothèses - origine distante vs locale - ne soient pas exclusives constitue un facteur de risque supplémentaire compte tenu de la position géographique de la France et de la présence de B. vulgaris dans certaines régions. Si cette espèce a été éradiquée dans les principaux bassins céréaliers français, elle est présente à l'état sauvage dans l'est de la France (Alpes et Côte dijonnaise) où plusieurs observations de rouille noire sur blé ont justement été réalisées en 2021 (Figure 2).
Ont été signalées par Météo France plusieurs puissantes remontées de masses d'air chargées de sable et poussières en provenance du Sahara, la dernière fin avril 2021 (Figure 3). Des épisodes similaires ont été constatés mi-mars 2022. Il est possible que ces masses d'air aient été chargées de spores de rouille noire en provenance de l'Est de l'Afrique qui se seraient déposées sur l'ensemble du territoire. La présence des clades « IV-B » et « IV-F », que l'on retrouve également dans la région Est de l'Afrique, et la faible diversité de la population échantillonnée en 2021 sont cohérentes avec l'hypothèse de l'arrivée de telles sporées de rouille noire. Des travaux de modélisation impliquant des échelles temporelles plus larges couplés à des données phylogénétiques d'Éthiopie en 2011 et 2012 ont permis de faire une analyse de risque rétrospective et ont donné sens à cette hypothèse (Meyer et al., 2017). Par ailleurs, la relative homogénéité des populations françaises de 2021 tranche avec la diversité constatée dans d'autres régions d'Europe où il est probable que l'épine-vinette joue un rôle dans la survie de la rouille noire, ce qui n'incite pas à privilégier l'hypothèse d'une survie locale.
Le développement d'une épidémie occasionnant des dégâts implique que les conditions climatiques de l'année et la phénologie de la culture-hôte soient favorables à l'agent pathogène. Ce fut le cas en 2021, avec une campagne marquée par un épisode de chaleur remarquable fin mars/début avril, puis un épisode frais, voire froid et sec (peu favorable aux maladies), un mois de mai pluvieux et un mois de juin orageux (assez chaud et pluvieux par rapport à la normale), notamment dans le nord de la France. Si ces conditions climatiques de fin de printemps ont pu favoriser l'installation et le développement de la rouille noire, il faut noter que les stades phénologiques des blés, un peu plus tardifs que les années précédentes, ont aussi pu jouer un rôle. En effet, dans le nord de la France, là où la rouille noire a été le plus observée, nous avons pu constater, en juin, une arrivée plus tardive des blés à floraison (écart d'environ dix jours entre 2021 et la moyenne 2000-2020 ; Figure 4) jusqu'à la récolte. Ce retard phénologique, auquel des pluies récurrentes ont également contribué, a probablement permis à la rouille de se développer très localement sur certaines lignées sensibles de manière « épidémique » (deux à trois cycles de multiplication possibles) en s'installant sur des tissus encore verts à une période où ils sont habituellement proches de la sénescence et peu sensibles. Le fait que les signalements les plus nombreux aient eu lieu dans les zones où le blé est arrivé plus tardivement à maturité est cohérent. Bien que la détection des foyers de rouille noire en Europe et leur identification aient pu être réalisées grâce au réseau de surveillance du projet européen RustWatch, l'absence d'enquête nationale dans la plupart des pays rend difficile le traçage des origines géographiques des nouvelles races.
Les stratégies de protection
Théoriquement efficaces mais qui restent à réactiver si nécessaire
Les principales stratégies de protection des cultures contre les maladies - prophylaxie, sélection de variétés résistantes, traitements fongicides - sont, en théorie, efficaces pour limiter le développement de la rouille noire.
Dans l'hypothèse pessimiste où la rouille noire s'implanterait en France localement et provoquerait des dégâts à cause d'un climat favorable, la première étape serait de s'interroger sur les mesures prophylactiques à envisager pour diminuer à la fois sa survie locale et sa capacité d'adaptation. La gestion des repousses pendant l'été pourrait être un levier permettant de diminuer l'inoculum primaire et/ou la survie de la maladie comme pour la rouille brune. Bien évidemment se poserait la question de la gestion de l'épine-vinette à l'échelle du territoire. Faudrait-il réinstaurer une législation sur cette plante-hôte comme cela avait été fait à la fin du XIXe siècle ? Cette méthode de lutte a montré son efficacité, mais dans une société qui souhaite, à juste titre, préserver la biodiversité, des solutions moins radicales devront être élaborées, même si la sécurité alimentaire est un enjeu d'actualité. Il s'agira peut-être d'engager une réflexion au sujet de la délimitation de zones à risques et différents types de milieux (naturels, semi-naturels, cultivés) comme au Royaume-Uni depuis quelques années, où l'épine-vinette a été réintroduite en tant que plante hôte d'une espèce de phalène qui lui est inféodée (Pareulype berberata), pour favoriser la biodiversité dans les haies bocagères(3). La sensibilité à Puccinia graminis f. sp. tritici des variétés ornementales de Berberis sp. (exemple : Berberis thunbergii), incluant celles issues de croisements comme Berberis x ottawensis (B. thunbergii x B. vulgaris), de plus en plus répandues, mériterait également d'être évaluée.
Depuis de nombreuses années, la résistance à la rouille noire n'est plus vraiment intégrée dans les schémas de sélection des variétés de blé européennes en raison de l'absence d'épidémies sur le territoire. Plusieurs études sur des cultivars de blé européens ont toutefois révélé la présence de gènes de résistance à la rouille noire (Sr) dans les variétés cultivées en Europe (Singh et al., 2008 ; Flath et al., 2018). Ces gènes ont pu être introgressés involontairement en utilisant des donneurs Sr pour améliorer d'autres caractéristiques. Les gènes les plus représentés sont Sr31 (translocation blé/seigle qui offrirait un potentiel de rendement élevé et une résistance aux rouilles brune [Lr26] et jaune [Yr9]), Sr38 (introgression dans le matériel du gène de résistance Pch1 efficace contre le piétin-verse à partir des lignées donneuses VPM, gène Sr par ailleurs complètement lié à Lr37 et Yr17 dont la résistance a été largement introduite dans les cultivars européens) et Sr24 (gène complètement associé à Lr24 qui a été introduit dans certaines des variétés inscrites en France à partir de 2008). La présence d'un gène Sr dans une variété ne signifie pas qu'elle ne soit pas sensible aux races présentes sur le terrain. Par exemple, il a été montré que plus de 80 % des variétés couramment cultivées au Royaume-Uni étaient très sensibles à un isolat de la race TKTTF qui est la plus présente actuellement en Europe (Lewis et al., 2018).
Les variétés porteuses du gène Lr24 (et donc de Sr24) se sont avérées indemnes de rouille noire lors de l'épidémie 2021, même lorsqu'elles étaient juste à côté de variétés très attaquées. Mais cette situation pourrait ne pas être permanente étant donné que la virulence à l'égard de Sr24 a déjà été identifiée en Amérique du Nord, en Afrique du Sud et en Inde : les contournements des quelques variétés françaises résistantes seraient toujours possibles avec l'arrivée de nouvelles races par migration, mutation ou recombinaison, comme c'est déjà le cas pour la rouille jaune et la rouille brune sur lesquelles travaillent les phytopathologistes de l'unité Bioger d'Inrae.
Dans l'attente de solutions de protection compatibles avec la transition agroécologique, l'utilisation des fongicides également utilisés contre les autres rouilles des céréales resterait un levier efficace si les épidémies de rouille noire venaient à s'intensifier et causer des dégâts significatifs. À notre connaissance, aucune résistance aux IDM ou aux SDHI n'a été identifiée dans le monde. Compte tenu du contexte épidémiologique aucun traitement n'est préconisé à ce jour pour lutter contre cette maladie en France.
Miser sur la capacité d'anticipation : épidémiosurveillance et sélection
L'arrivée de la rouille en France en 2021 est un fait épidémiologique marquant. Même si des hypothèses épidémiologiques peuvent être formulées, certaines étayées par des éléments factuels, il est trop tôt pour dire si cette maladie doit toujours être considérée comme sporadique ou si elle est en train de devenir endémique, à bas bruit. Ne pas anticiper le pire, mais rester vigilant : tel est le message que nous souhaitons faire passer. Dans ce contexte incertain, une épidémiosurveillance simple telle qu'organisée l'année précédente par Arvalis avec le concours d'Inrae est probablement la meilleure des stratégies permettant d'évaluer et gérer le risque dans les années à venir. Cela passe par la mobilisation de réseaux d'acteurs capables de faire des observations sur le terrain et, surtout, la sensibilisation d'agriculteurs, et ce dès la fin du printemps 2022 en lien avec des partenaires européens. L'anticipation passe aussi par la prise en compte du risque « rouille noire » dans les schémas de sélection(4), comme le font déjà certains sélectionneurs qui travaillent à contre-saison dans des régions du monde où Puccinia graminis f. sp. tritici est endémique.
Enfin, cet épisode 2021, s'il se reproduisait, inciterait Inrae et Arvalis à s'interroger sur la pertinence de développer des programmes de recherche en épidémiologie, au-delà des suivis mis en place dans le cadre du projet RustWatch, qui se termine en septembre 2022.
(1) https://agro.au.dk/forskning/internationale-platforme/wheatrust/
RÉSUMÉ
CONTEXTE - La rouille noire du blé causée par le champignon Puccinia graminis f. sp. tritici s'est fait quelque peu oublier en Europe depuis le milieu du siècle dernier. Toutefois, les signalements se sont multipliés au cours des dix dernières années, signe d'une possible réinstallation de la maladie. En 2021, la rouille noire a été observée sur l'ensemble de la France pour la première fois depuis plusieurs décennies.
ÉTUDE - Cet article fait le point sur les résultats d'une enquête menée par Arvalis et Inrae à la fin du printemps 2021 et des analyses réalisées dans le cadre du projet européen H2020 RustWatch sur des échantillons français.
RÉSULTATS - Quatre-vingt-seize signalements de rouille noire ont été remontés en 2021 dans le cadre de l'enquête Arvalis/Inrae.
Deux principales hypothèses pourraient expliquer cette situation : une origine distante de l'inoculum conférant à cette situation épidémique un caractère exceptionnel ; une origine locale, avec une probabilité d'observer chaque année la maladie qui dépendrait des conditions climatiques.
Pour tenir compte de cette incertitude, il est nécessaire de miser sur la capacité d'anticipation, basée sur l'épidémiosurveillance et l'intégration du risque dans les schémas de sélection. Les stratégies classiques de lutte sont théoriquement efficaces, mais restent à réactiver, si nécessaire.
MOTS-CLÉS - Rouille noire du blé, Puccinia graminis f. sp. tritici, épidémiosurveillance.
Le projet RustWatch : une épidémiosurveillance à l'échelle européenne
Le projet H2020 RustWatch (2018-2022) vise à mettre en place un système d'alerte précoce des épidémies de rouilles du blé, dirigé par un réseau de parties prenantes. Il est financé par le dispositif Horizon 2020 de l'Union européenne, est piloté par l'université d'Aarhus au Danemark, et implique des laboratoires de recherche et des industriels de quatorze pays.
Ce réseau d'experts a pour but de détecter et identifier rapidement les nouvelles races de rouilles du blé émergentes en Europe à l'aide d'outils de phénotypage et de génotypage, ainsi que les traits ou facteurs qui déterminent leur dissémination et leur installation (par exemple la combinaison de leurs virulences expliquant le contournement des résistances variétales déjà utilisées, leur agressivité, l'adaptation à des températures plus chaudes).
Cinq sites (au Danemark, au Royaume-Uni, en Sicile, en Suisse et en Espagne) ont fait l'objet du déploiement de ce dispositif de surveillance, et ont servi de zones test pour l'adapter au mieux aux conditions environnementales et pratiques agronomiques qui leur sont spécifiques.
La coopération entre les laboratoires français et danois a déjà permis l'identification des races émergentes de rouille jaune (Puccinia striiformis f. sp. tritici) 'Benchmark', 'Kalmar' et 'Amboise'. Ce réseau de coopération, initié à la suite de la réémergence de la rouille noire en Europe, aura été à l'origine de l'identification des races de Puccinia graminis f. sp. tritici en 2021 en France grâce aux analyses moléculaires réalisées par les collègues danois Annemarie F. Justesen, Mehran Patpour et Mogens S. Hovmøller.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : r.valade@arvalis.fr
LIEN UTILE : Ce travail a en partie été réalisé dans le cadre du projet H2020 RustWatch, convention n° 773311. Pour en savoir davantage sur les sorties appliquées de ce projet : https://agro.au.dk/forskning/internationale-platforme/wheatrust/stem-rust-tools-maps-and-charts/clades-on-single-locations
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient Annemarie F. Justesen, Mehran Patpour et Mogens S. Hovmøller, collègues phytopathologistes de l'université d'Aarhus, au Danemark, pour les analyses et la caractérisation des échantillons de rouille noire collectés en France. Ils remercient également vivement l'ensemble des contributeurs à l'enquête pour la remontée des observations et l'envoi des échantillons. L'épidémiosurveillance est l'affaire de tous !