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Chronique historiquie

Cirons et vers d'olive

PAR ANDRÉ FOUGEROUX - Phytoma - n°754 - mai 2022 - page 51

Dans les années 1760, M. Labrousse, médecin à Aramon, petite commune du Gard, s'inquiète des insectes destructeurs qui se sont emparés des oliviers de son village et de ses environs ainsi que des diocèses d'Uzès et de Nîmes.
 Oliviers avec ciel jaune et soleil, de Vincent van Gogh (1889). Photo : Pixabay

Oliviers avec ciel jaune et soleil, de Vincent van Gogh (1889). Photo : Pixabay

Le 11 août 1775, dans la grande salle du palais épiscopal de Carpentras, capitale du Comté Venaissin, les seigneurs et élus de la région constataient avec regret que les insectes, « qui depuis 1766 defolent les oliviers de cette province et en ont fait périr une très grande partie n'étoient point entièrement extirpés sans doute par le default des connoissances nécessaires ».

Comme cette province et les cultivateurs trouvent dans le produit de l'olivier une partie de leur aisance, cette noble assemblée décide d'imprimer l'ouvrage de M. Labrousse, correspondant de la Société royale des sciences de Montpellier : Mémoire et journal d'observations d'expériences, sur la meilleure manière de cultiver l'olivier et de le préserver des insectes qui s'attachent à l'arbre et au fruit. Dans ce fascicule publié en 1774, les insectes ravageurs sont subdivisés « en ceux qui attaquent les racines de l'olivier, ceux qui s'introduisent dans ses branches et ceux qui rongent les nouvelles pousses ». Ce mémoire décrit tant bien que mal « les espèces d'insectes et propose quelques moyens pour les éloigner ou les détruire ».

Un panier de suie

La chenille « qui ronge la souche, en pompe l'humidité et prive par là l'olivier d'une nourriture nécessaire, le fait languir et le détruit », est probablement l'hylésine. À la fin du XVIIIe siècle, la solution recommandée pour obvier à cette mortalité consiste à épandre autour de l'arbre « un panier de suie » que l'on arrose. « L'eau imprégnée de la suie pénètre les racines de l'arbre et en tue les chenilles. » Au printemps 1763, cette méthode a été expérimentée sur quatre oliviers en deux champs différents. Et l'auteur de conclure : « Nos arbres revinrent quoiqu'ils fussent tellement maltraités, qu'on nous avoit conseillé de les arracher. [...] Depuis lors nous employons la suie toutes les années avec le même succès. »

Mais ces dommages sont moindres que ceux causés par « les insectes qui s'introduisent dans les branches, et qui sont décrits comme des vers et des cirons qui parurent en 1767, d'abord en Provence, puis l'année suivante dans le Languedoc ». Hélas, le manque de connaissances entomologiques de ce rapport conduit à décrire ces insectes tantôt comme des chenilles qui ressemblent « au ver à soie nouvellement éclos », tantôt comme « un puceron de couleur purpurine ». Il semble dans ce cas qu'il y ait un amalgame entre teigne de l'olivier et cochenille noire. Malheureusement, aucune solution n'est proposée pour en réduire les dégâts, de l'aveu même de l'auteur. Les chaleurs brûlantes et la sécheresse ordinaire des mois d'août et septembre pas plus que les froids de l'hiver n'en viennent à bout, ce qui est expliqué par « la sève amère de l'olivier dont se nourrissent ces insectes qui contribue à rendre dure et astringente la coque de leur semence ». Dans ce cas, la semence fait probablement référence aux cochenilles considérées comme les oeufs de la teigne.

Cirons de l'olivier

Aussi redoutables que les vers évoqués précédemment, les cirons, qui parurent en 1768, complètent cette liste funeste. Leur ressemblance avec les cirons qui rongent les pois et les fèves laisse supposer qu'il s'agit du psylle de l'olivier, car « il vole d'un arbre à l'autre, pique les plus petites branches [...], la sève est arrêtée, l'espérance des branches à fruit détruite. Comment se débarrasser de ces vers et cirons pour arrêter les progrès de cette dévastation ? Car nous croyons impossible de détruire subitement cette multitude d'insectes qui en sont les auteurs, on sera fort heureux, si on parvient à les éloigner ». Enfin, il s'agit de garantir les olives de la piqûre des insectes. « Ces piqûres sont attribuées aux vers Erucae [aujourd'hui la mouche de l'olive] qui attaquent les olives dans le mois de juillet, s'y logent, se nourrissent de leur suc, s'y fixent jusqu'au mois de novembre où ils deviennent sans mouvement et sans action, ils se métamorphosent pour lors en mouche. » Il s'ensuit des recommandations : « Labourer les champs d'oliviers avant l'hiver, émonder les arbres toutes les années, les fumer légèrement avec du fumier de litière, ou abondamment avec de la terre franche. Enfin appliquer de la suye pour tuer les chenilles qui rongent la fourche et une espèce de goudron (à base de poix) sur les branches de l'arbre avec un pinceau de barbouilleur pour empêcher les vers de manger la chair des olives. Les règles simples d'application de ce remède nous font espérer que les cultivateurs l'emploieront avec plaisir puisqu'il est aussi utile que peu dispendieux. » Ce mémoire rappelle que les insectes ravageurs ne sont pas toujours une conséquence des modes de production moderne, et que nos ancêtres furent aussi confrontés aux ravageurs, aux maladies et aux mauvaises herbes sur leurs cultures. Il montre aussi combien les connaissances (dans cet exemple, entomologiques) sont indispensables pour apporter des solutions rationnelles aux problèmes posés par le bioagresseur. De nos jours, la mouche de l'olive demeure un problème sérieux pour les oléiculteurs qui maintiennent ces plantations d'oliviers, symboles des paysages autour de la Mare nostrum, dont le charme faisait écrire à Van Gogh : « Ah si tu voyais les oliviers à cette époque-ci... le murmure d'un verger a quelque chose d'intime et d'immensément vieux. C'est trop beau pour que j'ose le peindre ou puisse le concevoir(1). »

(1) Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo.

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