Selon la définition du biocontrôle* (le premier emploi de certains termes est indiqué par un astérisque, voir définitions dans le glossaire p. 17-18), il est possible de faire appel à des macro-organismes* à des fins de régulation de bioagresseurs. Derrière l'image d'Épinal de la coccinelle introduite pour lutter contre les pucerons se cachent une diversité biologique des auxiliaires utilisés, mais surtout une diversité de stratégies de contrôle liées entre elles par des convergences scientifiques, zootechniques, réglementaires, etc.
Des stratégies variées mais un même cadre de réflexion
Différents enjeux
Malgré des historiques, des tenants et des aboutissants qui peuvent varier, les différentes stratégies de biocontrôle à l'aide de macro-organismes (voir article précédent, p. 14-18) partagent un même cadre de réflexion en termes de recherche et développement (R&D) (Figure 1 page suivante). Depuis l'échantillonnage initial sur le terrain de souches d'auxiliaires jusqu'à l'évaluation de leurs impacts au champ, la R&D dans le domaine doit prendre en compte différents enjeux.
Une réglementation à respecter
Dès lors que l'on s'intéresse à des auxiliaires exotiques, le respect de la réglementation s'impose dès la première phase d'échantillonnage (Figure 1 : R1 et article p. 24). Tout d'abord, la collecte de macro-organismes exotiques dans leur région d'origine peut être soumise à une réglementation particulière relative à l'utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles qui y sont associées. Cette réglementation concernant l'accès et le partage des avantages (APA*), introduite par la convention sur la diversité biologique (CDB) en 1992 et précisée par le protocole de Nagoya en 2010, est entrée en vigueur en Europe en 2014. Selon ce principe, le consentement préalable du pays fournisseur de l'auxiliaire exotique est nécessaire et le pays fournisseur peut légitimement prétendre à une partie des bénéfices générés par la commercialisation de l'auxiliaire.
Indépendamment de l'APA, l'introduction d'auxiliaires exotiques à des fins de recherches est réglementée pour limiter le risque de dispersion involontaire. Les expérimentations doivent alors avoir lieu dans un laboratoire de confinement, quarantaine agréée par la Draaf/SRPV (direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, service régional de la protection des végétaux). Toutes ces autorisations (introduction en laboratoire, dans l'environnement et agrément pour la quarantaine) sont délivrées sous forme d'arrêtés, valables cinq ans. De plus, les macro-organismes entrant avec dérogation sur le territoire doivent être accompagnés d'une lettre officielle d'autorisation (LOA).
Pour la suite du programme de R&D et notamment à l'occasion des premiers lâchers d'auxiliaires exotiques (Figure 1 : R2), une autorisation est également nécessaire, conformément au décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012. Charge alors aux pétitionnaires de documenter :
- des éléments de caractérisation taxonomique du macro-organisme auxiliaire exotique ;
- des informations concernant sa biologie ;
- l'efficacité qui peut en être espérée ;
- les éventuels risques identifiés.
Si ces réglementations concernent en premier lieu les programmes d'acclimatation et d'augmentation, elle concerne par extension la technique de l'insecte stérile (TIS*), les mâles stériles relâchés pouvant être non indigènes (au sens réglementaire du terme) et/ou être produits dans un autre pays. Concernant les méthodes de lutte autocide plus récentes (forçage génétique et technique de l'insecte incompatible TII*), les réglementations sont en constante évolution. Par exemple, pour les organismes transgéniques, il existe une procédure d'autorisation encadrée par la directive européenne 2001/18/CE relative à leur introduction volontaire, à la suite d'une évaluation des risques environnementaux potentiels. Cette directive n'est cependant pas suffisante pour évaluer les risques pour des technologies comme le forçage génétique, comme souligné récemment par un avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa, 2020). Dans le cadre de la TII enfin, le statut réglementaire de macro-organismes auxiliaires artificiellement infectés par Wolbachia n'est pas encore clairement défini par l'Union européenne.
Des contraintes zootechniques à résoudre
En termes de zootechnie*, les enjeux de production (Figure 1 : Z1) diffèrent très nettement entre, d'une part, stratégies auto-propagées* et, d'autre part, les autres stratégies. Dans le premier cas (lutte biologique par acclimatation* et forçage génétique* auto-propagé*) en effet, le nombre d'auxiliaires introduits sur le terrain est relativement faible (entre quelques centaines et quelques dizaines de milliers) et les opérations sont en général limitées dans le temps (quelques années). À noter toutefois que ces besoins limités en nombre et dans le temps n'excluent pas le besoin de compétences « pointues » en zootechnie, car l'élevage de certains auxiliaires exotiques ou des proies/hôtes utilisés pour leur élevage peut s'avérer difficile.
Les autres stratégies, qui nécessitent des élevages plus importants et durables, impliquent une production massive d'individus, selon un calendrier spécifique à l'usage considéré, et cela de façon pérenne. Pour atteindre les objectifs quantitatifs de production, la multiplication des insectes passe le plus souvent par la mise au point de milieux artificiels d'élevage ou par l'utilisation d'hôtes/proies de substitution, pouvant différer de l'hôte-cible.
Au-delà de ces aspects techniques, plusieurs composantes du système d'élevage en masse doivent être prises en compte et optimisées, comme l'aspect économique et sanitaire, l'automatisation du système et les préoccupations environnementales liées aux fuites d'insectes. Pour respecter les calendriers d'utilisation et disposer d'un très grand nombre d'auxiliaires sur une courte période, la maîtrise de certains processus physiologiques (diapause et quiescence) est parfois nécessaire.
Au-delà du nombre et du calendrier, la qualité des individus produits (performance) et la maîtrise logistique des conditions de transport pour préserver cette qualité lors de la phase d'acheminement (Figure 1 : Z2) sont également des facteurs clés de la réussite de ces stratégies.
Des outils génétiques qui peuvent aider
Une considération commune à toutes les stratégies de biocontrôle à base de macro-organismes est l'importance de la génétique. Deux aspects différents peuvent être distingués à savoir, les éventuelles modifications (au sens large) apportées précocement à la souche de macro-organismes auxiliaires (Figure 1 : G1) et la conservation sur le long terme des qualités de cette souche (Figure 1 : G2).
Concernant les modifications précoces, il convient de distinguer, d'une part, les stratégies telles que le forçage génétique ou certaines variantes de la TIS, stratégies pour lesquelles les techniques de génie génétique (transgenèse) sont nécessaires et, d'autre part, celles (acclimatation, augmentation, TIS) où les techniques de génie génétique et/ou d'amélioration génétique classique (sélection artificielle par exemple) sont un éventuel « plus ». Dans le premier cas (génie génétique nécessaire), on assiste dans les pays autorisant les lâchers d'individus transgéniques, au développement de stratégies de gestion à partir de nouvelles techniques de génie génétique (ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9). Celles-ci permettent notamment de faciliter le sexage des individus et de marquer ou de stériliser à moindre coût les individus relâchés. Dans le second cas (génétique optionnelle), force est de constater que le recours au « levier génétique » n'est pas aussi systématique que pour d'autres ressources agronomiques (animaux d'élevage, plantes cultivées, etc.) malgré, par exemple, quelques succès tels que l'amélioration génétique d'une espèce de trichogrammes (collaboration Inrae-Bioline Agrosciences). À l'avenir, il ne fait pas de doute que l'essor du biocontrôle grâce aux macro-organismes s'appuiera plus régulièrement sur l'usage de souches aux caractéristiques optimisées pour la production en masse et pour l'efficacité au champ. De telles variations génétiques pourraient permettre aux acteurs de proposer des solutions à l'efficacité supérieure. Dans le domaine plus particulier de la TIS, Inrae a par exemple récemment sélectionné une population expérimentale de mouches Drosophila suzukii augmentant les taux d'accouplement des mâles stériles avec les femelles sauvages.
Que les souches de macro-organismes initialement échantillonnées aient fait l'objet de modifications précoces ou pas, un enjeu très fort est de conserver leur qualité initiale, une tâche d'autant moins facile que divers processus (dérive génétique, consanguinité, sélection involontaire) au sein des élevages de masse peuvent avoir des effets négatifs sur la performance des auxiliaires au champ. L'enrichissement des populations captives avec des nouveaux individus provenant du terrain est par exemple une pratique courante pour certains programmes de TIS sur les mouches des fruits.
Au-delà du labo, quels impacts au champ ?
Comme pour toute autre stratégie de contrôle de bioagresseurs, l'utilisation de macro-organismes se doit d'être évaluée au champ vis-à-vis de deux critères :
- l'efficacité à réguler le bioagresseur ciblé, à court terme (Figure 1 : E1) ou sur le long terme (Figure 1 : E2) ;
- les éventuels effets non intentionnels* (Figure 1 : E3).
Les conditions d'efficacité à court terme
Concernant l'efficacité à court terme sur le bioagresseur-cible, il convient de souligner que, dans de nombreux cas, les développeurs de nouveaux produits et services de biocontrôle ne sont pas tenus de fournir des preuves d'efficacité « contractuelles » ! C'est le cas en particulier pour tous les macro-organismes indigènes utilisés en lutte biologique par augmentation. Dans le cadre de l'utilisation de macro-organismes non indigènes (lutte biologique par acclimatation, plusieurs cas de lutte biologique par augmentation, certains cas de TIS), des éléments d'efficacité doivent être communiqués.
Si tous les produits et services de biocontrôle à base de macro-organismes proposés ont prouvé leur efficacité en conditions de laboratoire ou semi-naturelles, l'extrapolation de ces résultats en termes d'efficacité au champ reste limitée. Comme évoqué plus haut, la qualité des auxiliaires peut avoir en effet diminué durant leur acheminement, mais la problématique est en fait bien plus complexe que cela. En effet, l'efficacité des macro-organismes au champ dépend d'une multiplicité de facteurs, biotiques (diversités faunistique et floristique), abiotiques (température, hygrométrie, pédologie, etc.) ou culturaux (itinéraires techniques). Pour ne citer qu'un seul exemple, les nématodes entomopathogènes (voir Encadré 1 p. 15, article précédent) commerciaux sont très sensibles à la dessiccation et aux UV, ce qui rend leur application au champ relativement contraignante et affecte grandement leur niveau de performance sur le terrain. Cet aspect multifactoriel de l'efficacité des macro-organismes est souvent perçu comme un inconvénient majeur et il ne s'agit pas, ici, de contester la fréquente hétérogénéité observée (dans le temps, dans l'espace) dans le contrôle du bioagresseur. Nous insistons toutefois sur la nécessité d'étudier ces différents facteurs pour limiter les risques d'échecs.
D'une façon générale, l'efficacité des macro-organismes auxiliaires dans une parcelle de lâcher dépend également des pratiques dans les parcelles adjacentes, voire, plus généralement, des caractéristiques du paysage. Cette dimension territoriale s'explique par au moins trois raisons non exclusives :
- les capacités de dispersion de la plupart des macro-organismes au-delà de leurs sites de lâcher ;
- les capacités de dispersion des bioagresseurs qui peuvent leur permettre de recoloniser une parcelle ;
- l'antagonisme entre l'usage de macro-organismes et d'autres méthodes de contrôle (produits phytopharmaceutiques).
Que ce soit en lutte biologique par acclimatation, en lutte biologique par augmentation ou dans le cas de la TIS, voire d'autres stratégies évoquées dans l'article précédent, la plupart des déploiements de macro-organismes gagneraient donc à être réfléchis et mis en oeuvre à l'échelle de territoires suffisamment vastes pour obtenir des niveaux de contrôle suffisants. De tels niveaux d'organisation sont d'ailleurs également préconisés pour d'autres solutions de biocontrôle (piégeage massif, confusion sexuelle, etc.).
Les conditions d'efficacité à long terme
Un des écueils fréquents des méthodes de contrôle des bioagresseurs est leur perte d'efficacité sur le long terme à la suite de l'émergence de résistance(s) chez les bioagresseurs ciblés. Il s'agit d'ailleurs d'une problématique majeure dans le cadre de l'utilisation de pesticides de synthèse ! Qu'en est-il dans le cas de l'utilisation de macro-organismes ?
À notre connaissance, l'émergence de résistance n'a que très rarement été observée jusqu'à présent. À titre d'exemple, dans les années 1980, la mouche du melon au Japon devint résistante au contrôle par la TIS car les femelles sauvages avaient développé une préférence pour les mâles sauvages (Hibino & Iwahashi, 1991). Cette résistance fut toutefois contournée avec succès par une amélioration de l'aptitude phénotypique des insectes stériles lâchés. Dans le cas de l'utilisation de parasitoïdes (Encadré 1 p. 15, article précédent) utilisés en lutte biologique par acclimatation ou lutte biologique par augmentation, nous n'avons pas connaissance de solutions déployées à large échelle ayant prouvé une efficacité puis ayant été contournées par une évolution du bioagresseur. C'est d'autant plus curieux que la spécificité des interactions hôte/parasitoïde impose une coévolution forte entre les deux partenaires et que la sélection de mécanismes de défenses chez les hôtes a été bien documentée sur des organismes modèles (par exemple, drosophiles et leurs parasitoïdes). À ce stade, il nous est donc impossible de conclure si cette rareté reflète le faible usage des macro-organismes dans les cultures, une diminution de la performance des bioagresseurs résistants aux macro-organismes en l'absence de ces derniers, ou si elle découle d'une aptitude particulière des macro-organismes auxiliaires.
Les effets non intentionnels
Comme pour toute autre stratégie de contrôle de bioagresseurs, il serait illusoire de croire que les méthodes de biocontrôle à l'aide de macro-organismes n'ont un impact que sur le bioagresseur ciblé. Il convient donc de s'intéresser aux effets non intentionnels (ENI), en particulier ceux qui pourraient être perçus comme négatifs (voir tableau). Cette question des ENI négatifs des méthodes de biocontrôle est assurément clivante... y compris dans la communauté scientifique ! Pourquoi s'intéresser à d'éventuels risques associés à des pratiques encore ultra-minoritaires alors que par ailleurs l'utilisation de produits phytopharmaceutiques est généralisée à l'échelle mondiale depuis des décennies et que les risques en termes de toxicité humaine et d'écotoxicité sont attestés ? La réponse à cette question est loin d'être simple mais nous pouvons apporter ici deux éléments de réponse. D'une part, une comparaison entre stratégies de contrôle prenant en compte leurs impacts positifs (efficacité à court et plus long termes mais pas seulement) et négatifs ne tournerait pas forcément en défaveur des méthodes de biocontrôle à l'aide de macro-organismes. En particulier, la quasi-totalité des macro-organismes auxiliaires connus ne présente aucune toxicité vis-à-vis des humains et autres vertébrés. À notre connaissance, les rares impacts négatifs signalés sur la santé humaine concernent des cas de gêne, voire d'allergies.
D'autre part, l'utilisation des macro-organismes auxiliaires pourrait dans l'avenir ne plus être une pratique marginale. Imaginons, à l'image de ce qui se passe pour les produits phytopharmaceutiques, que certaines méthodes de biocontrôle soient déployées sur de très larges territoires. Dans de tels cas, même des risques peu probables pourraient se concrétiser.
À l'heure actuelle, l'identification de risques potentiels liés à l'utilisation de macro-organismes ne concerne que les stratégies soumises à la réglementation sur les macro-organismes non indigènes (lutte biologique par acclimatation, certains cas de lutte biologique par augmentation, certains cas de TIS). Ces précautions sont évidemment légitimes, l'introduction délibérée d'une espèce ou d'une souche exotique ne pouvant être considérée écologiquement neutre. Toutefois, on aurait tort de dédouaner a priori les autres stratégies utilisant des macro-organismes indigènes de tout ENI négatif. Appréhender les ENI des solutions de biocontrôle (dans leur globalité) est récemment devenu un enjeu prioritaire pour une communauté récemment formée (ENI-BC+), forte actuellement de plus d'une centaine de personnes de différents organismes (Anses, CNRS, Inrae, IRD, et diverses universités). À terme, l'étude de l'efficacité sur le long terme et des ENI du biocontrôle, via la mise en place de suivis de terrain pluriannuels, devrait guider les choix entre solutions de phytoprotection dans des contextes et territoires variés. Parmi les stratégies de lutte à l'aide de macro-organismes, celles caractérisées par une auto-propagation (lutte biologique par acclimatation, certaines formes de forçage génétique auto-propagé) mériteraient assurément une attention particulière. Après l'introduction au champ du macro-organisme auxiliaire, ces stratégies sont, en cas de succès, en effet irréversibles. Pour autant, les stratégies caractérisées a priori par une auto-limitation ne sont pas exclues de tout risque (par exemple : celui du transfert de variants, voire de gènes, nouveaux dans des populations sauvages).
Un nouvel élan
La lutte biologique, invisible au coeur du biocontrôle ?
Depuis sa définition dans le code rural et de la pêche maritime en 2014, le biocontrôle a le vent en poupe. Présenté comme l'alternative aux produits phytopharmaceutiques de synthèse, le biocontrôle est actuellement un secteur clé pour la recherche et l'innovation.
Paradoxalement, le volet « macro-organismes » ne semble pour l'instant pas bénéficier de cette dynamique... au contraire ! Ainsi, le terme de « biocontrôle » supplante, semble-t-il inéluctablement, celui de « lutte biologique » dans la presse (Ledouble 2019) alors que les deux termes ne sont évidemment pas équivalents. À cette occasion, ce sont toutes les spécificités propres aux solutions « macro-organismes » qui disparaissent complètement dans l'esprit des parties prenantes (agriculteurs, politiques, financeurs, instances réglementaires). Cette « invisibilisation » est d'autant plus préjudiciable que la connaissance des stratégies de biocontrôle à l'aide de macro-organismes était déjà limitée et souvent caricaturale, à la fois au sein du grand public et des porteurs d'enjeux (financeurs notamment). En France, cette invisibilisation intervient de plus dans un contexte où les nouvelles stratégies en cours de déploiement (TIS) ou encore prospectives (TII ou forçage génétique) - stratégies qui n'ont pas vocation à remplacer les stratégies « historiques » (lutte biologique par acclimatation et augmentation) - ajoutent de nouveaux espoirs mais également leurs propres questionnements.
Des synergies à imaginer
À certains égards, l'avenir du biocontrôle à l'aide de macro-organismes passera peut-être par la mise en place de synergies avec d'autres domaines.
En particulier, la production de masse de macro-organismes auxiliaires pour la TIS et TII en protection des cultures partage des enjeux communs évidents avec celle ciblant les insectes vecteurs en santé animale et humaine (par exemple, moustiques, mouche tsé-tsé). En termes d'impact environnemental, le déploiement de méthodes de lutte autocide contre les insectes nuisibles s'aligne sur les objectifs de l'approche intégrée « Une seule santé » (« One Health ») qui vise à protéger de façon durable et unifiée la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes.
De même, la production de masse de macro-organismes auxiliaires partage des enjeux transversaux avec d'autres secteurs de production d'insectes, comme celui, émergent, de la production de masse pour l'alimentation animale et humaine (par exemple, mouche soldat noire ou ver de farine). Un enjeu commun devient la production d'individus de qualité, dont les caractéristiques-clés sont maximisées (par exemple, attractivité des mâles pour la TIS ou la TII, teneur en protéines des larves pour l'alimentation), éventuellement grâce au levier génétique (par exemple, mise en place de schémas de sélection artificielle adaptés).
D'autres enjeux sont également partagés, notamment sur la nécessité d'un développement global de la zootechnie de l'insecte et de ses besoins cruciaux en automatisation (élevage, contrôle de la qualité de la production...), sur la maîtrise des conditions sanitaires des élevages de masse, ou encore sur la durabilité de la production elle-même (développement de lignes de production circulaires avec utilisation de milieux nutritifs à base de biodéchets, mise en place d'élevages verticaux pour minimiser l'emprise au sol, réduction des besoins énergétiques des infrastructures d'élevage...).
Réfléchir à des modèles économiques innovants
Comme mentionné dans le tableau, les solutions de biocontrôle à base de macro-organismes couvrent un éventail allant de produits commercialisables à large échelle à des opérations d'intérêt public, en passant par toute une série d'intermédiaires envisageables (marché de niches notamment). Si les grandes sociétés européennes productrices d'auxiliaires sont parfaitement à même de produire et commercialiser les produits à fort potentiel, des modèles économiques innovants doivent être réfléchis et implémentés pour assurer le déploiement d'autres solutions. Des modèles de ce type existent d'ailleurs déjà. Ainsi la Coopérative maraîchère de l'Ouest s'est dotée depuis de nombreuses années d'une structure de production d'auxiliaires parasitoïdes et prédateurs, Savéol Nature, à destination de ses seuls adhérents, producteurs de tomates. Plus récemment, l'Association nationale des organisations de producteurs de fraises, l'AOPn Fraises de France, a cofondé avec Savéol une nouvelle entreprise, Frais'Nat, pour produire des parasitoïdes efficaces contre les nombreuses espèces de pucerons du fraisier qui constituent un verrou pour limiter l'usage des produits phytopharmaceutiques dans cette filière. Des structures « locales » (par exemple Areflec en Corse et La Coccinelle, à la Réunion) existent également sur des territoires insulaires pour répondre à des difficultés d'approvisionnement et/ou des spécificités écologiques et agronomiques. Enfin, des micro-élevages « à la ferme » pourraient être envisagés dans certains cas pour répondre à des problèmes récurrents mais spécifiques, correspondant à des marchés de niche.
Ces nouveaux modes de production permettraient de répondre également aux problématiques de qualité et de réactivité liées à la conservation et aux transports de matériel vivant sur de longues distances. La valorisation économique de ces productions serait déplacée vers les producteurs eux-mêmes, mais aussi potentiellement vers des structures de conseil zootechnique.
Renforcer les processus de régulation naturelle
Pour conclure, les méthodes « interventionnistes » à l'aide de macro-organismes vont de pair avec la mobilisation et le renforcement des processus de régulation naturelle par des méthodes de lutte biologique par conservation. C'est en particulier le cas pour la lutte biologique par acclimatation. En effet, les concepts d'écologie des communautés et d'écologie du paysage mobilisés dans la lutte biologique par conservation s'appliquent aussi aux espèces exotiques introduites. De manière similaire, dans les cultures sous abris (cadre de prédilection de la lutte biologique par augmentation), des flux d'organismes entre milieu extérieur et milieu intérieur existent, générant des communautés d'insectes plus complexes que supposées a priori. Si la limitation de l'entrée d'insectes phytophages potentiellement nuisibles est évidemment recherchée, par différents moyens prophylactiques, il est envisageable de jouer sur la composition floristique de l'environnement immédiat des abords pour favoriser la multiplication d'ennemis naturels qui pourront ensuite coloniser les abris. Cette gestion des abords pourrait aussi favoriser l'entrée de pollinisateurs sauvages. De plus, l'une des causes de l'efficacité relative des lâchers d'ennemis naturels constatée dans certains cas, s'avère être le délai trop long entre le développement des populations de ravageurs, tels que les pucerons souvent difficiles à détecter précocement, et l'entrée en action des auxiliaires. Des techniques indirectes de renforcement de cette action, reposant sur l'apport dans les abris de plantes ressources (par exemple, féverole apportant du nectar extrafloral) ou de plantes banques (par exemple, céréales portant des hôtes alternatifs) sont à l'essai pour permettre une installation précoce et durable des auxiliaires lâchés ou colonisant spontanément les abris.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Il existe une diversité de stratégies de biocontrôle faisant appel aux macro-organismes, qu'elles soient pratiquées depuis longtemps en France, plus récemment implantées, voire encore prospectives.
ENJEUX - Il est possible de définir un cadre de réflexion commun à l'ensemble de ces stratégies autour d'enjeux de recherche et développement : réglementation, zootechnie, amélioration génétique, efficacité au champ et risques éventuels.
Quatre dynamiques sont susceptibles d'apporter un nouvel élan au biocontrôle à l'aide de macro-organismes :
- la convergence entre santé des plantes et santé humaine autour de stratégies communes ;
- la convergence entre biocontrôle et production d'insectes comestibles autour d'enjeux communs ;
- la complémentarité entre les stratégies interventionnistes utilisant les macro-organismes et la lutte biologique par conservation ;
- la nécessaire réflexion concernant de nouvelles organisations économiques et sociales.
MOTS-CLÉS - Macro-organismes, auxiliaires, prédateurs, parasitoïdes, lutte biologique, lutte autocide, biocontrôle, réglementation, zootechnie, génétique.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : nicolas.ris@inrae.fr