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DOSSIER - Un pilier du biocontrôle : les macro-organismes

Réglementation et bilan sur dix années

BÉNÉDICTE GAUTIER(1), XAVIER TASSUS(2) ET LAURENT THIBAULT(1), D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 7E CONFÉRENCE SUR LES MOYENS ALTERNATIFS DE PROTECTION POUR UNE PRODUCTION INTÉGRÉE, ORGANISÉE PAR VÉGÉPHYL, LES 8 ET 9 MARS 2022, À LILLE (1) Anses - Maiso - Phytoma - n°756 - septembre 2022 - page 24

Alors que la stratégie nationale de déploiement du biocontrôle doit favoriser le développement de nouvelles solutions de régulation des bioagresseurs, qu'en est-il des macro-organismes auxiliaires ?
Larves de coccinelle attaquant des pucerons. Photo : B. Gautier

Larves de coccinelle attaquant des pucerons. Photo : B. Gautier

Fig. 1 : Évolution du nombre de demandes d'entrée sur le territoire de macro-organisme en milieu confiné de 2012 à 2021

Fig. 1 : Évolution du nombre de demandes d'entrée sur le territoire de macro-organisme en milieu confiné de 2012 à 2021

Fig. 2 : Évolution du nombre de demandes d'introduction dans l'environnement de 2012 à 2021

Fig. 2 : Évolution du nombre de demandes d'introduction dans l'environnement de 2012 à 2021

Dix années se sont écoulées depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012 relatif aux conditions d'autorisation d'entrée sur le territoire et d'introduction dans l'environnement de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est chargée de l'évaluation de ces demandes d'autorisation.

Des textes réglementant les introductions

En 2010, le code rural a été modifié pour introduire un nouveau chapitre relatif aux macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique (chapitre VIII - articles L. 258-1 et L. 258.2). Il couvre les macro-organismes non indigènes utilisés dans le cadre de la lutte contre des organismes nuisibles aux végétaux ou favorisant le développement ou la reproduction des végétaux (insectes pollinisateurs), et indique que l'entrée sur le territoire et l'introduction dans l'environnement de tels macro-organismes sont soumises à une autorisation préalable, sur la base d'une analyse du risque phytosanitaire et environnemental, incluant l'impact sur la biodiversité. Ont suivi, en janvier et juin 2012, deux textes réglementaires :

• le décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012 relatif aux conditions d'autorisation d'entrée sur le territoire et d'introduction dans l'environnement de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique ;

• l'arrêté du 28 juin 2012 relatif aux demandes d'autorisation d'entrée sur le territoire et d'introduction dans l'environnement de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique.

Par ailleurs, le point II de l'article R. 258-2 du décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012 prévoyait la constitution d'une liste de macro-organismes introduits dans l'environnement avant le 1er juillet 2012. Dans ce cadre, l'Anses a publié successivement deux avis, celui du 1er août 2014 actualisant celui de 2 avril 2013. Ils présentent les résultats de l'évaluation simplifiée du risque phytosanitaire et environnemental concernant 448 souches de 125 espèces de macro-organismes déclarées par les acteurs de la lutte biologique (« Avis de l'Anses relatif à une demande d'évaluation simplifiée du risque phytosanitaire et environnemental pour actualiser la liste de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux présentée dans l'avis 2012-SA-0221 du 2 avril 2013 »).

L'avis du 1er août 2014 a servi de base à l'arrêté du 26 février 2015 établissant la liste des macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique, dispensés de demande d'autorisation d'entrée sur un territoire et d'introduction dans l'environnement (liste T0).

Enfin, les premiers arrêtés d'autorisation individuels de macro-organismes non indigènes pour des introductions dans l'environnement ont été publiés à partir de mars 2016 sur la base des évaluations des premières demandes soumises à l'Anses.

Comment sont instruites les demandes d'autorisation ?

Quel que soit le type de demande (entrée sur le territoire en milieu confiné ou introduction dans l'environnement), un dossier comprend un formulaire Cerfa de demande (n° 14777*01) et un dossier technique établi conformément à l'annexe II de l'arrêté du 28 juin 2012.

Entrée sur le territoire en milieu confiné

Les demandes d'entrée sur le territoire en milieu confiné de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux sont traitées par le Laboratoire de la santé des végétaux (LSV) de l'Anses dans un délai de 3 mois à compter de l'accusé de réception d'un dossier complet.

Un dossier spécifique est rempli pour chaque macro-organisme faisant l'objet de la demande et doit définir de façon précise les mesures de confinement mises en place par le demandeur conformément à l'arrêté du 28 juin 2012.

La demande peut porter sur une catégorie de macro-organismes, pour un niveau de confinement donné. Ainsi, lors de l'examen du dossier, l'adéquation entre les mesures de confinement proposées par le demandeur et les caractéristiques biologiques du macro-organisme manipulé (morphologie, capacité de dispersion, etc.) est vérifiée afin d'identifier l'absence de risques d'échappement.

Dans certains cas, le demandeur bénéficie déjà d'un agrément préfectoral pour la manipulation d'organismes nuisibles de quarantaine (directive 2008/61/CE). Si les caractéristiques du ou des organismes listés dans la portée de l'agrément préfectoral sont identiques à celle des macro-organismes faisant l'objet de la demande d'autorisation, alors la procédure peut être allégée tel que défini dans le décret du 28 juin 2012. Dans ce cas, il s'agira particulièrement de vérifier que les mesures de gestion identifiées dans le cadre de l'agrément préfectoral permettent d'empêcher tout risque d'échappement des macro-organismes faisant l'objet de la demande d'autorisation.

Si le demandeur justifie du niveau de confinement nécessaire, un avis favorable sera transmis par l'Anses aux ministères en charge de l'agriculture et de l'environnement. Ils en informent ensuite le préfet de la région concernée, lequel autorise ou non l'entrée sur le territoire en milieu confiné du macro-organisme par arrêté préfectoral.

Les principales difficultés rencontrées dans le traitement des dossiers de demande d'autorisation de manipulation de macro-organismes en milieu confiné se trouvent au niveau de l'évaluation du risque d'échappement réalisée par le demandeur qui est un préalable à la mise en place de mesures de confinement. En effet, le demandeur peut sous-estimer le risque et définir des mesures de gestion n'empêchant pas tout risque d'échappement d'un macro-organisme à partir d'une structure « confinée ». L'Anses pourra rendre, dans ce cas, soit un avis favorable sous réserve de la mise en place d'actions correctives, soit un avis défavorable. L'autorisation est délivrée par le préfet de région et précise les mesures de confinement au respect desquelles l'autorisation est subordonnée.

Introduction dans l'environnement

Les demandes d'introduction dans l'environnement de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux sont traitées par la Direction de l'évaluation des produits réglementés (DEPR) de l'Anses dans un délai de 6 mois à compter de l'accusé de réception d'un dossier complet. Ce type de demande peut faire l'objet de demande de compléments par l'Anses si nécessaire au cours du processus d'évaluation. Par ailleurs, toute demande doit faire l'objet d'un dépôt d'individus de référence auprès du Centre de biologie et de gestion des populations (CBGP). Un dossier est rempli pour chaque macro-organisme revendiqué, défini par son espèce, l'origine de la souche et le demandeur. Le dossier peut être rempli pour une introduction sur plusieurs territoires, mais doit alors comprendre une évaluation adaptée pour chacun des territoires d'introduction envisagés.

Sur la base de l'ensemble des informations soumises et de la littérature disponible, l'Anses réalise une évaluation des risques sanitaire, phytosanitaire et environnemental et de l'efficacité et des bénéfices attendus de l'emploi du macro-organisme objet de la demande, et propose soit un avis favorable, soit défavorable pour chacun des territoires d'introduction revendiqués.

De 2012 à août 2019, les demandes faisaient l'objet d'une évaluation par les membres du Comité d'experts spécialisé (CES) « Micro-organismes et macro-organismes utiles aux végétaux ». Depuis septembre 2019, dans le cadre du renouvellement des Comités d'experts spécialisés relatifs aux intrants du végétal, l'Agence a mis en place un groupe de travail (GT) « Macro-organismes utiles aux végétaux » dédié. Ce GT est rattaché au CES « Substances et produits phytopharmaceutiques, biocontrôle ». La DEPR prépare un projet d'avis en collaboration étroite avec un ou plusieurs experts rapporteurs. Ce projet d'avis est ensuite adopté par le GT puis par le CES.

L'avis de l'Anses est transmis aux ministères chargés de l'agriculture et de l'environnement, qui délivrent les autorisations par arrêté conjoint. L'avis signé est également rendu public sur le site internet de l'Agence. Les informations suivantes ne sont pas rendues publiques, car considérées comme confidentielles selon l'arrêté du 28 juin 2012 (article 6) :

- origine de la source d'élevage ;

- conditionnement du macro-organisme ainsi que proies et support présents dans le conditionnement, le cas échéant ;

- cultures et cibles faisant l'objet des essais mentionnés dans le dossier de demande ;

- bibliographie détaillée.

Sur le plan scientifique, le dossier de demande décrit principalement les informations suivantes :

- la taxonomie et les éléments ayant permis l'identification du macro-organisme objet de la demande ;

- ses caractéristiques bioécologiques ;

- la répartition géographique de l'espèce et l'origine précise de collecte de la souche concernée ;

- l'utilisation envisagée (cultures, fonction, cibles) ;

- des informations sur l'utilisation éventuelle de l'espèce ou de la souche dans d'autres pays ;

- la description du produit (formulation) ;

- les conditions permettant d'assurer la qualité sanitaire de l'élevage.

Le dossier de demande comporte ensuite une analyse des points suivants pour le macro-organisme objet de la demande :

- la probabilité d'établissement et de dispersion sur le ou les territoires revendiqués ;

- le risque pour la santé humaine et/ou animale ;

- le risque pour la santé des végétaux ;

- le risque pour l'environnement et la biodiversité ;

- l'efficacité et les bénéfices.

Bilans

Demandes d'entrée sur le territoire en milieu confiné

De 2012 à 2021, trente demandes d'entrée sur le territoire en milieu confiné ont été soumises à l'Anses. La Figure 1 permet de suivre l'évolution des soumissions par année depuis l'entrée en vigueur du dispositif réglementaire. Parmi ces trente demandes, dix-huit ont été déposées par des organismes de recherche publics et douze par des laboratoires privés.

Demandes d'introduction dans l'environnement

De 2012 à 2021, 77 demandes d'introduction dans l'environnement ont été soumises à l'Anses. La Figure 2 permet de suivre l'évolution des soumissions par année depuis l'entrée en vigueur du dispositif réglementaire.

L'évolution du nombre de dossiers par année met en évidence une augmentation des demandes de 2018 à 2020. Il convient également de noter que parmi ces 77 demandes, plus d'un tiers concernent de nouvelles espèces (innovations) qui n'étaient pas listées dans l'arrêté du 26 février 2015 et n'étaient donc pas encore utilisées en lutte biologique ou comme pollinisateurs en France. Les autres demandes concernent donc des souches non indigènes d'espèces déjà utilisées en lutte biologique sur au moins un territoire français (dix territoires possibles au sens du décret n° 2012-140). L'ensemble des demandes traitées à ce jour a permis d'aborder une diversité de situations, en particulier selon :

• le type de lutte envisagée : lutte biologique par acclimatation, lutte biologique par augmentation et lutte autocide par la technique de l'insecte stérile (TIS) ;

• l'origine géographique de l'espèce concernée : souche non indigène d'espèce indigène ou souche d'espèce exotique ;

• la fonction du macro-organisme : prédateur, parasitoïde, pollinisateur, insecte stérile limitant ou empêchant la reproduction du ravageur ;

• la classification du macro-organisme : six ordres d'insectes, acariens, nématodes entomopathogènes ou parasites de mollusques ;

• les territoires concernés par les demandes : France métropolitaine continentale, Corse, La Réunion.

Un guide méthodologique à venir

Forte de l'expérience de l'évaluation de ces dix dernières années, l'Anses a engagé des réflexions sur la rédaction d'un guide méthodologique qui vise à préciser les exigences décrites dans l'arrêté du 28 juin 2012 pour les introductions dans l'environnement. En effet, l'expérience a mis en évidence la nécessité d'expliciter les éléments à faire figurer dans les dossiers de demande afin que ceux-ci soient mieux renseignés par les demandeurs. Ce guide méthodologique s'inscrit, par ailleurs, dans le cadre de l'objectif 4 « Faciliter la soumission des dossiers de demande et de renouvellement relatifs à l'utilisation des macro-organismes » de l'axe 2 « Simplifier les procédures pour l'autorisation et l'utilisation des solutions de biocontrôle » de la Stratégie nationale de déploiement du biocontrôle publiée en novembre 2020 par le gouvernement.

Le projet de guide a été mis en consultation publique sur le site de l'Anses du 22 juin 2022 au 29 juillet 2022. La publication du document définitif est envisagée pour la fin de l'année 2022.

Sécuriser l'emploi des macro-organismes auxiliaires

Dans un contexte de valorisation des méthodes de lutte biologique participant au déploiement du plan Écophyto, le dispositif réglementaire mis en place au niveau national vise à sécuriser l'emploi de ces macro-organismes utiles pour les végétaux, sans pour autant être un frein pour l'innovation et le développement de la lutte biologique à base de macro-organismes. Le guide méthodologique en cours de développement par l'Anses permettra de préciser certaines exigences et d'améliorer la qualité des dossiers soumis. Au niveau européen, le Conseil de l'Union européenne a initié, début 2021, une réflexion concernant l'utilisation d'agents de lutte biologique (macro-organismes) contre les organismes nuisibles aux végétaux et la mise en place d'un cadre harmonisé applicable à l'évaluation et la mise sur le marché de ces macro-organismes au sein de l'Union européenne.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La lutte biologique est basée sur l'utilisation d'organismes vivants antagonistes, appelés agents de lutte biologique ou auxiliaires des cultures (prédateurs, parasitoïdes, agents pathogènes, phytophages) : macro-organismes (insectes, acariens, nématodes...) ou micro-organismes (bactéries, virus, champignons). Elle permet de réguler les populations de bioagresseurs. Elle fait appel à des agents auxiliaires introduits ou indigènes.

RÉGLEMENTATION - Le décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012 précise les conditions d'autorisation d'entrée sur le territoire et d'introduction dans l'environnement de macro-organismes (MO) non indigènes utiles aux végétaux. Toute demande d'entrée sur le territoire en milieu confiné et d'introduction dans l'environnement fait l'objet d'une évaluation par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), avant toute autorisation par les autorités compétentes. Chaque demande est soumise conformément à l'annexe II de l'arrêté du 28 juin 2012.

BILAN - De 2012 à 2021, l'Agence a reçu 30 demandes d'entrée sur le territoire en milieu confiné et 77 demandes d'introduction dans l'environnement.

MOTS-CLÉS - Macro-organisme, non indigène, organismes nuisibles, entrée sur le territoire, introduction dans l'environnement, Anses, évaluation, autorisation.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : benedicte.gautier@anses.fr

xavier.tassus@anses.fr ; laurent.thibault@anses.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Code rural et de la pêche maritime - Partie législative - Livre II : Alimentation, santé publique vétérinaire et protection des végétaux - Titre V : La protection des végétaux - Chapitre VIII : Macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique.

- Décret n° 2012-140 du 30 janvier 2012 relatif aux conditions d'autorisation d'entrée sur le territoire et d'introduction dans l'environnement de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique.

- Arrêté du 28 juin 2012 relatif aux demandes d'autorisation d'entrée sur le territoire et d'introduction dans l'environnement de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique.

- Avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif à une demande d'évaluation simplifiée du risque phytosanitaire et environnemental pour actualiser la liste de macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux présentée dans l'avis 2012-SA-0221 du 2 avril 2013.

- Arrêté du 26 février 2015 établissant la liste des macro-organismes non indigènes utiles aux végétaux, notamment dans le cadre de la lutte biologique dispensés de demande d'autorisation d'entrée sur un territoire et d'introduction dans l'environnement.

- Stratégie nationale de déploiement du biocontrôle, Gouvernement, novembre 2020.

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