Différentes études empiriques menées pour évaluer l'efficacité de l'utilisation des pesticides (Skevas et al., 2013) relatent un nombre non négligeable d'usages non optimisés, c'est-à-dire d'applications inutiles ou à des doses largement sur-optimales. Il est généralement accepté qu'il est possible de réduire de près de 30 % l'usage des produits phytosanitaires en optimisant les conditions d'application sans que cela affecte la productivité et les bénéfices de la culture. Ce chiffre cache de fortes disparités en fonction du type de produit, de la culture ou de la cible (insecte, adventice ou fongique et bactérienne).
Choisir le bon créneau d'application
Les doses usuelles des produits phytopharmaceutiques sont historiquement sélectionnées selon un usage général. Les particularismes locaux ne sont pas intégrés. Ces doses doivent permettre une efficacité optimale, y compris dans des conditions défavorables (fortes pressions de maladie, fortes températures, etc.). Dans ce dernier cas, les pertes de produits phytopharmaceutiques au cours des applications sont estimées à 20-30 %. Une application dans des conditions favorables permettrait de réduire ces pertes en adaptant la dose appliquée au plus juste. Cette voie pour réduire la quantité totale de pesticides perdue dans l'environnement s'avère donc importante.
Alvie est une société Agtech qui développe une application mobile accompagnant les agriculteurs dans leurs chantiers de pulvérisation. Alvie a testé en 2021 l'algorithme de décision embarqué dans l'application mobile Hygo afin de proposer à l'agriculteur une aide dans le choix du créneau de pulvérisation le plus favorable. Les règles de décision reposent sur les recommandations d'instituts techniques, de chambres d'agriculture et d'experts techniques et sont spécifiques à chaque famille de produits pour une proposition la plus juste possible. Par exemple les produits foliaires de contact sont bien plus impactés par une pluie suivant le traitement que les produits systémiques, certains produits racinaires à base de propyzamide demandent à être appliqué dans des conditions froides autour de 5 °C, etc.
Des essais sur blé, maïs et colza
Essai fongicide en micro-parcelle de blé d'hiver
La variété de blé d'hiver 'Advokat', variété semi-tardive catégorie 1/B, a été semée à Kromerí le 9 octobre 2020 à une densité de semis de 180 kg/ha. La densité du peuplement a été fixée à 400 plantes/m2. Au cours de la saison de croissance, des applications de produits de protection des cultures ou d'engrais ont été effectuées, sans relation avec le protocole de recherche.
Les applications expérimentales de fongicides ont été réalisées à BBCH 65 (pleine floraison - 14 juin 2021). Les méthodologies standard de l'Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP) ont été utilisées pour évaluer l'efficacité : PP 1/26(4) - Maladies foliaires et de l'épi des céréales ; PP 1/135(4) - Évaluation de la phytotoxicité ; et PP 1/152(4) - Conception et analyse d'essais pour évaluer l'efficacité. Un aperçu des modalités expérimentales est donné dans le Tableau 1.
Les applications de fongicide sur blé d'hiver ont, dans certains cas, été réalisées dans des conditions jugée plus optimales par l'algorithme. En pratique, cela signifie que le traitement a été effectué tôt le matin (5 h-5 h 30), lorsque le soleil n'était pas encore levé (température 16 °C, hygrométrie 60 %, vent moins que 1 beaufort ; 0 mm de pluie dans les 24 h). L'algorithme Hygo a proposé une réduction de 11 % de la dose usuelle, et les modalités 1 et 2 ont donc été créées, la modalité 2 étant la dose pleine homologuée de Prosaro 250 EC 1,0 l/ha (Tableau 1).
La seconde série de traitements a été réalisée entre 9 h et 10 h lorsque l'algorithme Hygo n'a pas signalé la possibilité de réduire la dose en raison de conditions d'application plus défavorables (température 24 °C, hygrométrie 40 %, vent moins que 1 beaufort ; 0 mm de pluie dans les 24 h). Les modalités 3 et 4 ont été appliquées, à savoir la dose réduite déterminée précédemment à partir des conditions optimales (modalité 3) et la dose non réduite (pleine), la modalité 4.
L'efficacité des applications contre les maladies foliaires a été évaluée ainsi que l'effet des traitements sur le rendement et la qualité de la récolte.
Essai fongicide en micro-parcelle de colza d'hiver
La variété de colza d'hiver 'Kuga' a été semée sur le site de Kromerí le 26 août 2020 avec une densité de semis de 0,5 million de graines germées par hectare. Cela correspond à une densité de peuplement de 50 plantes/m2. Pendant la saison de croissance, des traitements non associés au protocole de recherche ont été effectués.
Les applications expérimentales de fongicide ont été effectuées au stade BBCH 63-65 (pleine floraison de la culture - 19 mai 2021). Les évaluations de l'efficacité et du rendement ont été réalisées selon les méthodologies de l'OEPP dans leurs versions actuelles comme sur blé, PP 1/26(4) ; PP 1/135(4) et PP 1/152(4). Un résumé des différentes modalités est présenté dans le Tableau 2.
L'application dans des conditions favorables (température 11 °C, hygrométrie 77 %, vent moins que 1 beaufort, 0 mm de pluie dans les 24 h) a été fixée entre 6 et 7 heures du matin sur la base de l'application mobile Hygo, lorsque la réduction maximale possible de la dose du produit utilisé pour cette journée était de 13 %. Les applications dans des conditions inadaptées (température 15 °C, hygrométrie 60 %, vent 2 beauforts, 0 mm de pluie dans les 24 h) ont été effectuées dans l'après-midi sans proposition de réduction de la dose par Hygo.
Essai herbicide en micro-parcelle de maïs
La variété de maïs 'RGT Attraxxion' a été semée à Kromerí le 3 mai 2021 avec une densité de semis de 30 kg/ha. À l'automne 2020, une fertilisation NPK (15 + 15 + 15) a été réalisée à raison de 200 kg/ha. La variété 'RGT Attraxxion' est un hybride double ligne précoce avec une haute tolérance au stress et une résistance à la verse.
Les applications expérimentales d'herbicides ont été faites au stade BBCH 13 (troisième feuille développée - 28 et 31 mai 2021).
Les méthodologies suivantes de l'OEPP ont été utilisées pour les notations : PP 1/135(4) - Évaluation de la phytotoxicité ; PP 1/152(4) - Conception et analyse des essais d'évaluation de l'efficacité ; PP 1/181(4) - Conduite et rapport des évaluations d'efficacité, y compris les BPE ; PP 1/50(3) - Mauvaises herbes en maïs. Un aperçu des modalités expérimentales est donné dans le Tableau 3.
L'application d'herbicide sur maïs dans des conditions d'application jugées défavorables (température 15 °C, hygrométrie 48 %, vent 1,2 beauforts, 0 mm de pluie dans les 24 h) a été effectuée le 28 mai 2021 sur les modalités 1 et 2 (entre 10 h et 10 h 30).
L'application d'herbicide réalisée dans des conditions d'application considérées favorables (température 10 °C, hygrométrie 83 %, vent moins que 1 beaufort, 0 mm de pluie dans les 24 h) a été effectuée le 31 mai 2021 sur les modalités 3 et 4 (entre 5 h et 5 h 30). L'algorithme Hygo a proposé une réduction de la dose appliquée de 11 % sur la base des conditions optimales. Cette réduction de dose a été utilisée pour la modalité 3 (conditions optimales) mais également pour la modalité 1 (conditions défavorables), afin de vérifier la spécificité du conseil. Les modalités 2 et 4 ont été traitées avec la dose homologuée de l'herbicide Maister Power 1,5 l/ha.
L'efficacité de l'herbicide a été évaluée sur quatre espèces de mauvaises herbes (deux dicotylédones et deux monocotylédones) : le chénopode blanc (Chenopodium album), l'agrostide (Amaranthus retroflexus), le panic pied-de-coq (Echinochloa crus-galli) et la sétaire verte (Setaria viridis). L'évaluation a été répétée à quatre dates (14, 28, 49 et 144 jours après l'application). Les caractéristiques de rendement n'ont pas été évaluées pour cet essai.
Les réductions de doses ont été réalisées à l'aide de l'algorithme de Hygo. Le dispositif expérimental a été complété par un capteur météorologique embarqué afin de valider les conditions au moment de l'application. Ce dispositif embarqué est monté sur le châssis du tracteur ou du pulvérisateur à l'aide d'aimants industriels intégrés. Pendant le traitement, le capteur Hygo recueille automatiquement des données géolocalisées sur l'humidité et la température afin de s'assurer que les données réelles sont en accord avec les prévisions. La seconde partie du système est une application mobile intelligente qui est associée au capteur via un code QR et est accessible via les systèmes d'exploitation de base des smartphones. Il comprend une bibliothèque intégrée de produits phytosanitaires et utilise les données du capteur et d'autres sources externes, telles que la délimitation des champs et les données météorologiques externes, pour prévoir et évaluer les conditions d'application.. Il génère également des analyses post-application.
Des réductions de dose à efficacité égale
Essai de fongicide sur blé d'hiver
Durant la période de développement de la maladie sur les feuilles, qui est arrivée à la fin de la première dizaine de juillet, les niveaux suivants de prévalence des agents pathogènes dominants ont été trouvés sur la modalité contrôle (Tableau 4) : rouille du blé (Puccinia recondita) 50,0 %, tan-spot (Drechslera tritici-repentis) 37,5 % et septoriose du blé (Zymoseptoria tritici) : 37,5 %. Les valeurs d'infection ont été déterminées pour les feuilles les dernières feuilles étalées en déterminant la surface foliaire symptomatique.
Dans tous les cas, une réduction significative de l'infection est constatée après une application réalisée à la floraison du blé. Le début du mois de juin a été sans précipitations et a suivi une deuxième quinzaine de mai également très sèche. La première période d'humidité significative du champ, nécessaire au développement des maladies fongiques, ne s'est pas produite, dans les conditions de Kromerí, avant le 12 juin, soit 2 jours avant les applications de fongicides. Cette situation a créé une condition favorable à une efficacité maximale du fongicide, puisque l'application a été effectuée au début de la période de développement de la maladie. La valeur absolue de l'efficacité (100 %) sur la rouille du blé a été atteinte pour toutes les modalités à l'exception de « dose réduite/conditions inadéquates ».
Pour les deux pathogènes responsables de taches foliaires (Z. tritici et D. tritici-repentis), l'efficacité était nettement supérieure pour les deux doses testées lorsqu'elles étaient appliquées dans des conditions optimales, par rapport aux modalités avec application à des moments inadéquats pour la pulvérisation. Cette différence d'efficacité dans des conditions plus ou moins favorables est particulièrement évidente dans le cas de la septoriose, où l'application en conditions optimales a permis d'éliminer presque complètement la maladie, chose non réalisée dans le cas des applications en conditions défavorables.
Cette situation est illustrée par les photos d'échantillons représentatifs de feuilles prélevés sur chaque modalité au moment de l'évaluation (photos 3 à 7). Un examen plus approfondi a montré que la septoriose était moins sensible à la lutte fongicide. Les nécroses typiques orientées dans le sens de la nervure des feuilles peuvent être bien identifiées par les corps fructifères disposés en rangées, les pycnides. Cependant, dans le cas d'une protection au moment optimal, leur formation est réduite par rapport à une application dans des conditions défavorables.
Le maintien d'une surface foliaire verte active est d'une importance décisive en termes d'efficacité de l'intervention fongicide, ce qui signifie que les plantes ne sont pas soumises à une réduction significative de l'activité photosynthétique et ne perdent donc pas en rendement. Ceci est particulièrement important dans la période post-floraison en juin où, selon la littérature, un jour de plus pour l'émergence des grains peut signifier jusqu'à 0,2 t/ha/jour (Jones, 2021). Dans cet essai blé, le moment optimal d'application du fongicide a permis d'augmenter le rendement de 6 à 7 % par rapport au témoin non traité. Cela représente jusqu'à 0,7 t/ha, une augmentation qui était évidente même par rapport au témoin appliqué dans des conditions inadéquates (Figure 1). Préçisons qu'il s'agissait de l'unique traitement fongicide de cette saison.
Essai fongicide sur colza d'hiver
L'incidence de Sclerotinia sclerotiorum sur colza était moyenne la saison dernière : 34 %, déterminée à partir de la surface foliaire symptomatique. Les modalités fongicides appliquées ont été très efficaces et réduisent significativement le taux d'infection de moitié environ (Tableau 5). Dans des conditions optimales, l'effet de la réduction de la dose n'était pas évident, montrant qu'une réduction de la dose de 13 % était possible sans perte significative d'efficacité. Le rendement a augmenté dans tous les traitements expérimentaux dans une fourchette de 4 à 5 % par rapport au témoin non traité, mais ces valeurs n'étaient pas statistiquement significatives entre elles. Un résultat similaire a été obtenu dans l'évaluation de la teneur en huile.
Essais herbicides sur maïs
Bien que l'évaluation finale d'infestation effectuée en octobre avant la récolte du maïs ait montré une efficacité de 100 % pour toutes les options d'herbicides, des différences significatives dans l'évolution de la pression adventice ont été observées (Figures 2A à D).
L'efficacité de la dose réduite appliquée dans des conditions optimales était tout à fait comparable à celle des modalités traitées avec les doses homologuées pendant toute la période évaluée. Il n'y a pas eu de diminution de l'efficacité, tant pour la dose maximale que pour la dose réduite, appliquées dans des conditions optimales lors des première et deuxième évaluations effectuées en juin. En revanche, une réduction significative de l'efficacité a été constatée lorsque la dose réduite a été appliquée dans des conditions défavorables. Ces résultats confirment l'hypothèse selon laquelle la dose appliquée aurait pu être réduite dans des conditions propices à l'application sans que l'efficacité en soit modifiée. L'efficacité réduite de la dose complète est clairement visible dans les premières évaluations, les premières semaines qui suivent l'application.
Conclusion
Les arguments qui soutiennent la nécessité d'affiner et d'améliorer de manière ciblée les créneaux d'application des produits phytopharmaceutiques sont clairs : des marges importantes de dosage basées sur la connaissance des conditions environnementales existent. Même des critères généraux comme la température de l'air, l'humidité, la force du vent ou l'intensité de l'ensoleillement peuvent entraîner des pertes importantes sur les quantités de pesticides appliquées. Des volumes significatifs de bouillies appliquées n'atteignent pas la culture-cible. En général, il est difficile de prévoir quelle sera l'infestation ou l'incidence d'un organisme nuisible au cours de la période suivante, car ces valeurs fluctuent considérablement d'une année à l'autre. L'application de fongicides et d'herbicides constitue donc une assurance pour les producteurs contre les risques de pertes de rendements. L'optimisation des pratiques d'application constituent alors un moyen de réduire leur volume global.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Face à la demande politique et sociétale de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques chimiques, une réponse est une interdiction des produits les plus préoccupants au profit de solutions « alternatives » si ce n'est de substitution. Une autre réponse consiste à optimiser les applications pour limiter les pertes.
ÉTUDE - L'étude présentée pose l'hypothèse qu'il est possible de réduire la dose de produit phytopharmaceutique appliquée au champ sans influencer l'efficacité, en sélectionnant des créneaux d'application pour lesquels les conditions climatiques sont plus favorables. Les applications ont été réalisées en fonction du stade de croissance de la culture et lorsqu'un traitement s'avérait nécessaire. Les créneaux horaires de pulvérisation favorables ont été sélectionnés grâce à l'application Hygo qui agrège les données climatiques locales sur plusieurs jours pour les intégrer dans un algorithme de décision.
RÉSULTATS - Dans le cas de la septoriose du blé, les doses pleines et réduites se sont avérées plus efficaces lorsqu'elles étaient appliquées dans des conditions optimales par rapport aux modalités avec application à des moments inappropriés pour la pulvérisation. Pour le colza d'hiver, la réduction de dose suggérée n'a pas révélé de perte significative de l'efficacité fongicide. De même, en désherbage, il n'y a pas eu de diminution de l'efficacité sur maïs pour les deux doses, pleine et réduite, appliquées dans des conditions optimales. En revanche, une diminution significative de l'efficacité a été constatée lorsque la dose réduite a été appliquée dans des conditions jugées défavorables, attestant de la justesse du conseil de réduction qui n'est pas généralisable à toutes les conditions.
MOTS CLÉS - fongicide, herbicide, blé d'hiver, colza d'hiver, maïs, application, conditions d'application, réduction des pertes d'application.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : theophilek@alvie.fr
LIEN UTILE : alvie.fr
- Jones D., 2021. Keep wheat green for as long as possible to raise yields. Farmers Weekly, n° 23, p. 40-41.
- Robin D. C., Marchand P. A., 2019. Evolution of the biocontrol active substances in the Framework of the European Pesticide Regulation (EC) No. 1107/2009. Pest. Manag. Sci., n° 75, p. 950-958.
- Skevas T., Lansink A. O., Stefanou S. E., 2013. Designing the emerging EU pesticide policy: a literature review. NJAS-Wageningen J. Life Sci, n° 64, p. 95-103.
REMERCIEMENTS
Cette publication a été réalisée avec l'aide du soutien institutionnel pour le développement de l'organisme de recherche Agrotest fyto, s.r.o. (MZE-RO1118).