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ACTUS

AGROÉCOLOGIE LA DIVERSITÉ VÉGÉTALE : UN OUTIL DE PROTECTION DES CULTURES ?

Phytoma - n°758 - novembre 2022 - page 4

Le 20 octobre dernier, Inrae a présenté les résultats de l'expertise scientifique collective sur les liens entre diversité végétale et régulation des bioagresseurs.
Les conclusions de l'ESCo mettent en lumière les bénéfices la diversification végétale des parcelles et des paysages agricoles, avec la garantie de niveaux de rendement égaux, voire supérieurs aux systèmes peu diversifiés. Photo : Inrae

Les conclusions de l'ESCo mettent en lumière les bénéfices la diversification végétale des parcelles et des paysages agricoles, avec la garantie de niveaux de rendement égaux, voire supérieurs aux systèmes peu diversifiés. Photo : Inrae

æDans le cadre du plan Écophyto 2+, les ministères en charge de l'Agriculture, de la Transition écologique et de la Recherche ont confié à Inrae, fin 2019, la réalisation d'une expertise scientifique collective (ESCo) portant sur l'intérêt de la diversification végétale des espaces agricoles - à l'échelle de la parcelle (mélanges variétaux, bandes enherbées, rotations...) et du paysage (assolement, taille des parcelles, infrastructures agroécologiques...) dans la protection des cultures. Cette ESCo a mobilisé 32 experts scientifiques pendant deux ans et demi. Elle vient compléter celle réalisée sur les impacts écotoxicologiques des produits phytopharmaceutiques, dont les conclusions ont été restituées en mai(1). Les scientifiques ont analysé plus de 1 900 références afin de synthétiser les connaissances scientifiques internationales disponibles sur le sujet : à la clé, plus de 800 pages d'expertise, une synthèse de 89 pages et un résumé de 12 pages.

æToutes les formes de diversification du couvert végétal sont corrélées à une augmentation du niveau de biodiversité : l'agroforesterie contribue aux plus fortes augmentations de la biodiversité, suivie des rotations de culture et des couverts végétaux en interculture.

Par ailleurs, un lien positif fort entre diversité végétale et régulation naturelle des bioagresseurs (insectes ravageurs, plantes adventices, champignons pathogènes) est démontré. Plus précisément, certaines pratiques ont un impact positif sur certaines catégories de bioagresseurs : effet des cultures associées, de l'agroforesterie, des rotations sur les adventices ; effets des cultures associées, de la taille des parcelles, de la distance entre parcelles sur les insectes aériens ; effets des mélanges variétaux, des cultures associées sur les agents pathogènes aériens. Un seul cas de consensus témoigne d'une aggravation de la pullulation par la diversité végétale : les gastéropodes en système agroforestier. Des effets ambigus sont aussi observés, liés à l'opposition des mécanismes écologiques en jeu : par exemple, les lisières de bois ont un effet positif sur les méligèthes du colza mais aussi sur leur parasitoïdes (hivernation).

L'étude apporte un éclairage sur le rôle de la diversité végétale dans la fourniture d'autres services écosystémiques que la régulation naturelle des bioagresseurs (tableau), rôle s'avérant globalement positif.

æSelon l'ESCo, les rendements peuvent augmenter de 2 à 47 % grâce à la diversité végétale. Si les mélanges de variétés offrent de faibles gains de rendements (+ 3 %), ils favorisent leur stabilisation interannuelle. Ils permettent de réduire la sévérité d'une maladie, voire de ralentir le contournement de gènes de résistance. C'est un exemple de pratique aux effets certes modestes mais qui est d'ores et déjà opérationnelle, ne nécessitant pas de modification structurelle des systèmes. Les gains de rendement sont plus notables avec la pratique des rotations de culture (10-20 %) et avec les associations d'espèces cultivées, pour au moins une des deux espèces (20-40 %).

Les effets sur la rentabilité économique des exploitations à court terme sont plus contrastés, à la fois positifs, neutres et négatifs. Ainsi, la mise en oeuvre de certaines modalités de diversification végétale peut entraîner une réduction des surfaces cultivées (implantation d'espaces semi-naturels ESN par exemple) ou au contraire les augmenter (pratique des cultures associées). Quelques facteurs favorisent toutefois la rentabilité. Ainsi, la diversification s'avère plus performante en situation de fortes pressions de bioagresseurs (exemple : mélanges des variétés de blés) et dans les systèmes à bas niveaux d'intrants, notamment en AB ; ou encore dans des contextes économiques de prix de la production bas ou de coûts des intrants élevés...

æDans son analyse des freins et des leviers au développement de ce levier de protection des cultures, l'ESCo souligne le rôle essentiel des pouvoirs publics en tant que régulateurs, par la mise en place de politiques publiques incitatives (subventions, paiement pour service environnemental...), cohérentes et contraignantes (interdiction ou limitation de certains pesticides, obligation de maintenir des ESN...). En effet, les changements vers des pratiques de diversification végétale peuvent être coûteux (changement de matériel, perte de surface cultivée...), et les choix d'un agriculteur dépendent largement des interactions avec des acteurs en amont de la production (coût d'accès aux agroéquipements, difficulté d'approvisionnement en semences et plants...) et en aval (manque de débouché des produits...). Par ailleurs, certaines modalités de diversification ne peuvent être mises en oeuvre sans coordination territoriale (exemple : l'insertion d'ESN dans le paysage), avec toutes les difficultés que cela implique tant d'un point de vue organisationnel (question du partage des coûts et des bénéfices, accompagnement, logistique...) que réglementaire (droit foncier rural, statut du fermage...). Dans ce contexte, le rôle des coopératives est mis en lumière pour la gestion collective des bioagresseurs et la liaison entre les acteurs. Un autre verrou cité par l'étude est celui d'ordre sociologique, comme l'image que renvoie une parcelle « sale ».

æJusqu'à quel point diversifier ? Les experts de l'ESCo proposent quelques préconisations mais constatent le fossé à combler avec la situation actuelle. Ainsi, selon l'étude bibliographique, 17 % des surfaces de blé sont semées en mélanges de deux à trois variétés. Pour assurer une régulation des maladies, un mélange de quatre à cinq variétés est recommandé. Les associations d'espèces (principalement céréales/protéagineux) ne représentent que 0,1 à 3 % de la sole cultivée selon les régions ; les auteurs recommandent simplement d'associer deux espèces non sensibles aux mêmes bioagresseurs et complémentaires dans leur utilisation des ressources. En agroforesterie, les statistiques manquent, mais la pratique (en intraparcellaire) représentait moins de 1 % de la SAU en 2010, avec une dynamique de progression lente (+ 1 000 à 5 000 ha/an), alors qu'environ 3,9 Mha de cultures et 2 Mha de prairies seraient aptes à être complantées d'arbres. Les rotations (en grandes cultures), majoritairement sur deux-trois ans (exemple : colza/blé/orge), concernent 71 % de la SAU, tandis que 12 % de la SAU sont en monoculture (maïs, blé, prairie temporaire). Les recommandations visent des rotations supérieures à trois ans, en diversifiant les dates de semis, en insérant des légumineuses et en limitant la fréquence du colza (pour réguler les adventices). La taille moyenne des parcelles avoisine 3,1 ha, avec une grande hétérogénéité selon les assolements et les cultures. La moitié de la SAU est occupée par des parcelles de plus de 6,8 ha, alors que la préconisation pour favoriser la régulation et la biodiversité est d'environ 2,8 ha (augmentation des abords de parcelles, diversité de cultures). Concernant les ESN, il existe de grandes disparités régionales et les statistiques sont peu disponibles. Les linéaires de haies tendent à diminuer (- 7 000 km/an) malgré les mesures de préservation, les surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, landes...) représentent moins de 5 % en plaines céréalières, alors que les auteurs préconisent des linéaires de haies de 300 m/ha et 20 % d'ESN dans les paysages.

æL'expression des mécanismes en jeu dépend du contexte : traits de vie des bioagresseurs et de leurs ennemis naturels (exemple : dispersion), pratiques agricoles (exemple : travail du sol), conditions climatiques locales et saisonnières. Ainsi, les experts mettent en garde : une préconisation générique n'est pas possible et une analyse de chaque situation doit être menée pour déployer les modalités de la diversification végétale. Par ailleurs, les auteurs du rapport n'omettent pas de préciser les lacunes de l'analyse. Par exemple, une grande majorité de la bibliographie s'inscrit dans des systèmes de culture conventionnels, avec des effets contradictoires : un appauvrissement du potentiel de régulation (effets délétères des PPP sur les réseaux trophiques liés aux bioagresseurs) vs un « effet parapluie chimique » (protection des parcelles étudiées).

L'ESCo alimente le programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement ». Pour Benoît Bonaimé, directeur général de l'enseignement et de la recherche, au Masa, il s'agit désormais de mobiliser l'ensemble des fronts de la recherche pour traduire ces travaux en solutions, et les moyens pour leur mise en oeuvre.

(1) Voir Phytoma n° 754.

POUR EN SAVOIR PLUS

Site de l'ESCo : https://gestion-diversite-vegetale.colloque.inrae.fr/

GLOSSAIRE

• AMM = autorisation de mise sur le marché

• De biocontrôle L. 253-5 = figurant sur la liste des produits de biocontrôle « établie au titre des articles L. 253-5 et L. 253-7, IV du code rural (...) »

• JORF = Journal officiel de la République française

• JOUE = Journal officiel de l'Union européenne

• MASA = ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

• Phyto = phytopharmaceutique (qualifie un produit, une substance, un pesticide, un marché...)

• UAB = utilisable en agriculture biologique

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