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DOSSIER - Maladies des plantes Une protection à 360 °

Endive : assurer la durabilité des stratégies fongicides

MARC BENIGNI(1) ET STÉPHANE LEIGNEZ(1), D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 13E CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES MALADIES DES PLANTES (CIMA), ORGANISÉE PAR VÉGÉPHYL, DU 6 AU 8 DÉCEMBRE 2022, À ORLÉANS (1) Association des producteurs d'endives de France (Ap - Phytoma - n°758 - novembre 2022 - page 21

Le monitoring fongicide et la caractérisation des agents pathogènes de l'endive sont deux points-clés permettant d'adapter les préconisations.
Symptômes de sclérotiniose au forçage des endives. Photo : M. Benigni - Association des producteurs d'endives de France

Symptômes de sclérotiniose au forçage des endives. Photo : M. Benigni - Association des producteurs d'endives de France

Nécroses des radicelles causées par Thielaviopsis basicola. M. Benigni - Association des producteurs d'endives de France

Nécroses des radicelles causées par Thielaviopsis basicola. M. Benigni - Association des producteurs d'endives de France

Fig. 1 : Répartition des isolats de Phytophthora spp. par classe de sensibilité aux fongicides      EC50 = concentration inhibant 50 % de la croissance.

Fig. 1 : Répartition des isolats de Phytophthora spp. par classe de sensibilité aux fongicides EC50 = concentration inhibant 50 % de la croissance.

3. Agressivité des espèces de Phytophthora appartenant au Clade 8b. 4. Agressivité de Phytophthora cryptogea.

3. Agressivité des espèces de Phytophthora appartenant au Clade 8b. 4. Agressivité de Phytophthora cryptogea.

 M. Benigni - Association des producteurs d'endives de France

M. Benigni - Association des producteurs d'endives de France

Fig. 2 : Répartition des isolats de Sclerotinia sclerotiorum par classe de sensibilité aux fongicides     EC50 = concentration inhibant 50 % de la croissance.

Fig. 2 : Répartition des isolats de Sclerotinia sclerotiorum par classe de sensibilité aux fongicides EC50 = concentration inhibant 50 % de la croissance.

Fig. 3 : Répartition des isolats de Thielaviopsis basicola par classe de sensibilité aux fongicides      EC50 = concentration inhibant 50 % de la croissance.

Fig. 3 : Répartition des isolats de Thielaviopsis basicola par classe de sensibilité aux fongicides EC50 = concentration inhibant 50 % de la croissance.

Phytophthora spp., Sclerotinia sclerotiorum et Thielaviopsis basicola sont des agents pathogènes telluriques capables d'infecter la racine d'endive pendant sa croissance au champ. Néanmoins, ils s'expriment préférentiellement au cours de la conservation et du forçage (Benigni et Bompeix, 2005 ; Benigni et Bompeix, 2010 ; Sanvicente et Benigni, 2016). La faible diversité des modes d'action autorisés nécessite de concevoir des stratégies fongicides adaptées.

Trois agents pathogènes récurrents et dommageables

L'infection par Phytophthora spp. au forçage provoque une pourriture brune et ferme des tissus de la racine. Ce symptôme, le plus typique, s'observe aisément par une coupe longitudinale de la racine. La contamination doit également être suspectée en cas de nécrose ou de brunissement des radicelles secondaires qui se forment au cours du forçage. En culture hydroponique, elle se caractérise également par la formation d'un mucus autour des radicelles leur donnant un aspect poisseux. L'absorption d'eau et d'éléments minéraux se trouve sérieusement diminuée. Les pertes de production peuvent atteindre 70 %.

Les symptômes de Sclerotinia se manifestent par une pourriture molle des racines. D'abord superficielle, l'infection progresse de la périphérie vers l'intérieur des tissus. Le mycélium blanc, d'aspect cotonneux, caractéristique de la maladie, s'observe sur les tissus morts. Après quelques jours, les premiers sclérotes apparaissent. L'infection peut ensuite atteindre le chicon, qui se détache de la racine en cas de dégradation avancée. Son développement peut conduire à une perte totale de la production (photo 1).

Thielaviopsis basicola entraîne une nécrose noire de la base des racines et une dégradation partielle ou totale des radicelles, observable à partir du dixième jour de forçage (photo 2). Ces symptômes s'accompagnent d'une baisse de la consommation d'eau et d'éléments minéraux, conduisant à des pertes de production pouvant atteindre au moins 30 %.

La protection fongicide contre ces trois maladies s'effectue par un traitement des racines avant conservation et/ou avant forçage. Les principales substances actives disponibles dans des produits autorisés pour ces usages sont détaillées dans le Tableau 1. Ces usages sont diversement pourvus et leur maintien implique :

- une meilleure connaissance de la variabilité des agents pathogènes ;

- l'évaluation du risque de résistance en raison de la faible diversité des modes d'action autorisés ;

- la bonne intégration des fongicides dans les schémas de protection intégrée envisagés.

Collecte des souches et comparaison des croissances mycéliennes

Collecte des souches

Depuis 2004, 180 souches de Phytophthora spp., 30 souches de Sclerotinia sclerotiorum et 80 souches de Thielaviopsis basicola ont été isolées de racines d'endives naturellement infectées et conservées à la station expérimentale de l'endive d'Arras. Elles provenaient de France, de Belgique, des Pays-Bas ou d'Allemagne. Elles ont ensuite été conservées à 12 °C sous forme de sclérote (pour S. sclerotiorum) ou sur une pastille de gélose placée dans de l'eau distillée stérile (pour Phytophthora spp., T. basicola).

Caractérisation morphologique et moléculaire des espèces pathogènes

La vitesse de croissance mycélienne a été mesurée sur milieu V8 à 20 °C. Pour chaque souche, les ADN totaux ont été extraits et certaines régions spécifiques du génome sont en cours d'amplification pour l'identification de l'espèce (Bertier et al., 2013 ; Martin et Tooley, 2004 ; Leyronas et al., 2018 ; Huang and Kang, 2009). Parallèlement, l'Association des producteurs d'endives de France (Apef) teste ses propres amorces, mises au point avec la société Biotransfer, en vue d'un diagnostic rapide à partir de prélèvements sur racines.

Pouvoir pathogène et sensibilité aux fongicides

Le pouvoir pathogène d'isolats de Phytophthora spp. a été comparé sur plusieurs variétés d'endive par la mesure du diamètre de la nécrose autour d'une zone de racine inoculée par un implant mycélien.

La sensibilité aux fongicides a été évaluée par mesure de la croissance mycélienne sur un milieu artificiel amendé avec différentes concentrations de substances actives (sous forme de produit commercial), en comparaison avec celle obtenue sur un milieu témoin, afin de déterminer les EC50(1). Le choix des fongicides s'est porté sur ceux bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou ceux dont l'instruction du dossier est en cours.

• Sur Phytophthora spp. : le métalaxyl-M (= méfénoxam) est majoritairement employé avant la mise en conservation des racines, étape-clé pour la maîtrise du développement éventuel de la maladie. Le mandipropamide dispose d'une autorisation avant forçage, mais une demande d'extension de la portée de l'usage est en cours, pour permettre une alternance des fongicides avant conservation, la zoxamide n'étant plus autorisée. L'azoxystrobine est autorisée quant à elle uniquement avant forçage.

• Sur Sclerotinia sclerotiorum : l'iprodione a longtemps constitué la référence en production. Elle n'est plus autorisée depuis 2018. Le fluopyram l'a remplacée en application avant conservation, en alternance avec l'association fludioxonil + cyprodinil (qui peut également être employée avant forçage). Le boscalide n'est autorisé qu'avant forçage.

• Sur Thielaviopsis basicola : seul le difénoconazole dispose actuellement d'une AMM contre cette maladie, avant forçage. Le thiabendazole autorisé avant conservation contre Phoma exigua montre également une efficacité sur T. basicola, ce qui explique son utilisation dans cette étude.

Des souches au pouvoir pathogène différent

Les résultats mettent en évidence deux groupes parmi les souches de Phytophthora (photos 3 et 4). Le premier (69 % des isolements) est constitué de souches à croissance relativement lente (croissance radiale d'environ 5 mm/j) et moyennement agressives (diamètre de nécrose moins que 15 mm, 6 jours post-infection PI), vis-à-vis desquelles de nombreux hybrides commerciaux sont maintenant peu sensibles. Le deuxième groupe (31 % des isolements) se caractérise par des souches à croissance plus rapide (> 10 mm/j), très agressives (diamètre nécrose > 15 mm, 6 jours PI), et capables d'infecter tous les hybrides commerciaux actuels.

Les séquençages effectués à ce jour montrent que les souches du premier groupe appartiennent au Clade 8b (espèces P. porri, P. primulae et P. cichorii) et le second à l'espèce P. cryptogea. L'identification définitive des espèces est encore en cours.

Au sein du genre Sclerotinia, S. sclerotiorum est largement majoritaire dans les isolements (hormis une souche de S. subarctica). Les différences de pouvoir pathogène observées sont assez minimes et surtout difficilement exploitables agronomiquement, car toutes les souches sont capables d'infecter l'endive. Le pouvoir pathogène des souches de Thielaviopsis basicola n'a pas encore été analysé.

Une forte variabilité de la sensibilité aux fongicides

Une forte variabilité de la sensibilité des souches de Phytophthora est observée dans la collection (Figure 1). Toutes les souches de P. cryptogea testées apparaissent sensibles au métalaxyl-M. En revanche, 70 % des souches étaient résistantes à l'azoxystrobine (concentration efficace médiane EC50 > 10 µg/ml). Les souches du Clade 8b sont en moyenne plus sensibles à l'azoxystrobine que P. cryptogea, mais expriment une résistance très élevée au métalaxyl-M (EC50 > 100 µg/ml) pour au moins 40 % d'entre elles. Les fongicides zoxamide et mandipropamide ont été testés sur un échantillon plus réduit et montrent une bonne efficacité sur toutes les espèces.

Vingt-cinq pour cent des souches de S. sclerotiorum (Figure 2) sont résistantes au cyprodinil mais toutes sont très sensibles au fludioxonil. Il n'apparaît pas de forte résistance aux SDHI autorisés sur la culture (fluopyram et boscalide).

L'étude de sensibilité a révélé une forte résistance au thiabendazole chez 43 % des isolats de T. basicola. L'espèce est sensible au difénoconazole qui permet actuellement un contrôle régulier de cet agent pathogène avant forçage (Figure 3). On observe également une absence de sensibilité aux deux SDHI testés. La poursuite des travaux visera à vérifier s'il s'agit d'une résistance acquise ou préexistante.

Préconisations fongicides et perspectives

Les éléments obtenus permettent de préciser les préconisations fongicides (Tableau 2), principalement en fonction des résistances variétales à ces agents pathogènes (publiées chaque année par la station expérimentale de l'endive) et des espèces de Phytophthora en présence (pour l'instant, principalement connue avec l'historique de la parcelle, si la maladie s'est déclarée au cours d'un forçage précédent). Vis-à-vis de S. sclerotiorum, il est important de rappeler d'éviter deux applications successives de fongicides de la famille des SDHI et d'alterner avec par exemple l'association cyprodinil + fludioxonil qui ne peut être employée qu'une fois au cours de la saison (avant conservation ou avant forçage). Ainsi, la connaissance des caractéristiques (sensibilité aux fongicides, pouvoir pathogène) d'une collection de Phytophthora spp., de Sclerotinia sclerotiorum et de Thielaviopsis basicola représentative des bassins de production de l'endive permet de préconiser des alternances de substances actives en fonction des variétés cultivées et des résistances aux fongicides, en vue de limiter les risques d'infection au forçage et d'éviter la dissémination des souches résistantes. Cette alternance est nécessaire sur un même lot de plantes entre l'application avant conservation et celle avant forçage. Elle peut également être mise en oeuvre entre différents lots à la conservation pour éviter d'avoir ultérieurement au forçage des plantes avec une protection uniforme et « standardisée ». À l'avenir, la mise au point de la détection de ces agents pathogènes dans le sol ou sur les racines à l'arrachage permettra d'améliorer le conseil apporté au producteur.

(1) Concentration inhibant 50 % de la croissance

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Phytophthora spp., Sclerotinia sclerotiorum et Thielaviopsis basicola sont des agents pathogènes s'exprimant régulièrement au cours de la conservation et du forçage de l'endive. Les usages phytosanitaires contre ces trois maladies sont diversement pourvus. Leur maintien implique une meilleure connaissance de la variabilité de ces agents pathogènes et l'évaluation du risque de résistance aux substances actives fongicides en raison de la faible diversité des modes d'action autorisés.

ÉTUDES ET RÉSULTATS - Les données moléculaires (PCR, séquençage) et biologiques (morphologie, monitoring fongicides) permettent de formuler des recommandations dans l'utilisation des fongicides employés avant conservation ou avant forçage, notamment concernant l'alternance selon les hybrides utilisés et le type de souches rencontrées (agressivité, résistance aux fongicides).

MOTS-CLÉS - Chicorée witloof, fongicide, résistance, souches, pouvoir pathogène.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : marc.benigni@endive.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Benigni M., Bompeix G., 2005. Post-harvest control of Phytophthora cryptogea of witloof chicory with different fungicides and possible occurrence of resistant strains. Crop Protection n° 25, p. 350-355.

- Benigni M., Bompeix G., 2010. Chemical and biological control of Sclerotinia sclerotiorum in witloof chicory culture. Pest Manag Sci. Dec n° 66 (12), p. 1332-1337.

- Bertier L., Brouwer H., de Cock A. W. A. M., Cooke D. E. L., Olsson C. H. B., Höfte M., 2013. The expansion of Phytophthora clade 8b: three new species associated with winter grown vegetable crops. Persoonia n° 31, p. 63-7.

- Huang J. and Kang Z., 2009. Detection of Thielaviopsis basicola in soil with real-time quantitative PCR assays. Microbiological Research n° 165 (2010), p. 411-417.

- Leyronas C. Troulet C., Duffaud M., Villeneuve F., Benigni M., Leignez S., Nicot P., 2018. First report of Sclerotinia subarctica in France detected with a rapid PCR-based test. Can. J. Plant Pathol. DOI: 10.1080/07060661.2018.1438515.

- Martin F. N., Tooley P. W., 2004. Identification of Phytophthora isolates to species level using restriction fragment length polymorphism analysis of a polymerase chain reaction-amplified region of mitochondrial DNA. Phytopathology vol. 94, n° 9.

- Sanvicente P., Benigni M., 2016. Déformation et nécroses des racines d'endives. État des lieux et perspectives de lutte contre Thielaviopsis basicola. Infos Ctifl n° 327, p. 42-45.

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