La sécurité sanitaire des aliments impose de réduire autant que possible les contaminants naturels, en particulier les mycotoxines produites par certains champignons présents dans les récoltes ou se développant durant leur stockage (genres Aspergillus, Penicillium, Fusarium, Claviceps). La prise de conscience de leur dangerosité ne date, pour la plupart d'entre elles, que de 1960 à la suite des crises liées aux aflatoxines dans les élevages, puis dans le lait à partir des années 1970 (Délos et al., 2021). L'avancée des connaissances impose une actualisation régulière des seuils de présence des substances toxiques dans les denrées végétales (aflatoxines, ochratoxines, fusariotoxines, alcaloïdes de l'ergot...).
Mycotoxines réglementées
Des règlements historiques
Parmi les mycotoxines les plus dangereuses, les aflatoxines sont réglementées sur le plan européen depuis 1997 (règlement (CE) n° 194/97), l'ochratoxine A depuis 2002 (règlement (CE) n° 472/2002). Il faudra attendre 2006 pour que les fusariotoxines (zéaralénone, déoxynivalénol et fumonisines) fassent l'objet de valeurs-seuils en Europe (ces valeurs existaient aux États-Unis depuis 2003), avec le règlement européen 1881/2006 révisé en 2007 pour les produits bruts et les produits transformés à destination humaine. Ce règlement instaurait également une limite maximale de poids de sclérotes d'ergot. Après la modification du texte adoptée en avril 2015 par la Commission européenne, cette limite était fixée à 0,5 g/kg sur les céréales brutes, ce qui correspondait à la valeur du Codex alimentarius (Codex STAN 199-1995). Concernant les lots de céréales destinées à la consommation animale, la présence de sclérotes est réglementée par la directive européenne 32/2002 ; la valeur est reprise par le règlement 574/2011.
Des révisions : exemple des seuils actuels pour l'ergot
Depuis 2006, la prise en compte de la dangerosité de ces substances a entraîné différentes révisions des seuils réglementaires. Pour l'ergot du seigle, la dernière modification date de 2021, avec le règlement 2021/1399 du 24 août 2021 modifiant le règlement (CE) 1881/2006 : il limite, à partir du 1er janvier 2022, le poids de sclérote à 0,2 g/kg dans les céréales brutes (hormis pour le seigle qui conserve temporairement son ancien seuil de 0,5 g/kg jusqu'en 2024). Le texte instaure également de nouvelles valeurs-seuils pour la teneur en divers alcaloïdes de l'ergot(1) dans les aliments transformés. Ainsi, pour les produits de mouture d'orge, de blé, d'épeautre et d'avoine, le seuil est de 100 µg/kg maximum(2), abaissé à 50 µg/kg à partir du 1er juillet 2024. Pour les produits de mouture de seigle, il est de 500 µg/kg jusqu'au 30 juin 2024 et de 250 µg/kg à partir du 1er juillet 2024.
Cette réduction des seuils a entraîné le constat de dépassements de valeurs (pour la somme des alcaloïdes d'ergot), avec à la clé la destruction de nombreux lots de farine en stock ou leur détournement vers l'alimentation animale dès l'automne 2021, puis, au cours du printemps 2022, de nombreux rappels de produits de la boulangerie issus de différentes enseignes de la distribution(3).
Toxines T2, HT2 et DON : des baisses de seuils à venir
Une réglementation contraignante devrait s'appliquer pour les toxines T2 et HT2 produites par certaines espèces de Fusarium. La modification du règlement était attendue à compter du 1er juillet 2022, mais aucun texte n'a été publié à ce jour. Les valeurs-seuils recommandées restent non contraignantes. Les teneurs en déoxynivalénol (DON) dans le grain et les aliments transformés auraient également dû baisser à compter du 1er juillet 2022, avec une prise en compte des trois formes modifiées de la toxine (les formes acétylées 3 et 15 acétyl-déoxynivalénol, et la forme conjuguée déoxynivalénol 3-glucoside) :
- pour les blés tendres, la valeur-seuil en DON de 1 250 g/kg devait passer à 1 000 g/kg ;
- pour le blé dur, la valeur de 1 750 g/kg devait passer à 1 500 g/kg en 2023 ;
- pour le maïs, la valeur de 1 750 g/kg devait passer à 1 250 g/kg en 2023 ;
- dans les produits transformés (pain, pâtisserie, biscuits et céréales de petit déjeuner), les valeurs limites de 500 g/kg devaient passer à 400 g/kg en 2023.
Le contexte du marché mondial des céréales à paille et les incertitudes sur la disponibilité et le prix du grain début 2022 ont pu entraîner l'ajournement de la parution de ces textes. Arvalis-Institut du végétal a estimé, fin 2021, le volume de grain déclassé si les limites proposées initialement pour le 1er juillet 2022 étaient publiées dans les termes prévus(4).
Mycotoxines « émergentes » et « masquées »
Des contaminants ignorés faute d'informations toxicologiques
Il existe de nombreuses autres mycotoxines, retrouvées dans les plantes, identifiées comme présentant un danger intrinsèque pour les animaux et/ou l'homme, ou potentialisant les autres mycotoxines associées (Scudamore et al., 1998 ; Efsa, 2014). Elles sont dans l'immédiat réglementairement ignorées, faute d'études permettant d'établir avec précision une dose toxicologique de référence. C'est le cas des toxines dites émergentes comme la moniliformine, les enniatines ou la beauvericine, ainsi que les toxines d'Alternaria. Ces dernières ont fait l'objet d'une recommandation (UE) 2022/553 de la Commission du 5 avril 2022, laquelle vise à contrôler et diminuer les teneurs dans les produits récoltés (par des mesures spécifiées par les acteurs agricoles), sans qu'aucune valeur de référence ne soit encore fixée. Il s'agit de réduire la présence dans les denrées alimentaires des mycotoxines alternariol, alternariol monométhyl éther et acide ténuazonique. Les céréales à paille sont concernées, comme différents fruits et légumes.
Mycotoxines masquées, modifiées et potentialisation
Des incertitudes ont été mises à jour assez récemment sur la capacité des tests à détecter en totalité les mycotoxines présentes dans les produits céréaliers, en raison de conjugaisons notamment avec des sucres qui empêchent la détection d'une part non négligeable des contaminants. Ces formes de mycotoxines non détectables par les analyses classiques, mais dont certaines sont rendues biodisponibles lors de la digestion, sont qualifiées de mycotoxines masquées (Berthiller et al., 2013 ; Efsa, 2014). Des récentes évaluations de l'Efsa ont confirmé les risques liés aux dérivés de ces molécules : les mycotoxines modifiées. Ces évaluations suggèrent de réglementer les mycotoxines en même temps que leurs formes modifiées, en appliquant si nécessaire des facteurs d'équivalents toxiques...
Les doses journalières tolérables établies (DJT) par l'Efsa concernent chaque mycotoxine et ses formes modifiées, comme la DJT de la zéaralénone. Mais la présence de plusieurs mycotoxines sur une même matière première ou denrée alimentaire est relativement fréquente (Smith et al., 2016) et ne fait pas l'objet d'études toxicologiques suffisamment pertinentes, même si des phénomènes de potentialisations sont observés entre substances (Streit et al., 2012 ; Alassane-Kpembi et al., 2017).
Les évaluations de l'Efsa ont montré que les formes modifiées des mycotoxines ont une toxicité qui peut être supérieure à celle de leurs « parents ». Cette découverte et, indépendamment, une exposition des enfants qui dépasse la DJT ont justifié les propositions de révisions à la baisse des teneurs autorisées en DON dans le grain et l'aliment transformé (voir plus haut).
Perspectives
Les contaminants naturels dans les céréales destinées à l'alimentation humaine et animale (animaux d'élevage ou de compagnie) constituent un sujet de préoccupation qui va croissant avec la connaissance de leur étendue et de leur incidence. Les travaux de recherche sur les dangers de ces contaminants bénéficient de moyens bien inférieurs à ceux mis en oeuvre pour les études sur les dangers liés aux substances anthropiques, comme les pesticides. La caractérisation du danger, l'évaluation de l'exposition et la caractérisation des risques liés à la présence de ces contaminants sont donc souvent moins précises et souvent sous-évaluées. Le calcul de la DJT utilisée pour les mycotoxines est donc moins affiné que le calcul de la dose journalière acceptable (DJA) utilisée pour les produits phytopharmaceutiques. La situation des pays européens reste cependant très enviable, si on la compare à celle des pays tropicaux ou même des États-Unis. La différence entre la France et les États-Unis tient en revanche exclusivement au climat. L'excellence de la connaissance et des technologies aux États-Unis permet souvent d'éviter la contamination initiale, à quelques exceptions près : en 2012 pour les aflatoxines, et les années suivantes pour les fusariotoxines, lorsque le climat chaud et sec, en l'absence d'irrigation, a pu être exceptionnellement favorable à la contamination par les champignons toxinogènes et les conditions de récolte à l'automne ont empêché une moisson suffisamment précoce.
Le caractère stratégique de filières d'alimentation animale capables de valoriser les lots un peu plus affectés par ces contaminants doit être souligné, ainsi que l'importance de disponibilités bien supérieures aux besoins des populations humaines. Cela suppose soit des stocks considérables, soit des surfaces emblavées en céréales bien supérieures aux besoins des populations. La situation actuelle liée à la réduction du volume global de céréales disponible sur le plan mondial et l'augmentation du prix du grain à des niveaux non observés par le passé est là pour le rappeler. On ne peut exclure un décalage temporel dans l'évolution réglementaire attendue, justifiée par cette baisse globale de disponibilité en matières premières agricoles sur le plan mondial qui a aussi un impact sur l'Europe.
(1) Somme des douze alcaloïdes de l'ergot : ergocristine/ergocristinine, ergotamine/ergotaminine, ergocryptine/ergocryptinine, ergométrine/ergométrinine, ergosine/ergosinine, ergocornine/ergocorninine.(2) La teneur en alcaloïdes des sclérotes est variable suivant le contexte, mais il peut être observé plus de 500 g/kg d'alcaloïdes d'ergot avec une contamination de 0,2 g/kg de sclérotes.(3) Site « Rappel Conso » : https://tinyurl.com/33eky45z(4) « Sur la base de 976 enquêtes au champ réalisées entre 2007 et 2020 sur blé tendre, la simulation de l'impact du changement réglementaire conduit sur toutes ces années à une augmentation du taux de dépassement de 7 à 10 % toutes classes de risque agronomique confondues. » - « Pour le blé dur, avec des variétés sensibles et une culture succédant à un maïs ou sorgho grain sans labour et sans enfouissement des résidus de cultures, le dépassement de teneur de 1 000 µg/kg concernait entre 25 % et 62 % des blés durs selon la situation et l'année. »
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Les principales mycotoxines réglementées sont des aflatoxines, ochratoxines, fusariotoxines et alcaloïdes de l'ergot. Elles sont présentes dans les denrées végétales, en particulier les céréales au champ et au stockage. La prise en compte par les autorités sanitaires de la dangerosité de ces contaminants, relativement récente, est régulièrement actualisée. Depuis 2006, la publication de nouvelles études toxicologiques, suivies par des réévaluations du risque par l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (Efsa) et la fixation des nouvelles doses journalières tolérables (DJT), a conduit à des révisions à la baisse des seuils réglementaires dans l'EU et différents pays dans le monde.
RÉGLEMENTATION - Avant 2006, seules les aflatoxines et ochratoxines faisaient l'objet de seuils officiels dans l'Union européenne dans les produits récoltés et les produits transformés commercialisés. La première vague de réglementation UE a concerné diverses fusariotoxines avec le règlement UE 1881/2006.
La réglementation UE de l'ergot du seigle, qui faisait l'objet de seuils officiels dans le cadre du Codex alimentarius, date de 2015.
Les limites des outils d'analyse, du fait de formes conjuguées et des interactions entre contaminants, rendent la sécurisation sanitaire des aliments encore complexe et non totalement aboutie.
MOTS-CLÉS - Mycotoxines, fusarioses, ergot, aflatoxines, trichothécènes, zéaralénone, ochratoxines, fumonisines, alcaloïdes, sécurité sanitaire de l'aliment.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : marc.delos@agriculture.gouv.fr
isabelle.oswald@inrae.fr ; orchidee.dpm@orange.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Alassane-Kpembi I., Schatzmayr G., Marin D., Taranu I., Puel O, Oswald I. P., 2017. Mycotoxins co-contamination: Methodological aspects and biological relevance of combined toxicity studies. Crit. Rev. Food Sci. Nutr. In press (doi10.1080/10408398.2016.1140632).
- Berthiller F., Crews C., Dall'Asta C., Saeger, S.D., Haesaert G., Karlovsky P., Oswald I. P., Seefelder W., Speijers G., Stroka J., 2013. Masked mycotoxins: a review - Molecular Nutrition and Food Research n° 57, p. 165-86.
- EFSAb 2014. Portail internet de l'Efsa « Scientific Opinion on the risks for human and animal health related to the presence of modified forms of certain mycotoxins in food and feed » ; Efsa Panel on Contaminants in the Food Chain, Efsa Journal 12, 3916, 107 p.
- EFSAc 2014. Portail internet de l'Efsa « Remove from marked Records Scientific opinion on the risks to human and animal health related to the presence of beauvericin and enniatins in food and feed. » Efsa Panel on Contaminants in the Food Chain, Efsa Journal 12, 3802.
- Délos M., Dron M., Oswald I. P., Parent-Massin D., 2019. Contaminants naturels des végétaux : sécurité alimentaire et gestion du risque - Académie d'agriculture de France. Groupe de réflexion « Potentiel de la science pour une agriculture durable », 24 p.
- Délos M., Gasquez J., 2021. Les mycotoxines : des contaminants parmi d'autres. Phytoma n° 749-750.
- Règlement (CE) n° 1881/2006 de la Commission du 19 décembre 2006 portant fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires. https://tinyurl.com/mryans3a
- Scudamore K. A., Nawaz S., Hetmanski M. T., 1998. Mycotoxins in ingredients of animal feeding stuffs: II. Determination of mycotoxins in maize and maize products. Food Additives and Contaminants n° 15, p. 30-55.
- Streit E., Schatzmayr G., Tassis P., Tzika E., Marin D., Taranu I., Tabuc C., Nicolau A., Aprodu I., Puel O., Oswald, I. P., 2012. Current Situation of Mycotoxin Contamination and Co-occurrence in Animal Feed-Focus on Europe. Toxins n° 4, p. 788-809.