Retour

imprimer l'article Imprimer

DOSSIER - Maladies des plantes Une protection à 360 °

Mycotoxines : connaître et prévenir les risques

MARC DÉLOS(1), JACQUES GASQUEZ(1), ISABELLE OSWALD(2) ET DOMINIQUE PARENT-MASSIN(1), D'APRÈS UN ARTICLE RÉDIGÉ POUR LA 13E CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES MALADIES DES PLANTES (CIMA), ORGANISÉE PAR VÉGÉPHYL, DU 6 AU 8 DÉCEMBRE 2022, À ORLÉANS (1) Académ - Phytoma - n°758 - novembre 2022 - page 35

Rappel des moyens d'action permettant de limiter les teneurs en contaminants naturels dans les denrées, et des interactions en jeu.
Symptômes de Fusarium graminearum sur blé. Photo : M. Délos

Symptômes de Fusarium graminearum sur blé. Photo : M. Délos

Les mycotoxines (aflatoxines, ochratoxines, fusariotoxines, alcaloïdes de l'ergot...), principalement excrétées ou produites par des champignons des genres Aspergillus, Penicillium, Fusarium ou Claviceps, sont maintenues à des niveaux acceptables dans les denrées en agissant sur la présence du champignon responsable ou la réceptivité de la plante. Les moyens de gestion passent par le recours à l'irrigation, à l'amélioration génétique, au travail du sol ou aux intrants.

Le facteur « climat »

Le climat reste le premier facteur qui explique le développement des moisissures productrices de mycotoxines. Les mois de juillet chauds et secs lors de la floraison du maïs favorisent la contamination par les aflatoxines et les fumonisines. Les automnes humides et les étés frais et pluvieux sont essentiels pour les contaminations par les fusariotoxines DON et ZEA du maïs. La pluie au cours du printemps est indispensable à la contamination par l'ergot du seigle. La pluie en fin de printemps, au moment de la floraison du blé, est déterminante pour la contamination des céréales à paille par les fusariotoxines.

Les méthodes prophylactiques (choix de dates de semis ou de récolte...) visent à esquiver ces phases d'exposition au risque. Lorsque le risque est constaté comme probable, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques (PPP) permet une lutte ciblée (fongicides sur les champignons, insecticides sur vecteurs de spores, herbicides sur les plantes-hôtes intermédiaires). Ils sont complémentaires des techniques de cultures adaptées, parfois insuffisantes pour garantir le respect des seuils. L'utilité des PPP avait été largement soulignée dans le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) rendu en avril 2010 (Étienne et Gatignol, 2010).

Différents moyens de gestion

Les moyens de gestion des bioagresseurs recommandés par la directive 2009/128/EC sur l'utilisation durable des pesticides constituent une trame pour la gestion des contaminants naturels dont les mycotoxines au champ. Cette gestion nécessite toutefois la connaissance des interactions en jeu.

• Le recours à la rotation des cultures s'avère parfois paradoxal pour les céréales à paille, puisque les cultures précédentes, en particulier le maïs grain et le sorgho, augmentent fortement le risque de fusarioses sur le blé qui suit, alors qu'elles sont recommandées pour prévenir les contaminations par l'ergot. La présence de graminées adventices sensibles dans une culture autre qu'une céréale entrave l'efficacité de la rotation contre l'ergot. La rotation avec des cultures d'hiver (colza, pois, féveroles...) ne permet pas souvent un contrôle suffisant du vulpin et du ray-grass. Elle est insuffisante pour la gestion de l'ergot du seigle. Cet effet favorable du précédent colza, non intuitif, vis-à-vis de l'ergot est identifié en France (Orlando et al., 2015) comme au Royaume-Uni (Farmers Weekly, 2016, Robert et al., 2008)(1).

• Les choix des dates de semis et de récolte pour le maïs doivent être les plus précoces possibles pour gérer les fusarioses et les Aspergillus. C'est la technique de l'esquive pour éviter le stress hydrique à la floraison en juillet, mois le plus chaud. En complément, des densités de semis de maïs adaptées à la ressource en eau doivent éviter d'accentuer les phénomènes de stress hydrique.

• Le labour, souvent largement pratiqué en agriculture biologique, permet de lutter efficacement contre l'ergot du seigle en enfouissant les sclérotes et en réduisant les graminées-hôtes relais, il est surtout efficace pratiqué une année sur deux pour l'ergot ou dans le cadre d'une rotation longue. Il participe à la réduction des fusarioses du blé ou du maïs en enfouissant les résidus de la culture qui précède s'ils sont source de contamination. Il ne devient en revanche « pratique aratoire conservative(2) » qu'en agriculture conventionnelle. Outre la consommation d'énergie fossile, il assèche le sol, surtout sous un climat sec en fin de printemps et en été.

• Si des cultivars de maïs résistant aux chenilles de lépidoptères phytophages sont utilisés sur l'ensemble du continent américain, en Europe, seuls l'Espagne et le Portugal sont concernés. Ils évitent les plaies sur les grains qui favorisent le développement des champignons des genres Fusarium et dans une moindre mesure Aspergillus (Wu, 2006, Folcher et al., 2010). Les cultivars de blés et de maïs les plus tolérants aux fusarioses et aux aspergilloses (pour les pays exposés comme l'Italie pour les aspergilloses du maïs) sont dans tous les cas indispensables.

• Une fertilisation équilibrée et ajustée aux besoins et surtout le recours à l'irrigation permettent d'éviter des stress alimentaires ou un stress hydrique, accentué par les adventices, principales causes de développement des Aspergillus produisant des aflatoxines (Payne et al., 1986) ou des fusarioses produisant des fumonisines. Pour les aflatoxines, l'irrigation reste pour les Américains et les Italiens une arme presque absolue les années à été sec. La construction de barrages et la création de retenues d'eau(3) participent donc indirectement à la lutte contre la contamination des maïs par les aflatoxines et les fumonisines.

• Le nettoyage des machines récoltant ou transportant le grain ainsi que des silos limite la contamination du grain par les insectes mais ne suffit pas à l'empêcher.

• Les moyens de séparation des grains plus atteints par les fusarioses ou les sclérotes d'ergot du seigle participent largement à l'obtention d'une récolte conforme aux exigences des réglementations sur les teneurs en mycotoxines et sclérotes d'ergot.

• Le repérage et l'allotement des parcelles potentiellement à problème sont la base de la gestion des mycotoxines, les années à risque (Intercéréales, 2014).

• L'affectation des lots plus atteints à l'alimentation animale et aux espèces ou productions les moins sensibles aux mycotoxines considérées permet de valoriser a minima les lots modérément contaminés, tout en respectant les recommandations européennes(4) (Intercéréales, 2014).

• La valorisation via la filière bioéthanol et, en dernier recours, la destruction par incinération ou l'enfouissement des lots les plus contaminés par des mycotoxines ou des alcaloïdes de l'ergot qui ne peuvent être triés et dépassent les valeurs seuils pour les espèces animales les moins sensibles est envisagé pour les hauts niveaux de contamination.

(1) Farmers Weekly : https://tinyurl.com/3bv275yc

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les mycotoxines sont des substances chimiques toxiques pour les hommes et les animaux, présentes dans les denrées végétales, principalement excrétées ou produites par des champignons des genres Aspergillus, Penicillium, Fusarium ou Claviceps.

GESTION - Les moyens de gestion font appel à la lutte « directe », via la sélection variétale, et le contrôle des insectes vecteurs facilitant la dissémination des champignons toxinogènes, ou des adventices hôtes ou toxiques. Des méthodes indirectes (rotations adaptées, dates de semis et de récolte précoces, enfouissement profond des résidus de culture, prévention des différents stress abiotiques) sont mises en oeuvre en parallèle. La gestion des lots en fonction de leur finalité (alimentation humaine, alimentation animale, produits industriels, fermenteurs, enfouissement sans valorisation) reste un dernier recours dans les pays au PIB élevé.

MOTS-CLÉS - Mycotoxines, ergot, aflatoxines, fusariotoxines, alcaloïdes, sécurité sanitaire de l'aliment, rotation, travail du sol, irrigation, allotements.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : marc.delos@agriculture.gouv.fr

isabelle.oswald@inrae.fr ; orchidee.dpm@orange.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Étienne J.-C., Gatignol C., 2010. Rapport Pesticides et Santé. Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n° 421 (2009-2010).

- Délos M., Dron M., Oswald I. P., Parent-Massin D., 2019. Contaminants naturels des végétaux : sécurité alimentaire et gestion du risque - Académie d'agriculture de France. Groupe de réflexion « Potentiel de la science pour une agriculture durable », 24 p.

- Délos M., Gasquez J., 2021. Mycotoxines : les moyens disponibles pour y remédier (dossier : Qualité post-récolte : des enjeux croissants), Phytoma n° 749-750, p. 18-24.

- Folcher L., Délos M., Marengue E., Jarry M., Weisenberger A., Eychenne N., Regnault-Roger C., 2010. Lower mycotoxin levels in Bt maize grain. Agronomy for Sustainable Development 30, p. 711-719.

- Intercéréales, 2014. Guide interprofessionnel de gestion des mycotoxines dans la filière céréalière. Édition 2014.www.intercereales.com

- Orlando B., Maumené C., Valade R., Maunas L., Robin N., Bonin L., 2015. Identification et hiérarchisation des déterminants agronomiques de l'ergot et des alcaloïdes associés sur céréales à paille. AFPP, Annales 11e Conférence international sur les maladies des plantes, Tours, France, 7 et 9 décembre 2015.

- Robert E., Naylor L., Lutman P. J. 2008. Weed Management Handbook: 9th Eds. (ed.): R.E.L., chap. 1.

- Wu F., 2006. Mycotoxin reduction in Bt corn: potential economic, health and regulatory impacts. Transgenic Research 15, p. 277-289.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :