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Chronique historique

« Que le feu de saint Antoine t'arde(1) »

PAR ANDRÉ FOUGEROUX - Phytoma - n°758 - novembre 2022 - page 48

Une épidémie connue sous le nom de « feu de saint Antoine » faisait brûler d'un feu intérieur les victimes de ce mal, qui les consumait avant de tuméfier et dessécher leurs membres. Au XVIIIe siècle, cette maladie sera rebaptisée « ergotisme ».
Ergot du seigle. Photo : BUI Santé - Musée François Tillequin

Ergot du seigle. Photo : BUI Santé - Musée François Tillequin

En 994, une épidémie du feu de saint Antoine fit 40 000 morts dans le sud-ouest de la France. Raoul Glaber, moine de Cluny raconte : « À cette époque sévissait parmi les hommes un fléau terrible, à savoir un feu caché qui, lorsqu'il s'attaquait à un membre, le consumait et le détachait du corps ; la plupart en l'espace d'une seule nuit furent complètement dévorés par cette affreuse combustion... » Ce feu représente une des peurs du passage à l'an mille mais, au contraire de la peste, cette maladie n'est pas contagieuse. Elle dévaste de nombreuses régions d'Europe. En 1722, le tsar Pierre le Grand, voulant un débouché sur la mer Noire, s'engagea dans une campagne contre les Turcs. Celle-ci tourna au fiasco en raison d'une intoxication à l'ergot qui fit 20 000 victimes dans les rangs de son armée. Un petit ergot d'un centimètre a retardé de 50 ans l'accès de l'empire russe à la mer Noire.

Ravages en Sologne

L'ergot affecte surtout le seigle et les blés. Il est causé par un champignon microscopique, Claviceps purpurea. Certaines régions sont plus affectées que d'autres et la Sologne figure en tête. Ce n'est pas une maladie démocratique, elle sévit surtout dans les régions les plus pauvres et notamment pendant « les tempêtes de la faim(2) » (1650, 1670,1674) qui ravagent la France de Louis XIV.

En 1597, le lien entre ergot du seigle et feu de saint Antoine est présenté pour la première fois à Marbourg. Mais il faudra attendre le XVIIIe siècle et l'épidémie de 1770 en France pour que le lien entre cette maladie humaine et l'alimentation soit accepté. Des observations médicales rapportent que les cas de gangrène apparaissent au mois d'août et diminuent à l'automne. En été, l'alimentation est essentiellement constituée de pain de seigle, alors qu'en automne, la récolte de sarrasin (blé noir) diversifie les rations alimentaires et dilue le risque lié à l'ergot. Pour comprendre le lien entre cette maladie et l'alimentation, l'abbé Tessier et Parmentier vont faire des tests de seigle ergoté respectivement sur un cochon et sur des chiens. Pris de convulsions, le porc décède alors que les chiens survivent.

Un lien avec l'alimentation

À la suite de ces résultats, Parmentier déclare l'innocuité de l'ergot. Mais Tessier met en cause la dose administrée par Parmentier et poursuit ses essais sur des animaux. En 1777, Tessier, Jussieu, Paulet et Saillant publient un mémoire, intitulé Recherche sur le feu de saint Antoine, qui établit définitivement ce lien entre l'ergot du seigle et cette maladie humaine, rebaptisée ergotisme.

Tessier sait que les Solognots empiriquement connaissent le risque de l'ergot : « Par quelle fatalité arrive-t-il que les hommes persuadés qu'il peut leur faire du mal ne font aucune difficulté de laisser l'ergot dans les grains dont ils se nourrissent ? »

En 1822, soucieux d'améliorer la vie dans cette région, le baron de Morogues écrit : « Les seigles de Sologne sont sujets à l'ergot : les grains attaqués par cette maladie dangereuse sont ordinairement plus volumineux que les autres, d'une couleur noire. Leur odeur et leur goût sont désagréables et ils sont fort malsains mais on peut les séparer facilement, soit en secouant les germes avant de les battre quand elles sont bien sèches, soit à l'aide de plusieurs cribles quand le grain est battu. Cette séparation est de la plus haute importance à cause de la qualité délétère que l'ergot communique à la farine. Les médecins ont souvent signalé les suites funestes de la consommation des seigles ergotés. Leur effet semble être de déterminer la gangrène sèche chez ceux qui s'en nourrissent habituellement. Malheureusement nos récoltes de seigle contiennent quelquefois cette espèce de poison dans la proportion d'un quart ou même d'un tiers. [...] Au commencement du siècle dernier, défenses furent faites aux paysans de la Sologne, de vendre ou de faire moudre du seigle, sans que préalablement il eût été nettoyé de l'ergot qu'il pouvait contenir. »

Connaître la cause de cette maladie devient une nécessité et de nombreuses observations vont étayer plusieurs points : l'ergot frappe surtout les terres légères, sablonneuses, humides et maigres. « Si les pluies excessives et les brouillards en sont les causes immédiates, c'est une bien forte raison de diminuer le plus possible la stagnation des eaux dont il résulte un effet aussi fâcheux. »

Quarante alcaloïdes

Mais au début du XIXe siècle, la Sologne ne produit pas assez de grains pour nourrir ses habitants, et pour satisfaire à l'appétit, il ne faut rien perdre. Les Solognots choisissaient entre famine et ergot en prenant le risque que la quantité d'ergot absorbée ne soit pas suffisante pour amener autre chose que la sensation d'ivresse provoquée par l'ergotisme naissant.

Depuis, plus de 40 alcaloïdes ont été isolés de l'ergot, dont les plus toxiques dérivent des acides lysergique et isolysergique. En France, le dernier cas d'intoxication lié à l'ergot s'est produit en 1951, lors de l'épisode du pain maudit de Pont-Saint-Esprit : 300 personnes en furent victimes, dont cinq décédèrent et une trentaine furent mentalement atteintes. L'ergot fait l'objet de surveillance et la réglementation européenne actuelle pour l'alimentation humaine limite le taux en ergot à 0,05 % pour le blé tendre et le blé dur. Un chiffre que l'abbé Tessier aurait sûrement aimé connaître.

(1) Au Moyen Âge, injonction terrible à destination de son ennemi. (2) Valentin Esprit Fléchier (1632-1710).

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