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Retour d'expériences

Déclin des insectes : vraies raisons et solutions potentielles

PAR CHANTAL URVOY - Phytoma - n°758 - novembre 2022 - page 49

Les spécialistes alertent de plus en plus sur la diminution du nombre d'espèces d'insectes. L'agriculture, et notamment ses insecticides, est souvent montrée du doigt. Est-ce la seule cause ? Quelles sont les solutions pour freiner cette tendance, voire l'inverser ? Entretien avec André Fougeroux, qui a passé toute sa carrière penché sur les ravageurs, auxiliaires et pollinisateurs.
 Photo : C. Urvoy

Photo : C. Urvoy

Retraité mais toujours actif à l'Académie d'agriculture de France et à Végéphyl, André Fougeroux a notamment été responsable national agriculture durable en charge des dossiers sur la biodiversité et les abeilles chez Syngenta. Il est également apiculteur amateur.

La diminution du nombre d'espèces d'insectes, dont on parle régulièrement, est-elle bien réelle, sachant qu'il y aurait 8 millions d'espèces d'insectes et araignées sur Terre et que seule 1 million environ sont connues ? « Il est certes difficile d'extrapoler à l'ensemble des espèces le déclin observé sur les seules connues, souligne André Fougeroux. Mais la réduction ou la disparition de certaines espèces indicatrices inquiète, comme par exemple les hannetons ou encore bon nombre de papillons ou de bourdons. Il se passe bien quelque chose que l'on ne peut ignorer. »

Insecticides, prairies et haies

L'agriculture au travers des insecticides est tenue pour responsable. « On ne peut le nier mais des progrès importants ont été réalisés pour éviter de tuer des espèces autres que les ravageurs-cibles : réduction des quantités à l'hectare et de la toxicité intrinsèque des matières actives, interventions plus localisées... » D'autres phénomènes expliquent également ce déclin : la disparition de plus de 4,4 millions d'hectares de prairies permanentes (8 % du territoire métropolitain) entre 1970 et 1999, et près de 700 000 km de haies entre 1975 et aujourd'hui.

« Or ces milieux stables permettaient aux insectes de réaliser leur cycle complet sans être perturbés. » Le hanneton réalisait ainsi son cycle larvaire dans les prairies permanentes et s'accouplait au sommet des chênes ! Certaines espèces de carabes, inféodées aux prairies, ont également régressé. Autre phénomène : la raréfaction des fleurs. « Le trèfle et le sainfoin ont quasiment disparu du paysage agricole. En dehors du tournesol et du colza, les grandes cultures actuelles en offrent peu. Or beaucoup d'insectes se nourrissent de nectar et de pollen. »

Causes sociétales

Mais l'agriculture n'est pas la seule coupable. « La pollution lumineuse est une vraie catastrophe ! Le matin, à la gare de mon village situé au milieu de la forêt de Fontainebleau, des centaines d'insectes sont morts au pied des lampadaires, épuisés d'avoir tourné autour toute la nuit. Extrapolée à toute la France (les photos aériennes de nuit montrent que c'est extrêmement lumineux), cette pollution est responsable de la perturbation des cycles des insectes (absence d'alternance jour/nuit) et de leur épuisement. » Autre cause : 30 000 à 40 000 ha de sols agricoles disparaissent chaque année. « Ce sont des ressources en moins pour les insectes. » La fragmentation des habitats par les routes, autoroutes, lignes TGV... perturbe également beaucoup d'espèces.

Changer de stratégie

Peut-on inverser la tendance ? Le progrès doit apporter encore plus de sélectivité des insecticides, notamment pour préserver les auxiliaires, solution de gestion des ravageurs sans impact environnemental. Dans son ouvrage Insecticides, insectifuges ? Enjeux du XXIe siècle, paru en 2021, André Fougeroux livre quelques pistes sur ce que devrait être, demain, la lutte contre les ravageurs. « Ils ne vont pas disparaître. Donc il faut trouver de nouvelles solutions. Depuis la nuit des temps, des stratégies de lutte ont été développées avec une seule idée en tête : éradiquer absolument ces insectes qui provoquaient d'énormes dégâts. Il faut dépasser cette idée pour arriver à celle de les empêcher de communiquer pour s'accoupler, voire de les "pousser" vers d'autres cultures où ils ne feront pas de dégâts. »

Insectifuges

Les médiateurs chimiques (phéromones, allomones...) constituent une des solutions d'avenir avec deux avantages : une absence de contournement possible par le ravageur (a priori) et d'effets secondaires sur les espèces non-cibles. « Cela fonctionne déjà bien en arboriculture, voire en viticulture. En grandes cultures, c'est en test pour gérer la bruche de la féverole. On pourrait peut-être aussi imaginer un blé émettant une phéromone pour lutter contre les pucerons. » L'agriculture doit aussi réinvestir dans les prairies permanentes, les haies, et remettre des fleurs partout où c'est possible : bandes enherbées, SIE(1), haies, cultures intermédiaires... « On a manqué certaines occasions : dans les ZNT(2) qui représentent 450 000 ha sur le territoire, il aurait fallu implanter des espèces mellifères comme le trèfle et non du ray-grass. L'agriculture a tout ce qu'il faut pour inverser ce déclin des espèces d'insectes. Heureusement, nombre d'agriculteurs sont déjà très sensibles à cet enjeu. »

Sobriété lumineuse

La société doit aussi s'emparer du problème, tout d'abord en adoptant la sobriété lumineuse ! La loi prévoit également l'arrêt de l'artificialisation des sols. « En milieu urbain, plus on aura de niches écologiques via la revégétalisation par exemple, mieux ce sera pour favoriser le développement des insectes. » Enfin, le réchauffement climatique devrait être favorable à certaines espèces. « C'est déjà le cas des mouches qui réalisent un troisième cycle à l'automne actuellement, des punaises et des pucerons. » Certains auxiliaires, comme la coccinelle asiatique qu'on ne connaissait pas il y a 25-30 ans, se développent également. « Aujourd'hui, nous la voyons partout en grand nombre », constate André Fougeroux.

(1) Surfaces d'intérêt écologique.(2) Zones non traitées.

BIO EXPRESS ANDRÉ FOUGEROUX

1977 : Ingénieur diplômé de l'Enita de Dijon

Coopération à l'Institut d'agronomie du Maroc

1979 : Ingénieur au Service de la Protection des végétaux (Paris)

1981 : Ingénieur puis chef du service lutte antiparasitaire à l'Acta (Paris)

1990 : Responsable service expérimentation chez Ciba-Geigy à Nérac (Lot-et-Garonne)

1998 : Responsable de la gamme insecticides et protection des semences chez Novartis puis Syngenta (Suisse)

2004-2017 : Responsable national agriculture durable chez Syngenta à Guyancourt (Yvelines)

2011-2022 : Président de la Commission Ravageurs et auxiliaires en agriculture de Végéphyl

Depuis 2015 : Membre de l'Académie d'agriculture de France, section agrofournitures

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