1. Symptôme de dessèchement du rameau et des fleurs. 2. Dégâts de moniliose sur rameau à fleur. Photos : Inrae UERI Gotheron
Fig. 1 : Pluviométrie, période de sensibilité et risque phéno-climatique de contamination en 2021 et 2022
Fig. 2 : Essai « éclaircissage à la fleur » - Nombre moyen de rameaux moniliés par arbre en fonction de la modalité d'éclaircissage et de la variété d'abricotier en 2022 (+/- erreur standard)
Fig. 3 : Essai « Chute provoquée des pétales » - Influence de la chute provoquée des pétales sur le nombre de rameaux moniliés en 2021 (+/- erreur standard)
Les monilioses sur fleurs et rameaux sont le principal frein à la culture biologique de l'abricot, pouvant entraîner 100 % de pertes de récolte. À l'heure actuelle, les principales stratégies de gestion des monilioses sont la lutte chimique et l'élimination des foyers infectieux (rameaux et fleurs contaminés). La mise en évidence du rôle des pétales dans l'infection des abricotiers par Monilinia a permis d'imaginer des méthodes de protection alternatives contre les monilioses sur fleurs et rameaux. Cet article présente les premiers résultats obtenus récemment pour deux de ces méthodes : l'éclaircissage à la fleur et la chute provoquée des pétales.
Moniliose : les conditions de contamination
Infection de Monilinia spp. par les fleurs
En Europe, les trois principales espèces responsables de la moniliose sont Monilinia laxa (Aderhold & Ruhland) Honey, M. fructicola (Winter) Honey et M. fructigena (Aderhold & Ruhland) Honey ex Whetzel (Holb, 2003). En France, les dégâts causés par les monilioses sur rameaux d'abricotier sont principalement dus à M. laxa (Brun et al., 2021). La première attaque a lieu sur les fleurs, où les spores viennent se déposer et germer lors de périodes de pluie. La contamination des fleurs se déroule de début février à fin mars selon les variétés d'abricotier. Le champignon va ensuite rentrer dans la fleur et potentiellement atteindre le rameau. On observe alors un brunissement des fleurs et des bouquets floraux, suivi d'un dessèchement de la fleur qui reste sur le rameau. Environ un mois après la floraison, les rameaux vont développer des symptômes de chancre souvent accompagnés d'écoulements gommeux, puis le rameau va se dessécher (photos 1 et 2).
Le rôle des pétales sur la contamination par Monilinia spp.
Les modes de pénétration dans l'hôte diffèrent selon les agents pathogènes. Dans le cas de la moniliose sur fleurs et rameaux d'abricotier, il est admis que les Monilinia infectent l'hôte par l'intermédiaire des fleurs. Les fleurs au stade fleur ouverte sont plus sensibles aux monilioses que celles au stade bouton blanc (Jacquot et al., 2020), tandis que les fleurs au stade chute des pétales n'ont montré aucune infection par M. laxa (Brun et al., 2021). En 2020, un essai mené sur Gotheron s'est intéressé à la porte d'entrée de la moniliose sur fleur et rameau, et a montré que les pétales semblent être le siège principal de contamination par M. laxa, laissant supposer un passage de l'agent pathogène dans le rameau à partir de la colonisation du pétale (Brun et al., 2021).
Deux techniques alternatives testées en 2021 et 2022
Un dispositif pour tester deux techniques de protection
L'essai RENFEP (Réduction du nombre de fleurs et de pétales) a été réalisé en 2021 et 2022 sur un verger planté en janvier 2015 sur le site d'Inrae Gotheron à Saint-Marcel-lès-Valence, dans la Drôme. Le dispositif est composé de six parcelles composées chacune de cinq rangées de huit arbres, chaque rangée correspondant à une variété d'abricotier, soit un total de 240 arbres. Parmi les six parcelles, deux parcelles sont conduites en forme gobelet et quatre parcelles conduites en forme palmette. Les cinq variétés - 'Anégat', 'Shamade', 'Frisson', 'Bergeval' et 'Bergeron' - sont autofertiles et ont été sélectionnées pour leurs dates de floraison homogènes, permettant de regrouper les passages dans la parcelle pour les actions d'éclaircissage à la fleur et de chute provoquée des pétales. Les variétés présentent des sensibilités différentes aux monilioses, allant de moyennement sensibles à fortement sensibles. Le dispositif est conduit en agriculture biologique depuis deux ans, aucun traitement phytosanitaire n'a été réalisé durant les deux années d'essai pour ne pas interférer avec le développement des monilioses.
Essai « éclaircissage à la fleur »
Les fleurs étant l'organe de passage des Monilinia dans l'abricotier, l'impact d'un éclaircissage des fleurs sur l'incidence des monilioses sur rameaux a été évalué pour les cinq variétés d'abricotier. L'éclaircissage à la fleur a été réalisé en 2022 sur la moitié des arbres des deux parcelles en conduite gobelet (un arbre sur deux). La moitié des arbres restants constituent les témoins. L'éclaircissage a été effectué avec une brosse rotative (Electro'flor, CTIFL, Paris) au stade bouton blanc en visant une réduction de 75 % des bourgeons à fleur. L'Electro'flor est un outil d'éclaircissage manuel composé d'une brosse entraînée par un moteur électrique (photo 3). L'éclaircissage ne doit pas être réalisé avant une pluie pour éviter la contamination via de potentielles blessures. Pour vérifier que l'objectif d'éclaircissage de 75 % des boutons floraux était globalement atteint, le nombre de boutons floraux avant et après le passage de l'Electro'flor a été noté sur deux arbres par variété. Concernant la production, le nombre de fruits noués par arbre après l'éclaircissage à la fleur a été estimé.
Essai « chute provoquée des pétales »
L'objectif de cet essai est de déterminer si une chute provoquée des pétales au stade fleur ouverte va limiter l'incidence des monilioses sur rameaux sur cinq variétés d'abricotier. Cette chute provoquée des pétales a été réalisée en 2021 et 2022 avec une effeuilleuse (ERO VITIpulse, ERO GmbH, Simmern, Allemagne), une souffleuse d'air pulsé qui sert habituellement à faire tomber les feuilles de pommiers (photo 4). La souffleuse a été passée sur deux parcelles en conduite palmette, les deux parcelles restantes servant de modalité témoin. Trois et deux passages de la souffleuse, respectivement en 2021 et en 2022, ont été réalisés au stade pleine floraison sur les deux côtés de chaque rang pour chaque variété et pour chaque parcelle, afin de couvrir l'étalement de la floraison. Pour permettre le passage de la souffleuse au plus près des arbres, les rameaux dépassant du rang des parcelles en palmette ont été taillés. Le passage de la souffleuse doit être réalisé au plus tard cinq jours après une pluie contaminatrice pour éviter le passage du Monilinia jusqu'au rameau, et ne doit pas être réalisé avant une pluie pour éviter la contamination via de potentielles blessures. La souffleuse était réglée pour une vitesse d'avancement comprise entre 0,7 et 0,8 km/h, avec une vitesse de rotation de la prise de force de 530 tours/min. L'efficacité de la chute provoquée des pétales a été déterminée par une notation du nombre de pétales restants accrochés sur les fleurs après le passage de la souffleuse sur trois portions de charpentière par variété pour la modalité « Témoin » et pour la modalité « Chute provoquée des pétales », soit trente portions de charpentières au total. Le taux de nouaison a été déterminé sur ces mêmes portions de charpentières par un comptage du nombre de fruits noués trois semaines après floraison environ.
Notation de l'incidence des monilioses
Afin de mesurer au mieux les niveaux de maladie, l'incidence des monilioses a été estimée en dénombrant le nombre de rameaux moniliés par arbre, la notation consistant à prélever et compter tous les rameaux moniliés sur chaque arbre. Un rameau est considéré monilié s'il présente des symptômes de dessèchement des fleurs et du rameau, et de potentiels écoulements gommeux (photos 1 et 2). Cette notation a été réalisée sur tous les arbres du dispositif, environ un mois après la floraison, délai qui permet à l'ensemble des symptômes d'apparaître.
Résultats : une réduction significative des monilioses
Toutes les variétés du dispositif ont présenté de bons retours à fleurs (floribondités proches de 3 sur une échelle de 5 : environ trente fleurs par mètre linéaire), ce qui a permis de bien discerner l'effet de l'élimination des fleurs ou des pétales sur Monilinia. L'identification des espèces de Monilinia réalisée a montré que seule Monilinia laxa était présente au cours de l'étude.
L'éclaircissage à la fleur réduit fortement l'incidence des monilioses
L'année 2021 a été peu pluvieuse pendant la période de sensibilité aux contaminations, alors que l'année 2022 a été marquée par des conditions favorables au développement des monilioses, dues notamment à une forte précipitation au milieu de la période de floraison. Ceci s'est traduit par un risque phéno-climatique(1) de contamination (Brun et al., 2021) environ trois fois plus important en 2022 par rapport à 2021 (Figure 1). Pour l'ensemble des variétés, l'éclaircissage à la fleur a permis de réduire de manière significative (p-value moins que 0,001) l'incidence des monilioses sur rameaux de l'ordre de 81 % en moyenne, pour une diminution moyenne de la charge en fleur de 69 % (Figure 2).
De plus, l'éclaircissage à la fleur a permis de réduire en moyenne la charge en fruit des arbres de 65 %. Les charges obtenues étaient supérieures à l'objectif de production de cette parcelle en AB basé sur 450 fruits par arbre pour toutes les variétés sauf 'Anégat' qui est une variété avec un faible taux de nouaison (voir tableau).
La chute provoquée des pétales, une technique de lutte innovante
Pour les deux années de suivi, le passage de la souffleuse a globalement permis de réduire significativement l'incidence des monilioses pour toutes les variétés d'abricotier. En 2021, la souffleuse a réduit significativement (p-value moins que 0,001) en moyenne de 68 % le nombre de rameaux moniliés (Figure 3), pour une diminution moyenne du nombre de pétales de 63 %. Mais les niveaux de maladie étaient très faibles en 2021, donc le nombre de rameaux moniliés dans les deux modalités était peu important. L'intensité minime de la maladie s'explique par la faible quantité de pluie tombée pendant la période de floraison en 2021, donnant un risque phéno-climatique plus faible qu'en 2022 (Figure 1).
Comme pour l'essai « éclaircissage à la fleur », l'année 2022 a permis de bien mettre en évidence les effets de la chute des pétales sur les monilioses. En 2022, la souffleuse a permis une réduction significative des monilioses sur les variétés 'Anégat', 'Frisson' et 'Bergeval' avec des taux de réduction de monilioses compris entre 38 et 63 % pour une diminution moyenne du nombre de pétales de 59 % (Figure 4). Pour les variétés 'Shamade' et 'Bergeron', les résultats tendent à montrer une diminution des monilioses, mais de manière non significative, avec un taux de réduction moyen des monilioses de 17 % pour une diminution moyenne du nombre de pétales de 50 % (Figure 4). Il est également à noter que pour les deux années, la souffleuse n'a pas eu d'impact sur la charge en fruit. Ce résultat permet donc de supposer que la souffleuse n'abîme pas les pistils des fleurs, n'empêchant pas la nouaison des fruits.
Une utilisation comme levier de lutte
Les deux pratiques culturales testées lors de cette étude ont montré des résultats très encourageants dans le cadre de la lutte contre les monilioses sur fleurs et rameaux d'abricotier.
L'éclaircissage à la fleur a réduit de façon importante l'incidence des monilioses, en permettant simultanément de réduire la charge en fruit des arbres. Cependant, cette technique doit être mise au regard de sa viabilité économique. Des variétés avec des taux de nouaison faibles ou des floribondités faibles présentent un risque de charge en fruits insuffisante après éclaircissage à la fleur. Le gel peut également être un facteur limitant à la pratique d'un éclaircissage précoce. En diminuant le nombre de fleurs et de fruits de façon précoce, l'arboriculteur s'expose à un risque plus important d'obtenir une charge en fruit insuffisante en cas de gel.
Concernant la chute provoquée des pétales, l'efficacité sur Monilinia est moins importante et plus irrégulière, mais présente la possibilité de réduire les dégâts de monilioses sans avoir un impact sur la charge en fruit des arbres. Si on s'intéresse à la viabilité économique de cette technique, la charge en fruit des arbres n'est pas réduite, et le risque d'obtenir une charge en fruit insuffisante en cas de gel ou de taux de nouaison faible n'augmente pas. Le passage de la souffleuse est coûteux en temps (10 h/ha) et très énergivore (15 l/h de fioul), et n'est réalisable que sur des arbres conduits en forme palmette. Sur la base de ces données, il a été imaginé une proposition d'outil d'aide à la décision (OAD) qui conseillerait les producteurs sur le choix de la technique de lutte à adopter en fonction de trois critères : le type de conduite, le taux de nouaison des variétés d'abricotier et le risque de gel (Figure 5).
Perspectives
Au vu de l'efficacité de l'éclaircissage à la fleur, l'essai sera reconduit en 2023 en utilisant un outil d'éclaircissage mécanisé et adapté aux formes de verger en mur fruitier, via l'usage d'une brosse rotative tractée. L'éclaircissage à la fleur est une pratique déjà adoptée par plusieurs producteurs afin de réduire la charge en fruit des arbres, mais cette pratique reste majoritairement utilisée sur des vergers conduits en forme palmette. La mise en évidence de son intérêt dans la lutte contre les monilioses pourrait servir de levier au développement de son utilisation. L'éclaircissage à la fleur pourrait permettre de lever un verrou dans la filière biologique où les fongicides utilisables en AB présentent une efficacité partielle contre les monilioses. Cette technique pourrait également être complémentaire à l'application de fongicides sur fleurs afin de réduire les quantités de produits utilisés en culture conventionnelle.
Concernant la chute provoquée des pétales, le principal frein à la mise en oeuvre de cette technique étant l'utilisation de la souffleuse, les futures études devront se concentrer sur le développement d'alternatives moins énergivores, présentant une meilleure efficacité de chute ou ne nécessitant pas des vergers en forme de mur fruitier. Parmi ces possibles alternatives, on peut imaginer de nouveaux outils techniques ou chimiques permettant la chute des pétales, mais également la sélection de variétés autofertiles présentant des pétales avec des tailles réduites ou plus sensibles aux chutes naturelles notamment via le mistral (couloir rhodanien).
Pour réduire efficacement la maladie, les producteurs doivent composer avec l'ensemble des leviers agronomiques. Le développement d'un OAD pourrait les guider dans leurs choix, et ainsi faciliter la transition vers des systèmes de culture plus économes en intrants.
(1) Pour chaque épisode pluvieux, le risque phéno-climatique de contamination par M. laxa prend en compte la proportion des différents stades phénologiques sensibles, la pluviométrie (en mm) et la température pendant la pluie. Pour l'ensemble des épisodes pluvieux, un indice de contamination cumulé est donné par le modèle. Pour plus d'informations, voir Phytoma n° 740, p. 38-42.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Les surfaces d'abricotier en France représentent environ 12 500 ha, pour une production d'environ 110 000 tonnes chaque année. Cette dernière est soumise à une forte disparité selon les années (Agreste, 2021), due principalement au climat et aux maladies. Les monilioses sur fleurs et rameaux sont le principal frein à la culture biologique de l'abricot, et sont responsables en grande partie du recul de développement des surfaces de vergers biologiques en France. Dans un objectif de production en bas intrants phytosanitaires, il devient nécessaire de trouver de nouvelles alternatives de lutte.
ÉTUDE - L'Inrae (UERI Gotheron) a réalisé un essai intitulé RENFEP (Réduction du nombre de fleurs et de pétales) en 2021 et 2022 dans la Drôme pour évaluer l'efficacité de deux techniques dans la gestion des monilioses : l'éclaircissage à la fleur et la chute provoquée des pétales.
RÉSULTATS - Les deux pratiques culturales testées ont présenté des résultats encourageants dans le cadre de la lutte contre les monilioses sur fleurs et rameaux d'abricotier. L'éclaircissage à la fleur réduit fortement l'incidence des monilioses, en permettant simultanément de réduire la charge en fruit des arbres.
La chute provoquée des pétales offre une efficacité sur Monilinia moins importante et plus irrégulière, mais n'a pas d'incidence sur la charge en fruit des arbres. La viabilité économique de l'une ou l'autre solution dépend de plusieurs critères, amenant à la réalisation d'un outil d'aide à la décision.
MOTS-CLÉS - Abricotier, moniliose, Monilinia sp., fleurs, rameaux, éclaircissage.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : laurent.brun@inrae.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Agreste, 2021. Agreste Conjoncture. Fruits (en ligne). Disponible à l'adresse : https://tinyurl.com/4mapjys9
- Holb I.J., 2003. The brown rot fungi of fruit crops (Monilinia spp.): I. Important features of their biology (Review paper). International Journal of Horticultural Science n° 20, vol. 9, n° 34, p. 23-36. DOI 10.31421/IJHS/9/3-4/402.
- Brun L., Tresson P., Dubois J., 2021. Suivre la contamination des fleurs par Monilia laxa. Phytoma n° 740, p. 38-42.
- Jacquot M., Brenner J., Brun L., Buléon S., Chambeyron W., Dam D., Dubois J., Labeyrie B., 2020. Weather variables and landscape composition influence blossom and twig blight (Monilinia spp.) damages on apricot in southeastern France. Ecofruit. p. 2.