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DOSSIER - Là où tout commenceLa qualité des semences

Cultures porte-graines et qualité des semences

JEAN-ALBERT FOUGEREUX, Fnams - Loire-Authion - Phytoma - n°759 - décembre 2022 - page 16

La qualité des semences commence par la protection des cultures porte-graines, qui par ailleurs est essentielle pour maîtriser le rendement des semences.
1. Attaque généralisée de mildiou sur une parcelle d'oignon porte-graine.

1. Attaque généralisée de mildiou sur une parcelle d'oignon porte-graine.

2. Symptôme de mildiou sur hampe d'oignon porte-graine. Photos : Fnams

2. Symptôme de mildiou sur hampe d'oignon porte-graine. Photos : Fnams

3. Trèfle incarnat porte-graine.  Photos : 3 et 4. Fnams 5. Labosem

3. Trèfle incarnat porte-graine. Photos : 3 et 4. Fnams 5. Labosem

4. L'apion du trèfle (Protapion trifolii), r

4. L'apion du trèfle (Protapion trifolii), r

redoutable ravageur du trèfle violet (photo 5).

redoutable ravageur du trèfle violet (photo 5).

6. Fétuque.

6. Fétuque.

7. Punaise sur une ombelle de carotte.

7. Punaise sur une ombelle de carotte.

8. Oignons porte-graines. Photos : 6. Labosem 7 et 8. Fnams

8. Oignons porte-graines. Photos : 6. Labosem 7 et 8. Fnams

Luzerne porte-graine. Photo : C. Ravenel - Fnams

Luzerne porte-graine. Photo : C. Ravenel - Fnams

La protection des cultures porte-graines joue un rôle majeur pour l'approvisionnement en semences. Les enjeux sont de produire en quantité suffisante, de limiter la présence de graines d'adventices dans les lots, de lutter contre les bioagresseurs pouvant altérer le pouvoir germinatif et d'éviter le risque de propagation de maladies transmises par les semences.

La qualité des semences, une notion composite

La qualité d'un lot de semences peut être définie comme son aptitude à satisfaire les besoins de l'utilisateur, et résulte d'une multitude de caractéristiques ou propriétés du lot. Certaines de ces caractéristiques sont réglementées et font l'objet de contrôles officiels avant commercialisation. C'est le cas par exemple de la pureté du lot (pureté d'espèce également appelée pureté spécifique, pureté variétale), de la faculté germinative, ou encore de la présence de maladies ou ravageurs chez certaines espèces (voir article p. 33-38).

Les attentes des utilisateurs vont parfois au-delà de ces critères réglementés, exigeant par exemple des notions de vigueur, ou encore des calibres particuliers de semences pour optimiser la mécanisation du semis.

Si la techno-semence (triage, enrobage, traitement du lot, etc.) peut jouer un rôle majeur sur la qualité du lot, les conditions rencontrées par la semence au cours de sa formation sur le porte-graine et les pratiques culturales mises en oeuvre restent déterminantes pour obtenir un lot de haute qualité. Et la protection des cultures joue là un rôle de tout premier plan.

Pour fournir des semences de qualité, il faut... des semences

Une maîtrise du rendement primordiale

La maîtrise du rendement en production de semences est d'abord un enjeu d'attractivité pour les agriculteurs-multiplicateurs dont la rémunération dépend de la quantité récoltée. C'est aussi un enjeu d'approvisionnement en semences pour les agriculteurs utilisateurs, et d'autonomie en semences pour le pays, ce qui conditionne indirectement le financement de la recherche variétale.

Chez certaines espèces (céréales à paille, protéagineux, etc.), la maîtrise du rendement « semences » ne pose pas de questions spécifiques par rapport à la culture destinée à l'alimentation humaine ou animale.

Mais pour de nombreuses espèces, le cycle de culture pour la production de graines diffère très sensiblement du cycle de la cuture de « consommation » correspondante.

C'est souvent le cas pour les espèces multipliées par croisement de parents hybrides (maïs, colza, tournesol, betterave industrielle, potagères hybrides, etc.). C'est le cas également des nombreuses espèces pour lesquelles la sélection n'a pas (ou très peu) porté sur la production de graines (graminées et légumineuses fourragères, légumes feuilles ou racines, betterave industrielle...). Chez ces espèces, la variabilité du rendement face aux aléas biotiques et abiotiques est en effet particulièrement élevée(1), et oblige les agriculteurs multiplicateurs à déployer des soins tout particuliers pour obtenir un rendement acceptable.

Le cas du mildiou de l'oignon

L'oignon est l'une des premières espèces potagères fines multipliées en France avec 2 000 à 2 500 ha selon les années. On rencontre cette espèce dans toutes les grandes zones de multiplication françaises : Anjou, région Centre, vallée de la Drôme, Sud-Ouest. Les productions françaises approvisionnent le marché intérieur, et une partie est exportée vers l'Europe du Nord, du Sud et depuis quelques années vers les pays asiatiques. Le rendement moyen est de l'ordre de 500 kg/ha en variétés populations, 300 kg/ha en hybrides, avec une très forte variabilité selon les variétés et les conditions agroclimatiques.

L'oignon porte-graine est très sensible au mildiou (Peronospora destructor) (photos 1 et 2). Les spores de P. destructor sont omniprésentes dans l'environnement, et la contamination des cultures est très dépendante du climat (forte humidité relative, optimum de température à 16 °C). Le très fort impact potentiel de cette maladie rend indispensable la mise en place d'une lutte prophylactique combinée à l'application d'un programme fongicide raisonné(2).

Si le mildiou n'est pas maîtrisé, on assiste à la destruction des parcelles par dessèchement total des hampes, entraînant l'absence de graines dans les ombelles.

L'apion du trèfle violet

Les cultures de trèfle violet porte-graine sont confrontées à un apion (Protapion trifolii, photos 4 et 5), petit coléoptère qui pond sur les inflorescences et dont les larves dévorent les graines en formation, avec des impacts impressionnants sur le rendement. Avec l'interdiction d'utiliser des insecticides de type néonicotinoïdes, il n'est plus possible actuellement de maîtriser correctement ce ravageur en cas de forte attaque. Au point que les agriculteurs-multiplicateurs se désintéressent de cette culture (baisse des surfaces de 43 % entre 2018 et 2021, avec un passage de 9 790 ha à 5 570 ha, données Semae). Ainsi, alors que la demande en semences de légumineuses fourragères est en forte croissance (de l'ordre de +10 % par an en moyenne sur les cinq dernières années), il est désormais nécessaire de recourir à des importations.

Une situation très similaire est constatée dans le cas du radis porte-graine, cible de plusieurs coléoptères qui ont un impact fort (altises, charançons, méligèthes), dont les surfaces ont baissé de 78 % entre 2018 et 2021.

Dans les deux cas, les moyens de lutte alternatifs en cours d'étude (autres produits insecticides dont biocontrôle, plantes de service...) n'ont pas apporté de solution opérationnelle pour le moment.

Pureté spécifique du lot : maîtriser les adventices

La production de semences est soumise à un corpus réglementaire spécifique à la fois européen (directives de commercialisation des semences, règlement sur la santé des végétaux) et national (règlements techniques de production). Cette réglementation vise à limiter les risques de propagation d'organismes nuisibles réglementés (de quarantaine ou non, au sens du règlement sur la santé des végétaux), ou non réglementés mais préjudiciables dans la parcelle de l'utilisateur (voir article p. 22-26). C'est le cas en particulier pour la présence de graines d'espèces indésirables (adventices par exemple), qui font l'objet de seuils de présence dans le lot de semences pour la commercialisation, mais aussi en parcelles de multiplication (Tableau 1, exemple des graminées fourragères).

La maîtrise des adventices et repousses des autres espèces cultivées présente par conséquent un enjeu majeur en parcelles de multiplication. Il s'agit en effet, d'une part, de respecter les normes de présence en culture et, d'autre part, de livrer des lots susceptibles de respecter les normes sur lot après triage. Celui-ci permet en général d'éliminer une grande partie des graines indésirables, mais certaines adventices sont très difficiles voire impossible à trier (Tableau 2), y compris par triage optique.

En agriculture biologique, le respect des normes de pureté spécifique est un véritable challenge (en graminées fourragères en particulier) et constitue chez certaines espèces un frein majeur au développement de surfaces de multiplication. Un éventuel assouplissement des normes (qui datent en général des années 1960...) mériterait sans doute d'être questionné pour tenir compte du cahier des charges AB, mais les conséquences sur la propagation d'espèces indésirables dans la parcelle de l'utilisateur ne doivent pas être sous-estimées.

Qualité germinative : protéger la culture porte-graine

Des défauts de différentes origines

La commercialisation des lots de semences impose le respect de normes de faculté germinative(3), avec une valeur seuil définie pour chaque espèce cultivée (exemple : 85 % pour le blé, 80 % pour le pois, etc.). Les défauts de faculté germinative ont de nombreuses origines possibles (conditions climatiques défavorables, semences immatures, dégâts mécaniques à la récolte, etc.). Dans certains cas, les défauts de germination sont directement liés à la présence de bioagresseurs qu'il est alors indispensable de maîtriser pour respecter les normes de germination.

L'exemple des bruches

Les bruches sont de redoutables ravageurs des cultures de légumineuses (Bruchus pisorum sur pois, Bruchus rufimanus sur féverole, Bruchus lentis sur lentille, Acanthoscelides obtectus sur haricot...). La larve se développe dans la graine au cours de sa formation, dans laquelle elle se nourrit de tissu embryonnaire. À la récolte ou quelques semaines après, l'adulte quitte la graine alors amputée d'une partie de son embryon. L'impact sur la germination du lot est variable selon les espèces, par exemple plus élevé sur pois que sur féverole (Tableau 3) : une graine de pois « bruchée » n'a qu'une chance sur quatre de générer une plantule normale, contre deux chances sur trois dans le cas de la féverole. La lutte contre les bruches en production de semences est aujourd'hui une réelle difficulté, particulièrement en agriculture biologique où il n'est pas rare d'écarter des lots très contaminés et présentant une faculté germinative trop faible.La recherche de méthodes alternatives à la lutte insecticide, en particulier les approches par piégeage de masse, est encore pour le moment loin d'être satisfaisante.

Le cas des punaises sur carotte et autres apiacées

Il est établi depuis une petite dizaine d'années que la faculté germinative en semences de carotte est très dépendante de la présence de punaises en parcelles de multiplication qui injectent une toxine dans l'akène au cours de sa formation (photo 7). Lorsque la piqûre se produit à un stade précoce de l'akène, celui-ci avorte, provoquant une perte de rendement. Mais lorsque la piqûre est plus tardive, alors que l'albumen est déjà formé, seul l'embryon est dégradé. Ces semences auront une taille et un poids quasiment identique à une semence normale ; elles ne sont pas éliminées au triage mais ne germent pas. Les punaises responsables de ces dégâts sont principalement du genre Orthops sp. ; elles sont installées en France depuis semble-t-il assez peu de temps, et touchent d'autres cultures d'apiacées porte-graines (aneth, panais).

La maîtrise de la germination chez la carotte repose ainsi sur une lutte insecticide raisonnée, basée sur l'application de produits insecticides de la famille des pyréthrinoïdes, déclenchés sur la base de comptages de punaises en parcelles (Tableau 4).

Plusieurs pistes sont actuellement à l'étude pour éviter ces traitements (biocontrôle, dispositifs agroécologiques), avec des résultats jusqu'à présent non satisfaisants.

Les fusarioses des céréales à paille

Un autre cas typique est celui des fusarioses sur céréales à paille. Ces maladies se développent en cas de pluies durant la floraison, avec une sensibilité variable d'une espèce ou d'une variété de céréale à l'autre. Les fusarioses sont à l'origine de défauts de germination importants, en particulier en blé dur, avec un fort impact sur la germination au laboratoire (faculté germinative) ou au champ (fonte des semis).

Ainsi, à partir d'un observatoire mené durant treize ans sur blé dur, la Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (Fnams) constate un lien étroit entre la faculté germinative des lots récoltés et le taux de contamination des semences (mesuré après triage) par Microdochium sp. et/ou Fusarium graminearum. Une protection fongicide durant la période de floraison, en comparaison à un témoin non traité, a généré un gain moyen de faculté germinative de 9 % pour des variétés sensibles, contre 6,6 % pour des variétés moins sensibles (Bouviala, 2022).

L'application d'un produit fongicide en traitement de semences permet lui aussi de limiter l'effet des fusarioses sur la germination. Toutefois, en cas d'années à très forte pression fusariose (type 2016 ou 2018), de nombreux lots ne franchissent pas la barrière de certification (85 %), y compris en appliquant les mesures prophylactiques de base (limiter les précédents à risque, enfouissement des résidus...), une protection fongicide en floraison et par traitement des semences.

Protéger pour limiter le risque de propagation de maladie

Les cas où la semence est une source potentielle de contamination de la culture sont très nombreux. Dans la grande majorité des situations, les pratiques des agriculteurs-multiplicateurs sont déterminantes pour limiter les risques de contamination des semences et de propagation dans la culture suivante.

La prophylaxie joue souvent un rôle essentiel, et c'est même parfois la seule approche pertinente (cas des caries - voir article p. 27-32 -, ergots et charbons en céréales à paille). Mais la maîtrise de la qualité sanitaire implique généralement une protection fongicide adaptée. Pour ne prendre que quelques exemples, citons le phoma de la mâche, les alternarioses de la carotte, les maladies du feuillage de la betterave, les ascochytoses du pois chiche, du lupin...

Produire des semences sans phytos, pas si simple !

La vague actuelle d'interdiction de substances actives et de restrictions des conditions d'emploi des produits phytosanitaires remet en cause la multiplication de certaines espèces en France. Nous avons cité les cas du trèfle violet et du radis, mais il y en a d'autres comme l'épinard, dont les surfaces sont en train de disparaître faute de pouvoir maîtriser les pucerons, ou les choux qui rencontrent les mêmes difficultés que le radis. Et d'autres espèces sont en difficulté, comme la luzerne (photo 9) qui doit faire face notamment à des problèmes de Tychius et de punaises, et la betterave (pucerons, Lixus).

C'est donc avant tout la lutte contre les ravageurs qui pose des difficultés, avec, pour les cultures les plus touchées, une sanction sans appel : la disparition des surfaces de multiplication. Il faut alors recourir à des importations à partir de pays non (encore) touchés par les bioagresseurs posant des difficultés en France (exemple : République tchèque dans le cas de l'apion du trèfle), ou de pays disposant de produits insecticides interdits en France (exemple : Nouvelle-Zélande dans le cas du radis).

La maîtrise des adventices est un autre défi chez certaines espèces, comme les semences de graminées fourragères, dont la performance et la compétitivité face aux pays concurrents dépendent directement de la possibilité d'utiliser certains herbicides (par exemple chlortoluron, éthofumésate, propaquizafop...).

Côté maladies, la situation apparaît globalement un peu moins tendue, d'une part, parce que les produits fongicides ont été jusqu'à présent un peu mieux préservés que les insecticides et herbicides, et aussi du fait de l'arrivée progressive de produits de biocontrôle.

(1) À titre d'exemple, sur la période 2002-2020, le coefficient de variation interannuel du rendement moyen est de l'ordre de 30 % chez la carotte, l'oignon ou la luzerne porte-graine (respectivement 28, 31 et 30 %), alors qu'il est de 8 % chez le blé tendre.(2) OAD Semiloni - http://semiloni.fnams.fr - permettant d'alerter sur le risque climatique, alternance de familles de produits fongicides.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les conditions rencontrées par la semence au cours de sa formation sur le porte-graine et les pratiques culturales mises en oeuvre restent déterminantes pour obtenir un lot de haute qualité. La protection des cultures joue là un rôle de tout premier plan.

ENJEUX - La maîtrise du rendement en semences est le premier enjeu auquel sont confrontés agriculteurs-multiplicateurs et entreprises semencières. Certaines cultures porte-graines comme le trèfle violet ou le radis sont actuellement en difficulté en France du fait de l'impossibilité de maîtriser des ravageurs à fort impact sur le rendement.

Par ailleurs, le contrôle des adventices dans la parcelle de multiplication est essentiel pour maîtriser la pureté spécifique du lot et fournir aux utilisateurs des semences indemnes ou à des taux infimes de graines d'adventices.

La protection des cultures porte-graines peut également être déterminante pour se protéger de bioagresseurs à l'origine de défauts de germination, comme dans le cas des fusarioses sur céréales, ou des bruches sur légumineuses. L'enjeu est enfin de limiter le risque de propagation de maladies.

Mais ce sont les ravageurs qui posent aujourd'hui le plus de difficultés, avec comme conséquences de fortes baisses des surfaces de multiplication pour certaines espèces.

MOTS-CLÉS - Semences, qualité des semences, porte-graine, germination, adventices, maladies, ravageurs.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : Jean-albert.fougereux@fnams.fr

LIEN UTILE : en savoir plus sur les techniques de production de semences : fnams.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Laurent E. et Odeau V., 2022. Oignon porte-graine : Lutter contre le mildiou. Note technique Fnams, janvier 2022.

- Bouviala M., Bouet S. et Coussy B., 2022. Lutte contre l'apion du trèfle violet porte-graine. Note technique Fnams, mai 2022.

- Bouviala M., 2022. Fusarioses des céréales, quel intérêt de la protection à la floraison ? Bulletin Semences n° 284, p. 16-17.

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