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Chronique historique

Quand eudémis a remplacé cochylis

PAR ANDRÉ FOUGEROUX - Phytoma - n°759 - décembre 2022 - page 48

Pendant des siècles, la pyrale (Sparganothis pilleriana) et la cochylis (Eupoecilia ambiguella) ont ravagé les vignobles d'Europe. À la fin du XIXe siècle, eudémis (Lobesia botrana) connaît une expansion rapide et inquiétante qui va conduire à mobiliser les chercheurs.
Papillon, chenille et chrysalide de l'eudémis. J. Feytaud, 1920 - Bulletin de la Société d'étude et de vulgarisation de la zoologie agricole, Bordeaux. Photo : A. Fougeroux

Papillon, chenille et chrysalide de l'eudémis. J. Feytaud, 1920 - Bulletin de la Société d'étude et de vulgarisation de la zoologie agricole, Bordeaux. Photo : A. Fougeroux

Elle est appelée ver coquin dans la vallée du Rhône et de la Saône, teigne de la vigne aux alentours de Paris et cochylis dans le Midi de la France. Moins connue et moins grave que la pyrale, cette chenille est un ravageur des vignes européennes depuis l'Antiquité. Pline et Columelle la désignent sous le nom Aranea, ou Araneus, en référence aux fils dont la chenille enveloppe les raisins attaqués. En 1771, l'abbé Rozier signale que ce ver coquin reçu son premier nom latin d'Adanson : Phalaena scutella. Elle sera désignée ensuite par Tinea uvae, Pyralis ambiguella, Cochylis roserana, Tortrix roserana et, finalement, la dénomination donnée par Hübner en 1796 s'impose aujourd'hui : Eupoecilia ambiguella. Elle s'accommode de toutes les vignes et cochylis ne craint ni les coteaux froids ni les plaines exposées au vent. Toutefois, ses expositions préférées sont au Nord et à l'Est. Cette chenille semble indifférente au cépage, bien que près de Paris, le gamay, et dans le Midi, le terret, sont considérés comme plus souvent attaqués.

Des remèdes insatisfaisants

La méthode de lutte préconisée par le Dr Menning en 1811 sur les vignes du lac de Constance est l'écorçage d'hiver. Pratiquée avec un couteau, cette technique coûteuse et peu efficace sera un peu améliorée par le gant en cotte de maille inventé par Sabaté. Le clochage au sulfure de carbone ou à l'acide sulfureux et l'échaudage, pratiqués en hiver contre la pyrale, sont essayés, sans résultat probant. L'autre moyen radical consiste à vendanger avant que la chenille soit adulte, notamment sur les cépages à maturité précoce comme l'aramon, dont raisins et chenilles sont mis ensembles dans la cuve. Ces dernières sont alors tuées par fermentation : « Si le moyen est bon pour détruire le plus grand nombre des cochylis, il n'est pas toujours possible de vendanger hâtivement et si l'on y gagne en quantité de vin c'est, bien entendu, au détriment de la qualité. Même abandonné des chenilles, le raisin plus ou moins sec ou fermenté, rempli de déjections de l'insecte, fait un vin détestable. » À la fin du XIXe siècle, le remède infaillible contre la cochylis reste encore à trouver !

Eudémis, décrite pour la première fois en 1775 par Schiffermüller et Denis, en Autriche, n'est alors mentionnée que sur raisins de treilles, mais pas en vignoble. Considérée alors comme ravageur mineur et anecdotique, les premiers dégâts d'eudémis sont signalés en Allemagne en 1870, puis dans les vignobles italiens en 1875, et enfin dans les Alpes-Maritimes. En 1891, cette chenille se manifeste en Gironde sur les treilles du jardin de H. Kehring, au sud de Bordeaux. Selon Feytaud, directeur de la station entomologique de Bordeaux : « Ce foyer allait être le gros centre de diffusion de l'un des plus terribles fléaux agricoles. » Eudémis se généralise dans le Bordelais, s'installe en 1900 dans le vignoble lyonnais puis dans tous les autres vignobles français. Cette colonisation par eudémis n'a duré qu'une vingtaine d'années.

Une mission d'étude

Cette invasion soudaine justifie la création, en 1911, d'une mission d'étude « Cochylis et eudémis », dirigée par P. Marchal. Elle étudie les deux papillons afin de fournir des instructions pratiques pour s'en défendre. La station entomologique de Bordeaux, très impliquée, s'interroge sur les facteurs météorologiques conditionnant la survie des populations d'eudémis et cochylis, les antagonistes comme le champignon Beauveria, mais aussi « les chauve-souris qui volontiers happent les papillons au vol, des mésanges qui, pendant l'hiver, savent rechercher les chrysalides dans les anfractuosités des ceps, des araignées qui vont en été dans les grappes saisir les chenilles ravageuses, les hémérobes, dont les larves armées de puissants crochets préhensiles et suceurs détruisent les chenilles avec acharnement », ainsi que les hyménoptères parasitoïdes. Durant l'hiver 1913-1914, Feytaud montre que la mortalité naturelle d'eudémis varie de 75 à 95 %, le rôle majeur revenant aux champignons entomopathogènes. En complément, Feytaud évalue l'intérêt de pièges-appâts confectionnés à partir de pots à gemme. En 1913, 5 635 pots sont installés sur les 32 hectares du château de Suduiraut. Outre la main-d'oeuvre nécessaire pour remplir régulièrement les pièges d'eau mélassée, ce dispositif capture de nombreux prédateurs, au grand désespoir de Feytaud. Il étudie aussi l'action d'insecticides comme l'arséniate de plomb, l'arsénite de zinc, le pyrèthre, la nicotine... Tous ces efforts ne suffiront pas à calmer l'expansion d'eudémis.

L'eudémis chassait la cochylis. Selon Feytaud, ces deux espèces occupent le même milieu et ont des moeurs similaires. Dans cette concurrence, eudémis, avec ses trois générations, dispose d'un avantage sur les deux générations de cochylis. Feytaud avance aussi les étés chauds et secs de 1911 et 1918 qui ont « anéanti » les populations de cochylis. Mais depuis l'Antiquité, eudémis et cochylis ont connu d'autres étés chauds avec le même nombre de générations annuelles. D'autres hypothèses sont proposées pour expliquer ce remplacement rapide de cochylis par eudémis : les modifications de la physiologie des vignes à la suite des replantations de plants greffés consécutives au phylloxera, ou un réchauffement climatique défavorable au ver coquin. Ce réchauffement qui s'accélère va-t-il consacrer la disparition de cochylis remplacée par eudémis ?

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