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DOSSIER - Préserver les sols et gérer les adventices

Le semis direct sous couvert permanent sans glyphosate

STÉPHANE CORDEAU(1), BRUNO CHAUVEL(1), GUILLAUME ADEUX(1), ADRIEN BLOUX(2), FLORIAN FREMONT(3), PIERRE-YVES BERNARD(4), SIMON PESQUET(2) ET ADELINE MICHEL(2) (1) Agroécologie, Inrae, Institut Agro, université de Bourgogne, Université Bourgogne-Franche-C - Phytoma - n°761 - février 2021 - page 28

Durant trois années, le projet CasDar Engaged a testé différentes stratégies de gestion des adventices et de la couverture végétale.
Passage du ZassoTM XPower le 18 novembre 2019 (3 000 W - 18 l GNR/heure à 2 km/h).  Photo : Fédération des Cuma Normandie Ouest

Passage du ZassoTM XPower le 18 novembre 2019 (3 000 W - 18 l GNR/heure à 2 km/h). Photo : Fédération des Cuma Normandie Ouest

Fig. 1 : Pourcentage de couverture du sol (trèfle violet) restant 3 mois après passage des méthodes de destruction (février 2020)       Des lettres différentes indiquent des différences significatives.

Fig. 1 : Pourcentage de couverture du sol (trèfle violet) restant 3 mois après passage des méthodes de destruction (février 2020) Des lettres différentes indiquent des différences significatives.

Fig. 2 : Effet des modalités de régulation du couvert sur le nombre de talles/quadrat de 0,36 m² de blé tendre d'hiver (en avril 2020)       Des lettres différentes indiquent des différences significatives.

Fig. 2 : Effet des modalités de régulation du couvert sur le nombre de talles/quadrat de 0,36 m² de blé tendre d'hiver (en avril 2020) Des lettres différentes indiquent des différences significatives.

L'unité de broyage avec ses couteaux sur deux niveaux du Strip-Cut. Ce dernier (22 à 32 cm de largeur de coupe) a pour but de maîtriser un couvert permanent de légumineuse dans une culture annuelle de céréales.  Photo : Fédération des Cuma Normandie Ouest

L'unité de broyage avec ses couteaux sur deux niveaux du Strip-Cut. Ce dernier (22 à 32 cm de largeur de coupe) a pour but de maîtriser un couvert permanent de légumineuse dans une culture annuelle de céréales. Photo : Fédération des Cuma Normandie Ouest

Fig. 3 : Évolution du pourcentage de recouvrement du sol (quatre dates), de l'IFT herbicide (IFTh) et du rendement (Rdt, q/ha) en fonction des différents traitements      La gestion « témoin » consiste en une application de glyphosate (1,5 l/ha) adjuvanté, thifensulfuron-méthyl/metsulfuron-méthyl (0,005 kg/ha), florasulame (0,064 l/ha), tribénuron (0,016 kg/ha) et cloquintocet-méxyl/pinoxadène (1,2 l/ha). Pour les autres modalités, le glyphosate est remplacé par le dicamba (avec ou sans broyage) appliqué à la mi-octobre en interculture (0,25 l/ha), actif sur dicotylédones annuelles et vivaces ; le florasulame est appliqué à 0,064 l/ha.

Fig. 3 : Évolution du pourcentage de recouvrement du sol (quatre dates), de l'IFT herbicide (IFTh) et du rendement (Rdt, q/ha) en fonction des différents traitements La gestion « témoin » consiste en une application de glyphosate (1,5 l/ha) adjuvanté, thifensulfuron-méthyl/metsulfuron-méthyl (0,005 kg/ha), florasulame (0,064 l/ha), tribénuron (0,016 kg/ha) et cloquintocet-méxyl/pinoxadène (1,2 l/ha). Pour les autres modalités, le glyphosate est remplacé par le dicamba (avec ou sans broyage) appliqué à la mi-octobre en interculture (0,25 l/ha), actif sur dicotylédones annuelles et vivaces ; le florasulame est appliqué à 0,064 l/ha.

Fig. 4 : Pourcentage de recouvrement du sol (A en octobre et B en février dans le blé), IFT (indicateur de fréquence de traitement) herbicide (IFTh) et rendement (Rdt, q/ha) entre les différentes modalités de densité de semis de blé avec ou sans régulation du couvert au glyphosate

Fig. 4 : Pourcentage de recouvrement du sol (A en octobre et B en février dans le blé), IFT (indicateur de fréquence de traitement) herbicide (IFTh) et rendement (Rdt, q/ha) entre les différentes modalités de densité de semis de blé avec ou sans régulation du couvert au glyphosate

Présentation des systèmes conçus par les agriculteurs en fonction des objectifs fixés par le CasDar Engaged. Photo : Arad2

Présentation des systèmes conçus par les agriculteurs en fonction des objectifs fixés par le CasDar Engaged. Photo : Arad2

Fig. 5 : Schéma décisionnel simplifié conçu par un groupe d'étudiants sur la base du système de culture de référence d'un agriculteur de l'Eure       F = traitement fongicide. I = traitement insecticide. TCO = apport de thé composté oxygéné.

Fig. 5 : Schéma décisionnel simplifié conçu par un groupe d'étudiants sur la base du système de culture de référence d'un agriculteur de l'Eure F = traitement fongicide. I = traitement insecticide. TCO = apport de thé composté oxygéné.

Le semis direct sous couvert est en l'état des connaissances actuelles dans une impasse technique en cas d'interdiction de l'utilisation du glyphosate(1). Des agriculteurs normands se sont tournés en 2018 vers leurs structures de conseil et la recherche pour les accompagner vers l'expérimentation et la reconception de systèmes innovants avec l'objectif de ne plus utiliser de glyphosate tout en maintenant une gestion efficace de la flore adventice et des couverts permanents.

Une pratique en pleine évolution

Le semis direct sous couvert : de quoi s'agit-il ?

Le semis direct sous couvert permanent (ou SDSCV pour semis direct sous couvert végétal) consiste à appliquer les trois piliers de l'agriculture conservation (non-travail du sol, couverture végétale et diversité des espèces cultivées) en mobilisant une couverture végétale pérenne dans laquelle sont semées les cultures de la rotation. Cette pratique est récente en France/Europe, alors qu'elle est plus ancienne et fréquente dans les pays tropicaux. D'après l'enquête 2011 sur les pratiques culturales, environ 230 000 ha étaient gérés en semis direct (SD), avec une couverture du sol essentiellement réalisée par des résidus de culture (source Agreste). Le SD est pratiqué sur 6 % de la SAU en 2016 alors qu'il concernait 3 % de la SAU en 2014 (Agreste, 2021). En SDSCV, la pratique la plus répandue consiste à associer une légumineuse pérenne au semis du colza ou d'une céréale, et de semer les cultures suivantes de la rotation en direct dans le couvert.

Malgré des pratiques destinées à limiter le développement de la flore, la gestion des adventices repose sur le désherbage chimique avec l'utilisation de substances actives à pénétration foliaire. Actuellement, le glyphosate est la principale substance active utilisée régulièrement par les agriculteurs pour cette fonction. Sans cette régulation chimique, les adventices et le couvert pérenne peuvent générer une concurrence sur la culture et des pertes de rendement.

Le projet Engaged

Dans la perspective d'une potentielle interdiction de l'usage du glyphosate et de la nécessaire réduction de l'usage d'herbicides en général, des agriculteurs normands du GIEE (Groupement d'intérêt économique et environnemental) des 3 Vallées et du GIEE solution durable pour le climat et le vivant ont mobilisé l'appui du Cerfrance et son antenne agronomique (Arad²), la fédération des Cuma (Coopérative d'utilisation de matériel agricole) Normandie Ouest, UniLaSalle Campus de Rouen et Inrae (UMR Agroécologie, Dijon) pour un projet ambitieux : identifier des innovations pour réguler le couvert et les adventices, tester des itinéraires techniques innovants et co-concevoir des systèmes de culture en semis direct sous couvert permanent sans glyphosate limitant le recours aux herbicides (avec un indice de fréquence de traitement (IFT) herbicide inférieur à 1). C'est l'ambition portée entre 2018 et 2022 par le projet CasDar Engaged. Cet article retrace les approches méthodologiques mises en oeuvre dans le projet qui couple :

- une veille technique sur les alternatives au glyphosate ;

- l'expérimentation au champ dans un réseau de parcelles d'agriculteurs ;

- la reconception en atelier avec des agriculteurs et conseillers via des travaux d'élèves ingénieurs et de journées de co-conception entre acteurs de terrain.

Veille technique pour la gestion en SDSCV sans glyphosate

Identifier les techniques de gestion des couverts et adventices

Certains agriculteurs, pour lever un frein technique ou atteindre un objectif qui leur est propre, développent ou adaptent des pratiques originales. Ces pratiques sont souvent assez peu connues de la recherche et du développement dont le système de production de connaissance est encore trop descendant. Dans le projet Engaged, une action de veille technique a été menée sur les agroéquipements développés pour gérer la végétation avant ou après l'installation de la culture. À travers le réseau des Cuma et des conseillers agricoles/agriculteurs pionniers en SDSCV, cette veille technique a simplement permis d'identifier des techniques et non les conditions de réussite de leur mise en oeuvre. En revanche, deux outils ont été testés dans le cadre du projet.

Désherbage électrique avec Zasso XPower

Le désherbage électrique avec Zasso XPower consiste à faire circuler entre la surface du sol et le sommet des plantes un courant électrique haute tension (6 000 V), afin de dévitaliser les tissus aériens et les racines. Il s'agit donc d'un désherbage non sélectif (photo 1). L'idée en soi n'est pas nouvelle : Arvalis a retrouvé des traces d'un prototype datant de 1895 et des travaux ont été réalisés sur le sujet dans les années 1980 en Grande-Bretagne (gestion des betteraves montées). La société Zasso a largement modernisé la technique.

À l'automne 2019 à Versainville (Calvados), avant le semis de blé tendre, le projet Engaged a mis en oeuvre l'outil pour réguler la végétation en place (couvert et adventice). La prise en main complexe oblige l'opérateur à rester vigilant pour maintenir la hauteur de relevage et assurer un bon contact entre la végétation et les rangées d'applicateurs du courant électrique. De plus, l'absence de patins/roues folles sur le module frontal amène un aléa dans le contact des deux pôles électriques sur le sol, particulièrement avec un peu plus de vitesse. Or les résultats démontrent que l'efficacité de destruction de la végétation est négativement corrélée à la vitesse, des vitesses très lentes (inférieures à 3-5 km/h) étant nécessaires pour avoir une efficacité acceptable. L'essai contenait trois micro-parcelles de 50 m sur 12 m (Tableau 1). La météorologie avec un temps humide n'a pas permis de travailler en conditions idéales.

Statistiquement, il n'y a pas de différence entre les deux modalités électriques à 2 et 5 km/h ni sur l'efficacité de destruction (Figure 1), ni sur l'effet de cette régulation du trèfle sur le développement du blé (Figure 2). La régulation électrique n'a été que de courte durée. L'effet du désherbage électrique est limité dans le temps, et ne permet pas de réguler suffisamment la croissance de la légumineuse. La couverture en adventice est nulle en février 2020 dans toutes les micro-parcelles. Globalement, il apparaît que le coût de l'appareil (190 000 € en 3 m) et le débit de chantier peuvent être considérés comme des freins, même dans le cadre d'une utilisation collective de cet outil. Le débit de chantier de l'outil, le besoin d'une végétation humide en surface des feuilles et d'un sol ressuyé ne laissent pas beaucoup de jours disponibles pour des passages en interculture. L'efficacité étant maximale à 2 km/h, le coût de revient de l'outil en grandes cultures serait beaucoup trop important (environ 300 €/ha en chantier complet).

Les tondeuses d'interrang

Considérant que le couvert permanent est un réel concurrent de la culture principale, des techniques se développent pour réguler mécaniquement la végétation dans l'interrang, soit par des rouleaux pour écraser ou hacher, des techniques de ripage pour dessécher ou des tondeuses d'interrang pour faucher. Le principe des tondeuses d'interrang est de venir réguler mécaniquement un couvert dans l'interrang d'une culture principale pour bénéficier des services du couvert de légumineuses tout en limitant la concurrence qu'il exerce sur la culture annuelle.

Un groupe d'étudiants d'UniLaSalle Beauvais a développé un broyeur interrang pour contrôler un couvert permanent de luzerne dans lequel se développe une céréale : le Strip-Cut (22 à 32 cm de largeur de coupe ; photo 2). Le travail a associé la Chaire agro-machinisme & nouvelles technologies d'UniLaSalle, la fédération des Cuma de Normandie Ouest et des agriculteurs partenaires.

Dans le dispositif testé au champ, la culture de rente est semée un rang sur deux en alternance avec des rangs de luzerne ou autre légumineuse. Il reste donc une trentaine de centimètres à entretenir mécaniquement, soit une largeur de travail réglable entre 22 et 32 cm, en jouant sur le carter et la longueur des couteaux. Ces derniers se répartissent sur deux niveaux. L'axe vertical bénéficie d'un entraînement hydraulique. Par ailleurs, une roue de jauge contrôle la hauteur de coupe. Enfin, des diviseurs écartent la céréale. Dès à présent, l'enjeu est de pouvoir expliquer l'origine des manquements du prototype lors du test. Le type de couteaux, la vitesse de rotation de l'axe, et les diviseurs sont plus particulièrement à améliorer pour augmenter l'efficacité de l'outil (Tableau 2).

Expérimentation d'itinéraires techniques en réseau

Des stratégies co-conçues

L'ensemble des essais réalisés a consisté à tester des stratégies de gestion d'un couvert de trèfle blanc dans une interculture colza/blé d'hiver, ainsi que la conduite de la céréale jusqu'à la récolte. Un tronc commun de stratégies a été co-conçu avec les agriculteurs dans l'objectif de tester des systèmes sans glyphosate avec un IFT herbicide (IFTh) inférieur à 1. En concertation avec les agriculteurs impliqués dans le projet, deux stratégies de gestion de la couverture végétale ont été proposées :

- substituer le glyphosate par une stratégie chimique impliquant d'autres substances actives pendant les phases d'interculture ;

- augmenter l'effet compétitif de la culture en augmentant sa densité de semis.

Sur chaque parcelle d'agriculteur sont réalisés des relevés de flore avec détermination des espèces végétales présentes, ainsi que les pourcentages de couverture du sol.

Substitutions à l'utilisation du glyphosate

La substitution chimique du glyphosate (HRAC 9) pendant la période d'interculture a été réalisée par l'utilisation du dicamba (HRAC 4) (avec ou sans broyage préalable selon les modalités), suivi dans certaines modalités d'une application de florasulame (HRAC 2) dans la culture de blé d'hiver. Une autre modalité consiste à faire reposer la gestion de la flore sur un désherbage plus précoce dans la culture de blé par du florasulame. Par la suite, une association pinoxaden/tribénuron-méthyle complète la gestion adventice des modalités.

Dans tous les systèmes, si la flore adventice est correctement contrôlée, la problématique observée porte sur la régulation du couvert de trèfle (Figure 3) avec deux phases critiques : l'implantation du blé et la reprise de végétation du trèfle. Seul le système « glyphosate » permet un contrôle satisfaisant du couvert jusqu'à la récolte, que l'on pourrait attribuer à une meilleure systémie de la substance active. La substitution chimique par le dicamba ou une absence de gestion chimique pendant l'interculture impliquent des pertes de rendement de 20 à 30 q/ha.

L'IFT herbicide le plus élevé (2,47) dans la modalité glyphosate correspond à la meilleure gestion de la couverture végétale (Figure 3) et finalement au meilleur rendement du blé. Mais ces alternatives mobilisent tout de même des niveaux herbicides élevés par rapport à l'objectif fixé. Les données de cet essai indiquent qu'une absence de régulation du couvert avant le semis de la culture est très fortement préjudiciable pour la culture.

Augmentation de la densité de blé

Concernant l'expérimentation de la densité de blé, trois sites d'essais testant trois modalités ont été mis en place : témoin traité au glyphosate à l'automne et blé semé à 300 grains/m², modalité sans glyphosate et semée aussi à 300 grains/m² et modalité sans glyphosate semée à 600 grains/m².

À travers les trois modalités, la flore adventice est contrôlée de façon satisfaisante, avec une efficacité maximale avec le glyphosate et une tendance à un meilleur contrôle en forte densité de blé (600 grains/m²) par rapport à la modalité sans glyphosate à densité normale (300 grains/m²). C'est dans la modalité témoin avec glyphosate que l'on observe la meilleure régulation du couvert de trèfle (Figure 4). Les trois modalités présentent un rendement similaire avec des IFTh inférieurs à 1,2 en situation sans glyphosate, ce qui est plus proche des objectifs de départ. Jouer sur la densité de la culture de rente pourrait donc constituer une piste potentielle pour maximiser la compétition sur les adventices et surtout sur le couvert.

Perspectives

De nombreux points techniques restent encore en chantier, comme le choix des espèces/variétés de couvert, l'introduction de méthodes de gestion non chimique du couvert ou les possibilités techniques de broyage d'interrang avec un plus large écartement. Enfin, l'évaluation économique globale reste aussi à réaliser (voir « Lien utile » en fin d'article).

Co-conception de systèmes en SDSCV sans glyphosate

Les agriculteurs, acteurs du changement

Au regard des objectifs fixés dans le projet Engaged (SDSCV sans glyphosate à IFT herbicide moins que 1), il semblait nécessaire de mobiliser une reconception plus profonde des systèmes de culture, au-delà d'une amélioration de l'efficience de l'utilisation des ressources ou d'une substitution de techniques. La co-conception mobilise les connaissances expertes acquises par les agriculteurs et conseillers dans le contexte local de la situation de production et les connaissances scientifiques pour aider à la contextualisation.

Afin de mettre les agriculteurs en position d'acteurs de ces changements et de cette reconception, le projet a, d'une part, mobilisé des élèves ingénieurs qui, dans le cadre de leur cursus, ont travaillé à la reconception d'un système de culture d'agriculteur défini par le cadre de contrainte du projet ; d'autre part, permis la rencontre d'agriculteurs entre eux lors d'ateliers de reconception pour élargir les situations de production étudiées.

Reconception lors d'échanges entre agriculteurs/élèves ingénieurs

Le CasDar Engaged s'est ainsi donné pour objectif de réaliser des actions pédagogiques autour de la co-conception de systèmes de culture en associant agriculteurs et étudiants. Un module de formation initiale a été conçu avec l'objectif de familiariser des étudiants à l'ingénierie agronomique de conception de prototypes de systèmes de culture innovants. Ce module a reposé sur des ateliers de co-conception conduits par des groupes d'étudiants en dernière année de cursus ingénieur.

Durant les trois années du projet, des étudiants ont été mobilisés sur une semaine afin de reconcevoir un système de culture de référence. Ce travail débute par un tour de plaine chez l'exploitant afin d'appréhender son système de production. Le travail de co-conception a permis d'amener de nouvelles réflexions des étudiants, sans a priori, permettant à l'agriculteur et aux partenaires du projet d'explorer des possibilités non abordées jusqu'à présent. Cet exercice de co-conception et reconception de système est aussi profitable aux étudiants dans leur apprentissage qu'à l'agriculteur dans ses réflexions de changement de système. Par exemple, un des systèmes de culture innovant conçu par les étudiants (Figure 5) repose sur la succession de deux couverts semis-permanents avec une luzerne insérée sous colza en tête de rotation et un trèfle violet introduit sous tournesol. De plus, l'insertion de deux cultures de printemps tournesol et orge de printemps permet de semer un couvert annuel et de casser le cycle des adventices.

Ateliers de reconception entre agriculteurs et agriculteurs/conseillers

Afin de dépasser le cadre des situations de productions expérimentées dans la cadre du projet, des ateliers de co-conception (photo 3) ont été conduits avec les agriculteurs et des conseillers agricoles, spécialisés ou pratiquant l'ACS avec système en SCV ou voulant s'y intéresser, et se questionnant sur la pérennité du système et son évolution dans le cadre de l'arrêt du glyphosate.

En s'appuyant sur le réseau des Cuma, du Cerfrance, des GIEE dont le GIEE des 3 Vallées, ainsi que des membres du réseau Apad, nous avons réuni divers partenaires pour partager des objectifs communs de gestion des adventices et du couvert dans des rotations types colza d'hiver, implantation du couvert dans l'interculture, blé d'hiver semé dans le couvert, orge de printemps. Les discussions et résultats de ces ateliers ont montré la difficulté pour les agriculteurs se basant sur le semis direct sous couvert permanent de trouver des alternatives au glyphosate. Bien souvent les discussions amènent à des remises en question profondes des systèmes de culture avec des freins socio-techniques pouvant être importants.

Reconcevoir les systèmes de culture

De nombreux leviers en interaction

Le projet Engaged a mis en évidence que le cadre de contrainte fixé pour les essais était trop ambitieux. Cette expérimentation de combinaisons de pratiques (pas de travail du sol, couverture permanente des sols avec des couverts pérennes, sans recours au glyphosate et limitant l'utilisation d'herbicides) a démontré qu'il existait peu de solutions techniques viables à l'échelle annuelle. Les discussions et surtout la réalisation des essais ont confirmé la forte aversion au risque des agriculteurs et en particulier les craintes vis-à-vis de l'augmentation du stock semencier qui ont représenté un frein au test de pratiques en rupture.

Ces travaux réalisés en collaboration avec des agriculteurs montrent la complexité d'une démarche de changement de raisonnement. L'utilisation du trèfle blanc était basée sur la capacité de recouvrement du sol (gestion de la flore adventice) qui pouvait être contrôlée par une substance active efficace à un faible coût, le glyphosate. Le retrait de ce dernier pourrait donc impliquer un changement de l'espèce de couverture, voire un changement encore plus complet de stratégies.

L'accent a été mis sur le pilotage de la concurrence de la culture sur le couvert, qui devient la première adventice responsable de pertes de rendement. Dans des systèmes récemment mis en place, où l'arrêt du glyphosate n'est testé que depuis un an avec des situations malherbologiques initialement non dégradées, et dans des contextes productifs de bons potentiels de rendement comme ceux expérimentés, une reconception profonde du système doit être la solution envisagée. Pour cela, il faut mobiliser une réflexion sur la composition et l'ordre des cultures dans la succession, ainsi que le choix de mettre un couvert permanent. La réflexion doit aussi porter sur l'espèce/variété du couvert, la densité de semis des cultures, la régulation mécanique du couvert en culture qui est possible si on l'a anticipée au semis par un écartement adapté. Néanmoins, la manipulation de ces nombreux leviers, tous en interactions, soulèvent encore de nombreuses questions, notamment sur leur adaptation et mise en oeuvre dans d'autres situations de production et contexte pédo-climatique.

(1) Reboud X., Blanck M., Aubertot J.-N., Jeuffroy M.-H., Munier-Jolain N., Thiollet-Scholtus M., Huyghe C., 2017. Usage et alternatives au glyphosate dans l'agriculture française, in: Rapport Inra à la saisine Ref TR507024. Institut national de la recherche agronomique).À l'échelle européenne : Antier C. et al., 2020. A survey on the uses of glyphosate in European countries. Inrae. https://doi.org/10.15454/A30K-D531.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : stephane.cordeau@inrae.fr

LIEN UTILE : https://normandiemaine.cerfrance.fr/arad2/presentation-casdar-engaged/

BIBLIOGRAPHIE : - Agreste 2021. Graph'Agri n° 43. ISSN 0998-4151. p. 217. www.agreste.agriculture.gouv.fr

REMERCIEMENTS

Le projet Engaged est financé à 80 % par des fonds issus de l'appel à projet « Innovation et partenariat » du Compte d'affectation spécial développement agricole et rural (CasDar) et à 20 % par les structures impliquées dans le projet. Les membres du projet tiennent à remercier tous les agriculteurs impliqués qui ont accueilli volontairement les essais sur leurs parcelles. Est aussi remercié l'ensemble des stagiaires, Théo Sergheraert (UniLaSalle Rouen), Eliott Lacour (Institut Agro Rennes-Angers) et Corisande Douay (UniLaSalle Rouen), dont le travail sur le terrain a permis la collecte et le traitement des données, ainsi que les étudiants des promotions 2014, 2015, 2016 et 2017 d'UniLaSalle Rouen ayant contribué aux notations terrain et aux ateliers de co-conception.

L'essentiel de l'offre

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