Fig. 1 : Femelle de Leptopilina japonica A. Tête en vue de face. B. Thorax en vue de profil : les flèches marquent les carènes du métapleuron caractéristiques du groupe d'espèces heterotoma. C. Thorax en vue dorsale : la flèche marque la cupule du scutellum caractérisant la sous-famille des Eucoilinae.
Fig. 2 : Caractérisation morphologique des deux sous-espèces de Leptopilina japonica au sein du groupe d'espèces L. heterotoma et du complexe L. victoriae À gauche : antennes des femelles, profil. À droite : scutellum, vue dorsale. 1 = L. victoriae. 2 = L. ryukyuensis. 3 = L. japonica formosana. 4 = L. j. japonica. 5 = L. heterotoma. 6 = L. pacifica. Source : Novkovic et al., 2011
Après son premier signalement en France métropolitaine en 2010, la mouche Drosophila suzukii (Diptera : Drosophilidae) est rapidement devenue le problème entomologique majeur pour de nombreux producteurs de fruits. Après le retrait du diméthoate, puis plus récemment du phosmet, la réponse phytosanitaire est de moins en moins satisfaisante. L'installation de filets sur les vergers est bien plus prometteuse, mais cette méthode pose de nombreuses difficultés techniques et financières. Comme dans de nombreux autres exemples, la protection contre Drosophila suzukii repose donc sur une gestion intégrée et circonstanciée des différents leviers disponibles. Parmi ces leviers se place la lutte biologique par conservation, favorisant les auxiliaires indigènes.
Les parasitoïdes de Drosophila suzukii
Des auxiliaires indigènes...
À l'heure actuelle, la drosophile n'est parasitée que par de rares espèces « indigènes » plus ou moins généralistes et plus ou moins efficaces. Les parasitoïdes larvaires de drosophiles, tels qu'Asobara tabida (Hymenoptera : Braconidae), Leptopilina heterotoma et L. boulardi (Hymenoptera : Figitidae), ne sont pas capables de se développer sur D. suzukii à cause de la réponse immunitaire de cette dernière ou la mort de la larve parasitée (Iacovone et al., 2018). Les parasitoïdes de pupes, Pachycrepoideus vindemmiae (Hymenoptera : Pteromalidae) et Trichopria drosophilae (Hymenoptera : Diapriidae), sont plus généralistes et capables de se développer sur D. suzukii. Évaluée lors d'expérimentations de terrain en milieu agricole, leur efficacité semble limitée, même si des taux de parasitisme significatifs ont déjà été observés pour T. drosophilae dans des zones exemptes de traitements insecticides (Rossi Stacconi et al., 2019). Ce dernier est, pour cette raison, commercialisé en tant qu'auxiliaire de lutte biologique augmentative(1), bien que son impact n'ait pas pu être démontré (Rousse et al., 2020). Ainsi, les potentialités de ces parasitoïdes « indigènes » en termes de contrôle des populations de D. suzukii semblent encore réduites pour le moment (Chabert et al., 2013 ; Tait et al., 2021).
D'autres exotiques
Devant l'inefficacité des communautés indigènes à réguler les populations du ravageur, la communauté scientifique se penche depuis une dizaine d'années sur le cortège des parasitoïdes de D. suzukii dans la région sino-japonaise, son aire d'origine. Là-bas, les prospections ont permis d'établir un catalogue de ses ennemis naturels (Daane et al., 2016 ; Girod et al., 2018). Parmi ceux-ci, Ganaspis brasiliensis et Leptopilina japonica (Hymenoptera : Figitidae) sont les plus abondants. Du fait de sa meilleure spécificité, certaines souches de Ganaspis brasiliensis ont été retenues par Inrae comme meilleurs candidats pour un programme de lutte biologique par acclimatation en France (Seehausen et al., 2020). La demande d'introduction faite par Inrae a été validée par la DGAL après consultation de l'Anses, et les premières introductions de ce parasitoïde exotique sont prévues en 2023, dans un premier temps dans le sud-est de la France (Borowiec et al., 2021).
Dans son aire d'origine, L. japonica a un spectre d'hôtes plus large que G. brasiliensis, et n'a donc pas été retenu, au regard de potentiels effets non intentionnels, comme candidat pour des introductions volontaires (Girod et al., 2018). Toutefois, son aire de distribution s'est brusquement élargie ces dernières années puisque l'espèce a récemment été signalée en Europe en Italie (Puppato et al., 2020) et en Amérique du Nord au Canada et aux États-Unis (Abram et al., 2020 ; Beers et al., 2022). Aujourd'hui, les auteurs signalent cette espèce pour la première fois en France grâce à un prélèvement de terrain envoyé à l'Anses-LSV pour analyse.
Origine et analyse de Leptopilina japonica
La demande d'analyse a été déposée par la Fredon Nouvelle-Aquitaine, pour des prélèvements effectués chez un producteur de framboise du Lot-et-Garonne. Deux échantillons ont été collectés, les 9 juin et 6 septembre 2022. Dans les deux cas, il s'agissait de parasitoïdes issus de drosophiles (principalement D. suzukii) elles-mêmes collectées sur des framboises. Au total, 29 parasitoïdes adultes (femelles) ont pu être examinés.
Un premier examen morphologique a permis de constater que l'espèce n'était ni L. heterotoma ni L. boulardi (à l'exception d'un individu), mais faisait partie du complexe d'espèces L. victoriae. Ce complexe n'étant pas encore signalé en France, nous avons ensuite confirmé l'identification de L. japonica par une analyse ADN (barcoding CO1, Blast NCBI, 99-100 % de correspondance avec deux spécimens collectés en Italie, 98-99 % avec deux spécimens de Hokkaido au Japon).
Taxonomie et morphologie
Leptopilina japonica est un micro-hyménoptère mesurant moins de 2 mm, entièrement noir (photo 1 et Figure 1). La nervation alaire associée à la cupule sur le scutellum (Figure 1A et C) permettent de reconnaître la famille des Figitidae, sous-famille des Eucoilinae. Mais au sein de cette sous-famille, L. japonica peut facilement être confondue en France avec d'autres genres (Ganaspis spp.) ou espèces (L. boulardi, L. heterotoma...), parasitoïdes communs de drosophiles (Forshage et Nordlander, 2008). Elle fait partie du groupe d'espèces heterotoma (Nordlander, 1980), principalement caractérisé par la présence de deux carènes longitudinales sur le métapleuron (Figure 1B).
Ce groupe d'espèces a été exploré plus en détail lors d'une investigation phylogénétique des Leptopilina se développant sur drosophiles au Japon : les outils moléculaires ont permis de définir un complexe cryptique(2) centré sur l'espèce L. victoriae, complexe contenant une nouvelle espèce décrite sous le nom de L. japonica (Novkovic et al., 2011). À l'intérieur du complexe L. victoriae, L. japonica est différenciée par la structure des antennes chez la femelle, et la forme de la plaque scutellaire (Figure 2). Cependant, en raison de la variabilité intraspécifique de ces critères, il est préférable de se référer à l'analyse morphométrique de la nervation alaire ou l'analyse moléculaire (Novkovic et al., 2011). Ajoutons, pour compléter ce tableau taxonomique, que l'espèce L. japonica est elle-même subdivisée en deux sous-espèces interfécondes, L. japonica japonica et L. japonica formosana. C'est la première de ces deux sous-espèces qui a été signalée en Italie et maintenant en France, la deuxième n'a pas jusqu'à présent été retrouvée en Europe : ceci semble cohérent au su des préférences bioclimatiques de chacune des deux.
Distribution et bioécologie
Au moment de sa description, L. japonica n'était pas connue comme parasitoïde de D. suzukii. Ceci a été révélé plus tard par des prélèvements de terrain et des essais en laboratoire (Kimura and Novkovic, 2015). L'espèce a tout d'abord été signalée au Japon sur trois autres espèces de Drosophila (Novkovic et al., 2011), puis sur D. suzukii en Corée du Sud (Daane et al., 2016) et en Chine (Girod et al., 2018). Au-delà de cette aire d'origine, elle a ensuite été signalée au Canada (Abram et al., 2020), dans le nord-ouest des États-Unis (Beers et al., 2022) et en Italie (Puppato et al., 2020), toujours sur D. suzukii. Étonnamment, dans ces trois cas, elle s'est avérée fortement présente dans les zones prospectées au moment de la détection initiale (respectivement la Colombie-Britannique, l'état de Washington et le Trentin). Tout semble indiquer une propagation rapide autour des premiers points d'introduction.
Leptopilina japonica est un endoparasitoïde solitaire et koïnobionte(3) des premiers stades larvaires (Wang et al., 2018). Les essais en laboratoire (Kimura and Novkovic, 2015) ont par ailleurs montré que cette espèce pouvait s'adapter à de nouveaux hôtes au sein du genre Drosophila, formant ainsi de nouvelles associations hôte/parasitoïde. Dans le même ordre d'idées, les sous-espèces forment des lignées aux physiologies distinctes et adaptées à des climats différents. Ainsi, la sous-espèce « tempérée » L. japonica japonica, décrite de Honshu et Hokkaido, voit sa physiologie ralentie dès 15-18 °C, et entre en pleine diapause en conditions de gel ou de faible hygrométrie. Dans ces conditions, elle souffre ainsi d'une mortalité inférieure à la sous-espèce « subtropicale » L. japonica formosana décrite de Taïwan (Murata et al., 2013).
Perspectives agroécologiques
La propagation rapide de Leptopilina japonica est surprenante. La première hypothèse est celle d'une introduction accidentelle : D. suzukii n'est pas une espèce de quarantaine en Europe, il est tout à fait possible que L. japonica ait accompagné des fruits infestés lors d'une entrée récente. Ce genre de cas connaît des précédents dans l'histoire des invasions biologiques (Puppato et al., 2020). La deuxième hypothèse est celle d'une introduction volontaire et non déclarée, hypothèse appuyée par la forte pression économique provoquée par les pullulations de D. suzukii.
Dans le cas de nos échantillons, il est probable que la population détectée dans le Lot-et-Garonne ne soit que le premier aperçu d'une distribution beaucoup plus large, issue d'une expansion depuis les foyers italiens ou depuis une ou des entrées distinctes. Les futures prospections sur le terrain devraient permettre de cerner plus précisément cette étendue. Il conviendrait en effet d'avoir une idée un peu plus précise de sa distribution actuelle et de ses capacités naturelles de dispersion. Ceci pour ensuite estimer l'utilité d'organiser des lâchers, que ce soit pour faciliter son expansion ou renforcer les populations locales de L. japonica selon la pression exercée par D. suzukii.
Sur le plan agricole, l'arrivée de ce parasitoïde en France est clairement une bonne nouvelle. En supposant qu'il ait un impact significatif sur la dynamique des populations de D. suzukii, ce parasitoïde pourrait devenir un auxiliaire efficace en limitant les pullulations du ravageur. L'intérêt sanitaire, économique et environnemental est alors évident. Ce scénario est d'autant plus crédible que l'on sait L. japonica capable de parasiter D. suzukii dans des biotopes très divers (Puppato et al., 2020) et sur une gamme de fruits-hôtes très variée, incluant des cerises, des pommes, des mûres et des fraises sauvages (Daane et al., 2016 ; Giorgini et al., 2019 ; Girod et al., 2018). De même, la physiologie de L. japonica japonica semble adaptée aux conditions climatiques de nos régions arboricoles (Murata et al., 2013 ; Hougardy et al., 2019). Toutefois, compte tenu de la polyphagie de cette espèce, il conviendra également de surveiller l'intégration de cette espèce dans les communautés indigènes et de documenter les éventuels effets non intentionnels induits par L. japonica en France et en Europe. Reste également à savoir comment ce nouvel acteur va interagir avec les programmes actuels de lutte biologique. On peut par exemple imaginer une action complémentaire de Trichopria drosophilae qui parasite les pupes. Mais qu'en est-il de Ganaspis brasiliensis qui parasite similairement les premiers stades larvaires ? L'hypothèse d'une compétition nuisible à l'une ou l'autre espèce ne peut être exclue. Dans le cas contraire, on peut espérer un effet synergique menant à un affaiblissement général des populations de D. suzukii dans les zones réservoirs exemptes de traitements insecticides. Cet effet serait d'autant plus profitable s'il intervient en sortie d'hiver, avant les grandes pullulations de la fin du printemps.
(1) Cette sous-catégorie de lutte biologique vise au renforcement des populations d'un auxiliaire naturellement présent dans le milieu, par des lâchers d'individus de cette espèce élevés en masse au laboratoire.(2) Un complexe cryptique est un ensemble d'espèces différentes, mais morphologiquement si proches que souvent seule l'analyse ADN permet de les distinguer.(3) L'hôte n'est pas tué lors du parasitisme. Il peut ainsi poursuivre son développement jusqu'à l'émergence du parasitoïde.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Détecté en France en 2010, Drosophila suzukii se répand rapidement sur le territoire et provoque d'importants dégâts sur de nombreuses espèces fruitières.
LUTTE BIOLOGIQUE - Les potentialités d'auxiliaires indigènes (Leptopilina heterotoma, L. boulardi, Pachycrepoideus vindemmiae, Trichopria drosophilae) en termes de contrôle des populations de D. suzukii semblent réduites pour le moment. Des premiers lâchers du parasitoïde exotique Ganaspis brasiliensis sont prévus en 2023. Leptopilina japonica, un autre hyménoptère exotique moins spécifique, n'a pas été retenu pour une lutte par acclimatation. L'insecte a toutefois été signalé en France.
PERSPECTIVES - La bioécologie du parasitoïde rend probable son installation et un impact sur les populations de drosophile, même si les effets non intentionnels et les interactions avec les autres agents de lutte biologique doivent être surveillés.
MOTS-CLÉS - Drosophila suzukii, mouche, fruits, auxiliaire, parasitoïde, Leptopilina japonica.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : pascal.rousse@anses.fr
BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (19 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).
REMERCIEMENTS
à Carole Baguenard (Fredon Nouvelle-Aquitaine), et Jérémy Rivière (Scaafel) pour avoir collecté et recollecté les insectes.