Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 1997

C'est au XIXe siècle que le vin devient le lot de l'ouvrier

La vigne - n°75 - mars 1997 - page 0

Depuis quelques décennies, la machine a largement remplacé l'homme. Aujourd'hui, elle accomplit les travaux les plus pénibles et dangereux. Ce recul de l'effort physique a entraîné celui de la consommation du vin; c'est oublier que le travailleur n'a pas toujours bu du vin.

Depuis quelques décennies, la machine a largement remplacé l'homme. Aujourd'hui, elle accomplit les travaux les plus pénibles et dangereux. Ce recul de l'effort physique a entraîné celui de la consommation du vin; c'est oublier que le travailleur n'a pas toujours bu du vin.

Pendant des siècles, les travailleurs manuels, les plus nombreux, qu'ils soient libres ou serviles comme dans l'Antiquité ou au Moyen Âge, n'ont pas connu la joie de boire du vin malgré la dureté du labeur qu'ils effectuaient. Longtemps, ils ont dû se contenter de piquettes plus ou moins altérées ou, comme les soldats et les esclaves romains, boire de la posca, c'est-à-dire de l'eau additionnée de vinaigre. Jusqu'au XVe siècle au moins, les travailleurs n'ont goûté aucun alcool, quelque cervoise ou quelque hydromel excepté. Ce n'est que dans les provinces les plus riches et les plus généreuses que l'ouvrier agricole, celui du vignoble d'abord, a droit à une ration régulière de petit vin; tel est le vigneron alsacien ou languedocien du XVIe siècle. En Languedoc, le vin n'ayant guère de valeur marchande car il manque de débouchés, les bourgeois en donnent deux à trois litres par jour aux ouvriers qui travaillent leur vigne. C'est en ville que la situation évolue le plus vite. A Paris, au XVIIIe siècle, l'ouvrier doit se rendre dans les guinguettes de la banlieue pour boire du vin bon marché qui ne supporte pas les droits d'entrée; mais son horaire de travail ne lui laisse que le dimanche pour participer à ces beuveries. Aussi voit-on les ouvriers réclamer de plus en plus souvent du vin à leur patron, du vin rouge s'entend, qu'on leur distribue au repas de midi, souvent allongé d'eau. C'est l'époque où l'on vend des vins très noirs qui supportent le mouillage.C'est au XIXe siècle seulement que la consommation courante du vin devient le lot de l'ouvrier. C'est aussi en ce siècle que les industries, les transports se développent, que les travaux pénibles se multiplient, et l'offre accompagne la demande. Pour fournir du vin à bon marché et qui voyage aisément après 1850 grâce au développement du chemin de fer, les vignerons font de plus en plus de plants grossiers qui apportent abondance de gros vins. Pendant ce temps, les cabarets se développent, l'alcoolisme progresse (mot d'ailleurs inventé en 1849). Tous les romans du XIXe siècle décrivent ces travailleurs avilis par une consommation toujours plus grande de vins plus ou moins frelatés.Emile Zola, dans L'Assommoir, a superbement décrit la déchéance du couvreur Coupeau, devenu alcoolique et victime d'un accident du travail. Quant au paysan, souvent devenu propriétaire à la Révolution de petits lopins qui lui permettent de survivre, ce n'est que tardivement qu'il connaît les joies quotidiennes du vin. Le vigneron lui-même, souvent polyculteur, n'en consomme régulièrement qu'après 1850, quand le Second Empire apporte un peu de prospérité. C'est alors que les écrivains mettent en scène ces travailleurs de la terre, durs à la peine, qui goûtent avec volupté le vin de leur parcelle, souvent âpre, mal fait, issu de cépages médiocres puis d'hybrides, mais qui est leur vin qui se mêle à leur sueur et au pain que leur donne leur blé. Jean Giono, dans sa Provence tendrement chérie, a su bien rendre ce qu'est cette joie de boire enfin le vin de sa vigne.Depuis cinquante ans, la forte consommation de vin recule, surtout dans la classe ouvrière. Hélas, ce qui pourrait apparaître comme un progrès dans la lutte menée contre l'alcoolisme, ne traduit que l'attrait pour d'autres boissons alcoolisées comme la bière, plus sournoise encore, ou pour des alcools de grains que l'étranger déverse généreusement dans notre pays.

Pendant des siècles, les travailleurs manuels, les plus nombreux, qu'ils soient libres ou serviles comme dans l'Antiquité ou au Moyen Âge, n'ont pas connu la joie de boire du vin malgré la dureté du labeur qu'ils effectuaient. Longtemps, ils ont dû se contenter de piquettes plus ou moins altérées ou, comme les soldats et les esclaves romains, boire de la posca, c'est-à-dire de l'eau additionnée de vinaigre. Jusqu'au XVe siècle au moins, les travailleurs n'ont goûté aucun alcool, quelque cervoise ou quelque hydromel excepté. Ce n'est que dans les provinces les plus riches et les plus généreuses que l'ouvrier agricole, celui du vignoble d'abord, a droit à une ration régulière de petit vin; tel est le vigneron alsacien ou languedocien du XVIe siècle. En Languedoc, le vin n'ayant guère de valeur marchande car il manque de débouchés, les bourgeois en donnent deux à trois litres par jour aux ouvriers qui travaillent leur vigne. C'est en ville que la situation évolue le plus vite. A Paris, au XVIIIe siècle, l'ouvrier doit se rendre dans les guinguettes de la banlieue pour boire du vin bon marché qui ne supporte pas les droits d'entrée; mais son horaire de travail ne lui laisse que le dimanche pour participer à ces beuveries. Aussi voit-on les ouvriers réclamer de plus en plus souvent du vin à leur patron, du vin rouge s'entend, qu'on leur distribue au repas de midi, souvent allongé d'eau. C'est l'époque où l'on vend des vins très noirs qui supportent le mouillage.C'est au XIXe siècle seulement que la consommation courante du vin devient le lot de l'ouvrier. C'est aussi en ce siècle que les industries, les transports se développent, que les travaux pénibles se multiplient, et l'offre accompagne la demande. Pour fournir du vin à bon marché et qui voyage aisément après 1850 grâce au développement du chemin de fer, les vignerons font de plus en plus de plants grossiers qui apportent abondance de gros vins. Pendant ce temps, les cabarets se développent, l'alcoolisme progresse (mot d'ailleurs inventé en 1849). Tous les romans du XIXe siècle décrivent ces travailleurs avilis par une consommation toujours plus grande de vins plus ou moins frelatés.Emile Zola, dans L'Assommoir, a superbement décrit la déchéance du couvreur Coupeau, devenu alcoolique et victime d'un accident du travail. Quant au paysan, souvent devenu propriétaire à la Révolution de petits lopins qui lui permettent de survivre, ce n'est que tardivement qu'il connaît les joies quotidiennes du vin. Le vigneron lui-même, souvent polyculteur, n'en consomme régulièrement qu'après 1850, quand le Second Empire apporte un peu de prospérité. C'est alors que les écrivains mettent en scène ces travailleurs de la terre, durs à la peine, qui goûtent avec volupté le vin de leur parcelle, souvent âpre, mal fait, issu de cépages médiocres puis d'hybrides, mais qui est leur vin qui se mêle à leur sueur et au pain que leur donne leur blé. Jean Giono, dans sa Provence tendrement chérie, a su bien rendre ce qu'est cette joie de boire enfin le vin de sa vigne.Depuis cinquante ans, la forte consommation de vin recule, surtout dans la classe ouvrière. Hélas, ce qui pourrait apparaître comme un progrès dans la lutte menée contre l'alcoolisme, ne traduit que l'attrait pour d'autres boissons alcoolisées comme la bière, plus sournoise encore, ou pour des alcools de grains que l'étranger déverse généreusement dans notre pays.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :