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AOC ou vin de pays le faux débat

La vigne - n°76 - avril 1997 - page 0

Vu l'immensité du vignoble languedocien (un tiers des surfaces françaises), une seule stratégie de développement semble impossible.

Vu l'immensité du vignoble languedocien (un tiers des surfaces françaises), une seule stratégie de développement semble impossible.

Quand le Languedoc était essentiellement producteur de vins de consommation courante, il y a une quinzaine d'année encore, le passage de certains terroirs en AOC était considéré comme la seule voie de salut pour la région. Ainsi Corbières, coteaux du Languedoc, Minervois, obtiennent-ils le ' Graal ' en 1985. Douze ans après, force est de constater qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir : il suffit de consulter mensuellement les pages ' Vos indicateurs ' de La Vigne pour voir que le cours du rouge en vrac est peu rémunérateur : 465 F/hl en février dernier pour le coteaux-du-languedoc, 499 F pour le corbières et 480 F pour le minervois, pour ne prendre que les AOC les plus volumineuses. Pour le corbières et le minervois, par exemple, les prix moyens de campagne étaient inférieurs à 400 F/hl jusqu'à la campagne 1991-1992.Depuis cette époque, les vins de pays (vins de table avec indication géographique) ont pris leur essor, essentiellement les vins de cépages. Leur succès commercial est fulgurant. Lors de la campagne 1995-1996, la France a vendu 6,5 Mhl de vins de pays dont 26,7 % de vins de cépages avec, en tête, le merlot et le cabernet pour les rouges, le chardonnay et le sauvignon pour les blancs (voir La Vigne d'octobre 1996, page 66). Le Languedoc est de loin le premier intervenant sur ces produits.Où est donc l'avenir de la région : AOC ou vins de pays? ' C'est un faux débat ' expliquait Patrick Aigrain, consultant et spécialiste de l'économie du vin, lors du premier printemps du Languedoc (colloques...), à Paris les 25 et 26 mars. ' Vu les volumes à écouler, aucune des deux approches seules ne sera suffisante. Rien n'est à exclure. Dans l'avenir, le grand enjeu de ce vignoble sera de concilier les deux logiques. Il y a des zones d'arrière-pays où l'on ne pourra jamais faire des volumes et des zones de plaine qui ne donneront jamais un vin typé. 'Des vignerons en zone mixte croient donc à l'appellation comme à un sacerdoce alors que d'autres ' zappent ' et regardent d'abord leur portefeuille. ' Vu les rendements possibles en vins de pays (90 hl/ha) et leur rémunération, c'est parfois bien plus intéressant que de croire en l'AOC ', explique un producteur. ' Sur le marché américain, ce sont nos vins de cépage qui tirent les AOC du Languedoc ', avance même Eric Brousse, directeur général du groupe Val d'Orbieu-Listel, poids lourd des metteurs en marché de la région (dix-sept caves coopératives, cent quatre-vingts caves particulières, 15 000 ha de vignes). Le monde des AOC en prend un sacré coup! ' Avec la demande américaine - Mondavi et d'autres cherchent à s'installer dans la région - due à la crise du phylloxéra et à une reprise de la consommation des rouges, le marché des vins de cépages est ' boosté '. Si jamais ils arrêtent tout, beaucoup vont se retrouver la corde au cou ', estime un négociant.' L'AOC souffre par rapport aux vins de cépages, explique François Lurton, négociant bordelais globe-trotter, installé en Languedoc grâce à deux techniciens sur place. Il y a un décalage énorme entre la mentalité française incarnée par l'Inao et la réalité du marché mondial. Il faut savoir qu'aujourd'hui, on manque de vin dans le monde! Partout on plante, sauf en France. Bon nombre de nouveaux consommateurs découvrent le vin : les AOC étant trop compliquées, ils s'initient via l'approche facile des cépages. Indiscutablement, le phénomène ne peut être que durable. 95 % de notre chiffre d'affaires se font à l'exportation. En dix ans, un seul client a dû me demander de l'appellation! ' ' On trompe les vignerons avec l'appellation ', estime sans détour Bernard Montariol, directeur général de la société Virginie, première winery (unité de vinification) créée dans la région (Béziers) en 1989. Ce grand manitou des vins de cépages (domaine propre, conseillers pour différents investisseurs extérieurs...) et Pierre Degrotte, le cofondateur de la société sont aujourd'hui à la tête d'une succès-story du monde du vin : 250 000 hl traités, 12 millions de bouteilles, 180 MF de chiffre d'affaires. Une croissance rapide, peut-être trop, qui a vu l'arrivée dans le capital du Bordelais Marie Brizard. ' L'appellation ne marchera que pour le haut de gamme. Pour de nombreux vignerons dans la région, l'avenir est dans les vins de cépages. Bien sûr, on en fait partout dans le monde, à nous d'élaborer les meilleurs. A l'étranger, le cépage est une marque. Ici, on commence à avoir du mal pour s'approvisionner. Il faudrait pouvoir planter, c'est l'élément-clé. Cela permettrait en plus de mieux sélectionner les qualités. Longtemps porté par les blancs, le marché demande aujourd'hui des rouges. 'C'est pour se positionner sur ce marché des cépages que les maisons bourguignonnes Boisset et Moillard ont pris pied dans le Languedoc. La seconde a acquis en 1995 le domaine Saint-Paul (90 ha dont une partie équipée en goutte-à-goutte), aux portes de Béziers. Chardonnay, merlot et cabernet sont majoritaires mais l'idée est de planter du pinot noir. Bernard Montariol en est le gérant : ' Historiquement, cette maison achetait du pinot noir dans la région pour élaborer des cépages. On lui a conseillé d'acquérir un domaine et de planter. ' Boisset a choisi une autre voie en achetant un chai de stockage de 46 000 hl à Mudaison (Hérault). Cet important metteur en marché bourguignon, qui achetait déjà des vins de cépages dans la région, passe maintenant à la vitesse supérieure. Il achètera le vin aux caves coopératives et particulières locales à travers un cahier des charges avec la casquette classique de négociant-conseil. ' La majorité des négociants locaux et étrangers qui investissent ici joue davantage la carte de l'exportation et des vins de cépages que celle des AOC. C'est un fait. Il y a donc encore des réserves de développement pour cette dernière catégorie ', constate Patrick Aigrain. C'est le chemin choisi par William Pitters, le négociant bordelais qui investit à travers des petits domaines, dans les AOC de l'Aude et du Gard. D'un autre côté, ce n'est pas du tout la philosophie de Michel Laroche. La maison Laroche, fondée en 1850, producteur-négociant à Chablis (135 ha, 115 MF de chiffre d'affaires dont 90 % à l'exportation), a mis les petits plats dans les grands pour l'inauguration de ses nouvelles installations languedociennes le 21 mars, tout près de Béziers. ' Si je m'installe ici, c'est que je pense produire du bon vin, explique le PDG avec l'assurance d'avoir fait le bon choix. Nous recherchions depuis longtemps une diversification, le Languedoc que nous connaissions pour y acheter du chardonnay, était en concurrence dans mon esprit avec la Roumanie et la Bulgarie, pays qui ont des atouts et des coûts de production imbattables. Mais l'instabilité politique et l'image de vins bon marché m'ont fait renoncer. Même si le vin coûte ici 50 % plus cher à produire, j'ai choisi le Languedoc. 'Et la maison Laroche a de grosses ambitions. Elle acquiert le superbe domaine La Chevalière (maison de maître, locaux techniques flambant neufs, 7 ha de vigne). L'idée est de travailler en partenariat avec une trentaine de caves locales d'ici à cinq ans, l'investissement physique sera de 50 MF. ' Mais il faudra en mettre autant en communication ', explique-t-on. Car la stratégie commerciale choisie est originale : au-delà des vins de cépages, Laroche joue la carte du Languedoc (vins de pays d'Oc d'assemblage) et de la marque Domaine La Chevalière.' J'analyse le style de vin souhaité par le consommateur et je lui fait une offre... et non la démarche contraire. De gros metteurs en marché sont sur les vins de cépages, notamment en GMS. A l'inverse, je choisis une stratégie de niche. Je ne veux pas de l'AOC pour être prisonnier de trois ou quatre cépages. J'ai plus de chances avec ma marque qu'avec l'AOC mais il y a une voie dans la région pour les deux. ' Ce sera du Languedoc haut de gamme : à 30 F le premier prix, ' jusqu'à dépasser la barre psychologique des 100 F '.

Quand le Languedoc était essentiellement producteur de vins de consommation courante, il y a une quinzaine d'année encore, le passage de certains terroirs en AOC était considéré comme la seule voie de salut pour la région. Ainsi Corbières, coteaux du Languedoc, Minervois, obtiennent-ils le ' Graal ' en 1985. Douze ans après, force est de constater qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir : il suffit de consulter mensuellement les pages ' Vos indicateurs ' de La Vigne pour voir que le cours du rouge en vrac est peu rémunérateur : 465 F/hl en février dernier pour le coteaux-du-languedoc, 499 F pour le corbières et 480 F pour le minervois, pour ne prendre que les AOC les plus volumineuses. Pour le corbières et le minervois, par exemple, les prix moyens de campagne étaient inférieurs à 400 F/hl jusqu'à la campagne 1991-1992.Depuis cette époque, les vins de pays (vins de table avec indication géographique) ont pris leur essor, essentiellement les vins de cépages. Leur succès commercial est fulgurant. Lors de la campagne 1995-1996, la France a vendu 6,5 Mhl de vins de pays dont 26,7 % de vins de cépages avec, en tête, le merlot et le cabernet pour les rouges, le chardonnay et le sauvignon pour les blancs (voir La Vigne d'octobre 1996, page 66). Le Languedoc est de loin le premier intervenant sur ces produits.Où est donc l'avenir de la région : AOC ou vins de pays? ' C'est un faux débat ' expliquait Patrick Aigrain, consultant et spécialiste de l'économie du vin, lors du premier printemps du Languedoc (colloques...), à Paris les 25 et 26 mars. ' Vu les volumes à écouler, aucune des deux approches seules ne sera suffisante. Rien n'est à exclure. Dans l'avenir, le grand enjeu de ce vignoble sera de concilier les deux logiques. Il y a des zones d'arrière-pays où l'on ne pourra jamais faire des volumes et des zones de plaine qui ne donneront jamais un vin typé. 'Des vignerons en zone mixte croient donc à l'appellation comme à un sacerdoce alors que d'autres ' zappent ' et regardent d'abord leur portefeuille. ' Vu les rendements possibles en vins de pays (90 hl/ha) et leur rémunération, c'est parfois bien plus intéressant que de croire en l'AOC ', explique un producteur. ' Sur le marché américain, ce sont nos vins de cépage qui tirent les AOC du Languedoc ', avance même Eric Brousse, directeur général du groupe Val d'Orbieu-Listel, poids lourd des metteurs en marché de la région (dix-sept caves coopératives, cent quatre-vingts caves particulières, 15 000 ha de vignes). Le monde des AOC en prend un sacré coup! ' Avec la demande américaine - Mondavi et d'autres cherchent à s'installer dans la région - due à la crise du phylloxéra et à une reprise de la consommation des rouges, le marché des vins de cépages est ' boosté '. Si jamais ils arrêtent tout, beaucoup vont se retrouver la corde au cou ', estime un négociant.' L'AOC souffre par rapport aux vins de cépages, explique François Lurton, négociant bordelais globe-trotter, installé en Languedoc grâce à deux techniciens sur place. Il y a un décalage énorme entre la mentalité française incarnée par l'Inao et la réalité du marché mondial. Il faut savoir qu'aujourd'hui, on manque de vin dans le monde! Partout on plante, sauf en France. Bon nombre de nouveaux consommateurs découvrent le vin : les AOC étant trop compliquées, ils s'initient via l'approche facile des cépages. Indiscutablement, le phénomène ne peut être que durable. 95 % de notre chiffre d'affaires se font à l'exportation. En dix ans, un seul client a dû me demander de l'appellation! ' ' On trompe les vignerons avec l'appellation ', estime sans détour Bernard Montariol, directeur général de la société Virginie, première winery (unité de vinification) créée dans la région (Béziers) en 1989. Ce grand manitou des vins de cépages (domaine propre, conseillers pour différents investisseurs extérieurs...) et Pierre Degrotte, le cofondateur de la société sont aujourd'hui à la tête d'une succès-story du monde du vin : 250 000 hl traités, 12 millions de bouteilles, 180 MF de chiffre d'affaires. Une croissance rapide, peut-être trop, qui a vu l'arrivée dans le capital du Bordelais Marie Brizard. ' L'appellation ne marchera que pour le haut de gamme. Pour de nombreux vignerons dans la région, l'avenir est dans les vins de cépages. Bien sûr, on en fait partout dans le monde, à nous d'élaborer les meilleurs. A l'étranger, le cépage est une marque. Ici, on commence à avoir du mal pour s'approvisionner. Il faudrait pouvoir planter, c'est l'élément-clé. Cela permettrait en plus de mieux sélectionner les qualités. Longtemps porté par les blancs, le marché demande aujourd'hui des rouges. 'C'est pour se positionner sur ce marché des cépages que les maisons bourguignonnes Boisset et Moillard ont pris pied dans le Languedoc. La seconde a acquis en 1995 le domaine Saint-Paul (90 ha dont une partie équipée en goutte-à-goutte), aux portes de Béziers. Chardonnay, merlot et cabernet sont majoritaires mais l'idée est de planter du pinot noir. Bernard Montariol en est le gérant : ' Historiquement, cette maison achetait du pinot noir dans la région pour élaborer des cépages. On lui a conseillé d'acquérir un domaine et de planter. ' Boisset a choisi une autre voie en achetant un chai de stockage de 46 000 hl à Mudaison (Hérault). Cet important metteur en marché bourguignon, qui achetait déjà des vins de cépages dans la région, passe maintenant à la vitesse supérieure. Il achètera le vin aux caves coopératives et particulières locales à travers un cahier des charges avec la casquette classique de négociant-conseil. ' La majorité des négociants locaux et étrangers qui investissent ici joue davantage la carte de l'exportation et des vins de cépages que celle des AOC. C'est un fait. Il y a donc encore des réserves de développement pour cette dernière catégorie ', constate Patrick Aigrain. C'est le chemin choisi par William Pitters, le négociant bordelais qui investit à travers des petits domaines, dans les AOC de l'Aude et du Gard. D'un autre côté, ce n'est pas du tout la philosophie de Michel Laroche. La maison Laroche, fondée en 1850, producteur-négociant à Chablis (135 ha, 115 MF de chiffre d'affaires dont 90 % à l'exportation), a mis les petits plats dans les grands pour l'inauguration de ses nouvelles installations languedociennes le 21 mars, tout près de Béziers. ' Si je m'installe ici, c'est que je pense produire du bon vin, explique le PDG avec l'assurance d'avoir fait le bon choix. Nous recherchions depuis longtemps une diversification, le Languedoc que nous connaissions pour y acheter du chardonnay, était en concurrence dans mon esprit avec la Roumanie et la Bulgarie, pays qui ont des atouts et des coûts de production imbattables. Mais l'instabilité politique et l'image de vins bon marché m'ont fait renoncer. Même si le vin coûte ici 50 % plus cher à produire, j'ai choisi le Languedoc. 'Et la maison Laroche a de grosses ambitions. Elle acquiert le superbe domaine La Chevalière (maison de maître, locaux techniques flambant neufs, 7 ha de vigne). L'idée est de travailler en partenariat avec une trentaine de caves locales d'ici à cinq ans, l'investissement physique sera de 50 MF. ' Mais il faudra en mettre autant en communication ', explique-t-on. Car la stratégie commerciale choisie est originale : au-delà des vins de cépages, Laroche joue la carte du Languedoc (vins de pays d'Oc d'assemblage) et de la marque Domaine La Chevalière.' J'analyse le style de vin souhaité par le consommateur et je lui fait une offre... et non la démarche contraire. De gros metteurs en marché sont sur les vins de cépages, notamment en GMS. A l'inverse, je choisis une stratégie de niche. Je ne veux pas de l'AOC pour être prisonnier de trois ou quatre cépages. J'ai plus de chances avec ma marque qu'avec l'AOC mais il y a une voie dans la région pour les deux. ' Ce sera du Languedoc haut de gamme : à 30 F le premier prix, ' jusqu'à dépasser la barre psychologique des 100 F '.

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