Effectuer un traitement n'est innocent ni pour la plante, ni pour l'utilisateur puisqu'il est destiné à être toxique. Utilisés avec les protections adéquates et les bonnes doses, les traitements sont conçus pour ne pas entraîner d'effets indésirables. Ce n'est toutefois pas toujours le cas, d'où la création par la MSA du réseau de toxicovigilance recensant tous les problèmes liés à l'exposition aux phytosanitaires.
Ayons peur intelligemment! Tel semble être le mot d'ordre des médecins de la MSA (Mutualité sociale agricole), membres du réseau de toxicovigilance. ' Face aux produits phytosanitaires, il ne faut pas réagir en écologiste primaire qui stigmatise tous les produits sans exception, témoigne un médecin. Il ne faut pas croire pour autant certains groupes qui, il y a encore peu de temps, n'hésitaient pas à dire qu'un bidon de produit de traitement n'était pas plus dangereux qu'un bidon d'eau. 'Le décor est planté. Les produits phytosanitaires génèrent des chiffres d'affaires très importants. Or, profits et santé ne font pas toujours bon ménage, même si les fabricants ont tout intérêt à ce que leurs produits induisent le moins de désagréments possible. Une rumeur sur un produit qui provoque une allergie ou des problèmes respiratoires, aurait des effets dévastateurs sur les ventes... sauf si ce produit est seul sur son créneau. Tous les produits phytosanitaires commercialisés sont d'ailleurs passés par une batterie de tests avant d'être homologués. Il n'en reste pas moins que certains d'entre eux induisent des effets indésirables.La MSA a décidé de s'attaquer à ce problème en créant le réseau de toxicovigilance à titre expérimental en 1991. Le réseau s'est étendu à la France entière en janvier 1997. Il repose sur l'enregistrement systématique des accidents ou incidents survenus au cours d'un contact avec les produits chimiques. Concrètement, dès qu'un médecin de la MSA observe un incident supposé dû aux traitements, il signale le cas au réseau de toxicovigilance. L'expertise des dossiers est effectuée par un médecin toxicologue qui juge si les désagréments ou la maladie sont imputables aux produits phytosanitaires. Antérieurement à ce réseau, une enquête avait été menée auprès de 7 600 exploitants de 1984 à 1986 et sur 2 300 salariés en 1987. Les résultats montraient que 16 à 22 % des personnes ayant manipulé des produits phytosanitaires signalaient avoir subi des effets indésirables. Dans le réseau, la viticulture arrive en tête des cultures à risques, suivie de près par les grandes cultures. Les symptômes d'intoxication par les produits phytosanitaires sont principalement cutanés (24 %).Ce sont les fongicides qui sont les plus souvent impliqués (36 % des cas), suivis des insecticides (29 %) et des herbicides (19 %). Dans la famille des fongicides les plus souvent mis en avant, on retrouve les carbamates (surtout le mancozèbe et le manèbe), puis les hétérocycles divers et les dicarboximides. Chez les insecticides, ce sont les organo-phosphorés (32 %), les pyréthrinoïdes de synthèse (31 %) et les carbamates (24 %). Pour les herbicides, les matières actives fréquemment retrouvées sont les ammoniums quaternaires (24 %) avec le paraquat et le diquat, suivis des aryloxyacides (9 %), des triazines (8 %) et des dérivés de l'urée (8 %).Même si l'attitude des entreprises phytosanitaires (via l'Union des industries de la protection des plantes) a évolué dans le sens d'une meilleure collaboration avec le monde médical, tout n'est pas encore résolu. ' Nous souhaiterions que les entreprises participent plus activement à la connaissance des utilisateurs, explique Jacques Ramain, médecin à la MSA du Gard. Les informations sur la matière active sont difficiles à trouver. De plus, les étiquettes ne sont compréhensibles que pour des personnes qui ont au moins le niveau du BTA, ce qui n'est pas très fréquent. ' Exemple d'un point facile à améliorer : l'inscription des doses en hectolitre et en hectare pour les produits communs à la viticulture et à l'arboriculture.Les organisations professionnelles ne s'avèrent pas non plus très actives pour favoriser la formation et l'information. Dernièrement, un vignoble a même refusé de participer à une étude médicale de peur d'entacher son image... Jacques Ramain propose par ailleurs que chaque utilisateur reçoive un certificat d'aptitude à traiter, à la suite d'une formation pratique de quelques jours sur la manière de traiter. Cette proposition s'inspire de ce qui existe déjà pour les conducteurs de chariot élévateur. ' Si cette aptitude se mettait en place, nous accomplirions le bond que nous n'avons jamais fait depuis trente ans, poursuit Jacques Ramain. Le message doit être intelligent. Il n'est pas nécessaire d'avoir une protection maximale pour tous les traitements. Car si l'on oblige les utilisateurs à porter systématiquement un masque lourd - qui devient vite insupportable sous la chaleur - c'est la porte ouverte à ce qu'il ne l'utilise jamais, même quand c'est très important 'Les médecins de la MSA insistent également sur la responsabilité des employeurs, qui doivent s'assurer que leurs salariés ont bien compris le danger de traiter sans protection. Il n'est pas rare dans le Sud, de voir des employés traiter en short et torse nu...En plus de ce réseau, plusieurs médecins et biologistes mènent des études sur des points précis. Pierre Le Bailly, biologiste à l'Inserm de Caen (Calvados), travaille sur l'éventuelle modification cellulaire qu'entraîne l'exposition à un produit phyto. ' Des études ont montré que le milieu agricole était moins touché par le cancer que les autres habitants, précise Pierre Le Bailly. Cela s'explique par un taux de fumeurs moins important et par une meilleure hygiène de vie. En revanche, le taux de cancers liés à l'hématologie (leucémie) est deux fois plus important dans la population agricole. ' Si l'on montre que la cellule est modifiée après un traitement - même si elle se restaure d'elle-même ensuite - cela pourra prouver l'implication de certains produits phytos dans certains cancers.Autre sujet d'étude : l'éventuel lien entre les traitements et les performances intellectuelles des utilisateurs (concentration, mémoire...). C'est à Bordeaux que cette recherche s'effectue, avec une probable publication des résultats d'ici à la fin 1998. Les problèmes de stérilité sont également étudiés à Colmar. En effet, la stérilité définitive de certains utilisateurs a été reliée à la manipulation de certains produits phytosanitaires, actuellement interdits dans les pays industrialisés mais toujours autorisés dans les pays en voie de développement.