En pleine Castille, à 200 km au nord de Madrid, se trouve une des plus belles appellations de rouge d'Espagne : les 11 300 hectares de Ribera del Duero. On y plante beaucoup, les prix du raisin sont à la hausse, des bodegas se créent presque tous les mois et le vin part à de bons prix.
Avec la Rioja (à deux heures de route), Ribera del Duero est l'appellation de rouge la plus fameuse d'Espagne. Nous sommes ici dans le centre-nord du pays, à 800 mètres d'altitude. Le paysage est ocre et aride, le climat continental avec de fortes amplitudes sur une même journée. 11 300 ha de vignes sont en production (plus les jeunes), toutes classées en zone d'appellation. A 80 % ce sont des raisins rouges avec un cépage fétiche : ' la tinta del pais ', une variante du tempranillo (le cépage-phare de la Rioja). Le vignoble se trouve sur quatre provinces (départements) : Burgos, Valladolid, Soria et Segovia.Ici, on vous parle ventes, plantation, croissance, bodegas qui s'installent... En fait, ce vignoble est en plein boom : seulement 6 460 ha produisaient de l'appellation en 1985... ' Nous n'avons jamais connu une telle période ', commente un producteur qui vient de construire sa bodega. ' Il est difficile de trouver du raisin, les prix flambent. ' Nous sommes ici dans une configuration type champagne : d'un côté, des agriculteurs possédant des vignes (ils sont 6 400) et vendant leur raisin, de l'autre, des bodegas (unité de vinification qui vend son vin sous sa marque) possédant souvent peu de vignes et qui se lancent donc sur le marché du raisin. On comptabilise aujourd'hui quatre-vingt-deux bodegas (y compris coopératives) dont douze apparues dans la seule année 1997! La région attire.Du coup, les cours flambent : alors que le prix moyen pour un kilo de raisin rouge était de 45 pesetas (PTA) en 1991 (100 pesetas = 4 FF aujourd'hui), il est passé à 90 PTA en 1994, 180 en 1995 et 200 pour la dernière vendange. Des achats se sont effectués à plus de 300 PTA, soit 12 F/kg (100 kg de raisin donnent 70 l de vin). Il faut dire qu'un gel sévère a fortement amputé la récolte 1997 : seulement dix-sept millions de kilos ont été ramassés, contre quarante millions l'année précédente (récolte du siècle!); une année ' normale ' oscillant autour de vingt-deux millions de kilos. ' Sachant que les rendements autorisés sont à 7 000 kg/ha, cela nous donne, dans le meilleur des cas, 1,4 million de pesetas de revenu brut/ha (avec les 200 PTA par kilo) - soit 56 000 F/ha. A comparer avec des coûts de production faibles, de l'ordre de 200 000 PTA/ha, cela laisse de très beaux revenus. Il y a un peu d'oïdium, peu de mildiou, quelques acariens et presque jamais de pourriture. La zone est bénite pour produire des vins de qualité ', explique un technicien du Consejo Regulador (CR). Cette structure est un hybride entre le syndicat d'appellation et l'interprofession à la française, elle s'occupe aussi des agréments et délivre la contre-étiquette obligatoire. Ici, le CR emploie dix personnes, pour un budget de 10,6 millions de francs.On élabore des vins rouges corsés, voire puissants, élégants et soyeux. De superbes produits, titrant autour de 13°. Les vins sont presque toujours passés sous bois. Un vrai terroir avec l'acclimatation d'un cépage autochtone (on trouve aussi un peu de cabernet sauvignon et de merlot), alliés à des moyens techniques, sont à l'origine de la prospérité de ce vignoble qui a obtenu l'appellation en 1982. A la vente, il faut compter quelque 700 PTA pour un vin jeune, 1 000 à 1 500 pour un Reserva (3 ans maximum de vieillissement) et à partir de 4 000 à 5 000 PTA pour un Gran Reserva (5 ans minimum). En 1997, 22 millions de bouteilles ont été vendues (dont la moitié en vin jeune) contre 15 millions l'année précédente.' Je suis préoccupé par cette croissance trop forte ' confesse Téofilo Reyes, 76 ans, qui a créé en 1994 sa propre bodega, avec ses enfants. ' Ne possédant presque pas de vignes, nous avons acheté 200 000 kg de raisin en 1997, auprès de vingt fournisseurs, à 300 PTA le kilo en moyenne. Nous n'avons presque plus de vin à vendre des millésimes précédents. ' ' Le problème est qu'il apparaît plus de bodegas que de vignes - même si la région plante beaucoup. De grandes maisons venant d'autres vignobles espagnols s'installent. Cela va finir par coincer et seuls les meilleurs resteront. 'Pour s'approvisionner, on aura moins de problèmes à Real Sitio de Ventosilla. Ici, au sein d'une exploitation de polyculture est né un ambitieux projet viticole. Le propriétaire, un homme d'affaires fortuné, a planté 300 ha depuis 9 ans... et 200 autres sont prévus l'année prochaine! Tout d'un seul tenant, palissé et équipé de goutte à goutte. Maintenant, c'est la bodega qui est en construction. ' Notre but est de développer une philosophie type ' château bordelais ', sans achat de raisin à l'extérieur ', explique Angel Louis Margüello, le directeur technique. ' Il n'est pas étonnant que l'on investisse si fort dans le vin en Espagne, c'est la filière agricole qui finalement marche le mieux. 'A Condado de Haza, l'optimisme est aussi de rigueur. Les locaux sont immenses : cuverie, chais à barriques (françaises et américaines), tunnel de 300 mètres creusé sous la montagne et salle de réception. 200 ha de vignes ont été plantés depuis la création de cette bodega en 1989. ' Pour s'agrandir, notre problème est dans les transferts de droits de plantation ' attaque Jésus Pascual, gendre du propriétaire. ' On a déjà dû payer 300 000 PTA/ha (12 000 F). Dans la Rioja, il y a eu des transactions à 1 million de pesetas (40 000 F). La spéculation est folle avec l'apparition d'intermédiaires et de nombreux dessous de table. Cela va devenir d'autant plus dur que toutes les autonomies espagnoles, l'équivalent des régions en France, ne veulent plus que ' leurs ' droits partent ailleurs. ' Exactement comme en France... Les prix des plants s'envolent aussi.L'appellation Ribera del Duero a sa ' Mecque ' : Véga Sicilia. C'est la propriété la plus connue d'Espagne. Fondée en 1864, elle a aujourd'hui 250 ha et emploie quarante personnes. Le propriétaire est aussi un riche homme d'affaires. Ici le premier vin ne sort à la vente qu'au bout de 10 ans minimum (dont 7 sous bois), il faut attendre 5 ans pour le second! Pour le premier, les clients, ' privilégiés ', sont servis au prix unique de 12 000 PTA/bouteille (480 F HT), des milliers d'autres sont en liste d'attente. ' Pour ce vin, notre production est de 22 hl/ha en moyenne, quand le millésime est trop moyen, nous n'en produisons pas. Nous avons notre philosophie propre, comme la sélection massale, des macérations courtes - 8 à 10 jours - ou le fait d'avoir deux personnes fabriquant nos barriques sur la propriété ', explique Xavier Ausàs, jeune oenologue, qui a fait ses études à Toulouse. En 1992, Vega Sicilia a repris Alion, une bodega voisine.