Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 1998

Des ' resto ' partenaires

La vigne - n°86 - mars 1998 - page 0

La restauration est un circuit de commercialisation difficile mais à forte image. Au-delà de leurs vins, les producteurs doivent proposer un concept, une animation, des idées. C'est une politique de partenariat et la clé de leur réussite.

L'image du restaurateur qui ne paie pas et qui fait sa marge sur le vin est loin d'être révolue. Il ne faut pas en conclure pour autant que la profession est pleine ' d'escrocs ' et que passer par ce circuit de distribution entraîne systématiquement des ardoises. ' C'est une cible très difficile ', reconnaît Claude Kohler, responsable des ventes en France pour Wolfberger (cave alsacienne), qui ne fait que 5 % de son chiffre d'affaires dans ce circuit. ' Tant qu'on parle vin, ça va. Dès qu'on parle argent, rien ne va plus ', dit un vigneron de la vallée du Rhône.Henry Fessy, négociant dans le Beaujolais (50 % de ses ventes se font en restauration), avoue avoir perdu 20 % de sa clientèle après avoir ' fait un tri pour travailler uniquement avec les ' bons '. Si tous les producteurs faisaient pareil, ajoute-t-il, il n'y aurait plus de mauvais payeurs. ' ' La restauration coûte cher en frais financiers et de recouvrement, avoue Arnaud Bro de Comères, de la maison de champagne Deutz. Pour être sur les belles tables de France, les repas organisés à nos frais coûtent plus cher que la marge que l'on fait dans le restaurant en deux ans de commande! 'A condition d'être sur la même longueur d'onde, la solution est sans doute dans le partenariat et l'implication. Les restaurateurs et les entrepositaires attendent du vigneron un investissement personnel. Aux dires de nombreux restaurateurs, tout le monde arrive à faire de bons vins. C'est donc bien la manière dont ils seront proposés qui fera la différence. Si l'on est peu doué pour la vente, autant s'en remettre à quelqu'un dont c'est le métier : négociant, entrepositaire, représentant ou commercial interne.Si les opérations primeurs, les vins de l'été... ont leur limite, les salons restent indispensables, même s'ils demandent un effort, celui d'aider le restaurateur à comprendre ce qu'il vend, l'impliquer, lui expliquer les crus, le sensibiliser. L'eau, le Cola, la bière ne demandent pas autant de connaissances pour être appréciés. ' Si je n'amène pas subtilement le client vers un vin inconnu mais qui mérite le détour, explique Philippe Bourguignon, le chef sommelier du Laurent, à Paris, il choisira un grand bordeaux. ' Cette ' éducation ' du consommateur est apportée par le restaurateur et le sommelier, eux-mêmes instruits par le vigneron ou la cave coopérative intéressés.Le direct fait peur : les restaurateurs craignent les bouteilles cassées : ' Difficile de les faire remplacer ', se plaint l'un d'entre eux. ' Les vignerons sont des poètes, des artistes, estime Pierre Morel, de la Maison de la Lozère, à Montpellier. Si on leur fait comprendre qu'on aime pas trop leur vin dans ce millésime, l'année d'après, ils bouderont et refuseront de nous en vendre. ' ' Pour commercialiser sa marchandise tout seul, tranche Henry Fessy, il faut en assumer la responsabilité jusqu'au bout. ' L'intermédiaire se charge de tout : du transport, de la casse, de trouver les vins.' Je n'ai plus le temps d'aller dans le vignoble, raconte Philippe Bourguignon. C'est une aubaine d'avoir des représentants motivés qui partent eux-mêmes à la recherche de nouveautés. ' Pour Caroline Marry, responsable des vins chez l'entrepositaire Bertrand (région parisienne), il faut aller jusqu'au bout de la démarche. ' On reçoit des dizaines d'appels par jour de vignerons qui veulent passer par nous. Il faut nous séduire, nous proposer des idées originales, des vins qui collent au marché, accompagnés d'un concept. ' Elle prend l'exemple du groupement de vignerons Plaimont (Gers) : ' Hormis le prix et la qualité, nos commerciaux ont été voir la vigne et les réflexions se font en commun. 'D'autre part, les petits volumes peuvent eux aussi les intéresser : ' On a aussi besoin de producteurs modestes pour étoffer notre carte. Avec 10 000 bouteilles par an, il y a moyen de faire quelque chose. Seuls dans leur coin, avec le phénomène de concentration des enseignes et grossistes, ils n'y arriveront pas. 'Se regrouper entre vignerons et monter des opérations peut être une autre solution. A l'échelon local, un arrangement entre restaurateurs locaux et producteurs du village permet aux uns et aux autres de travailler main dans la main pour promouvoir la région : le consommateur est content d'avoir un choix de vins locaux et le vigneron, une excellente vitrine près de son caveau. Profitons d'avoir en France tant de villages en appellation! Pour ce partenariat, il faut accepter de vendre la bouteille moins cher mais tous les producteurs s'alignent : ' Les champagnes de dix vignerons (qui tournent) achetés au même prix se retrouvent à la carte à 140 F, explique Daniel Lormier, patron de L'OEuillade, un petit restaurant au coeur du village d'OEuilly, dans la vallée de la Marne. A ce prix, nous vendons deux bouteilles au lieu d'une et les vignerons acceptent du coup d'être payés sur trente jours. 'Le ' mariage ' du restaurateur et du vigneron viendrait-il, au-delà des considérations pratiques, des alliances entre mets et vins? Alain Senderens, chef du trois étoiles parisien Lucas-Carton, propose pour chacun de ses plats un vin au verre parfaitement adapté. A L'OEuillade, on prévoit des accords mets-vins avec les champagnes, servis également au verre. Philippe Verdier, directeur marketing du syndicat des côtes du Rhône, parle d'une ' scène d'harmonies, comme le gibier à l'automne avec les rouges '. Les deux parties peuvent ainsi se valoriser mutuellement : pour le producteur, une bonne table est une vitrine, ' quitte à ne rien gagner dessus ', suggère Christian Vache, du domaine La Monardière, à Vacqueyras.Localement, avoir son vin sur une table amène les clients. Dans les grandes villes ou dans la capitale, c'est un moyen de se faire sa publicité. Mais il faut être à l'écoute du client-restaurateur, le livrer rapidement et en petite quantité. Christian Vache s'est fixé comme objectif 1998, deux grands restaurants en plus. Que l'on passe ou non par des intermédiaires, l'essentiel est d'apprendre au restaurateur à aimer le vin inscrit à sa carte, comme il aime, lui, parler des plats qu'il a mijotés. ' Etre amoureux de son vin et savoir le mettre en valeur ', insiste un restaurateur. ' Faire rêver le restaurateur car le vin est une part de rêve que l'eau ne transmet pas, malgré sa marge plus importante ', conseille Philippe Verdier. ' Ne pas avoir la grosse tête, précise Jean-Marc Forest, du Chandelier, à Montpellier. Le courant doit passer car du bon vin, désormais, il y en a! '

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :