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Le mildiou est une algue

La vigne - n°87 - avril 1998 - page 0

Contrairement à ce qu'on admet depuis plus de cent ans, le mildiou n'est pas un champignon mais une algue. Tout bien pesé, ce classement lui va bien car on sait qu'il partage avec sa nouvelle famille, le besoin et le goût de l'eau qui lui donne toute sa vigueur et son pouvoir de nuisance.

Des preuves? En voici. Nous en trouverons sur Internet. Jacques Mugnier nous servira de guide pour cette courte exploration. Depuis son laboratoire perché au sommet de la colline de la Dragoire, à Lyon, il appelle une banque de données américaine (1). Il la connaît par coeur. Il la consulte tous les jours pour y découvrir les nouvelles séquences de gènes déposées par les chercheurs du monde entier. Celles qui l'intéressent le plus concernent les ennemis des plantes cultivées. Jacques Mugnier travaille au centre de recherches de Rhône-Poulenc.Ah! Nous y sommes. Le contact avec la banque de données est établi. Voici à l'écran le site du centre national pour l'information biotechnologique, un organisme gouvernemental qui tient une classification des êtres vivants. On clique dans ' Taxonomy ', puis dans ' The taxonomy browser ' et dans ' Eucaryotes '. Apparaît une liste impressionnante de noms latins auxquels, il faut bien l'avouer, on ne comprend rien ou presque. Mais avec notre guide, on s'y retrouve. On constate que le mildiou ne figure pas parmi les champignons mais au sein d'une famille dénommée straménopiles qui comprend également les algues brunes et les diatomées et dont les plus proches parents sont les algues rouges, les algues vertes et les plantes.Ce classement rejoint celui proposé par l'Institut international de mycologie, une société basée en Angleterre. En 1996, elle a publié la huitième édition de son Dictionnaire des champignons dans lequel le mildiou trouve sa place parmi les chromista, nom savant des algues.Depuis 1992 au moins, des scientifiques soutiennent ouvertement cette thèse qui nous paraît si étonnante et si farfelue. Cette année-là, l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique-nord) organise une conférence sur la classification. Le professeur Taylor, l'un des plus grands spécialistes américains, y déclare qu'il faut distinguer quatre familles parmi les êtres vivants habituellement désignés comme des champignons. Ces familles n'entretiennent que de lointains liens de parenté les unes avec les autres. Les oomycètes sont l'une d'entre elles. ' Les analyses d'ADN montrent que ces organismes (les oomycètes, NDLR) font partie d'un groupe incluant les algues brunes, les diatomées et les autres algues contenant de la chlorophylle ', écrit le professeur Taylor dans le compte-rendu de la conférence paru en 1994. Or, le mildiou est un oomycète, personne ne le conteste.Peu à peu, une majorité de spécialistes se sont rangés à ce point de vue. Dans les pays anglo-saxons, il est admis. C'est logique : les plus grands spécialistes de la classification des êtres vivants sont américains ou anglais. Ce sont eux qui donnent le ton. Les Français finissent par les suivre, le temps d'être convaincus.Pour tous, l'argument qui a définitivement imposé une révision des anciens classements est de nature génétique. Il repose sur l'analyse d'une fraction du génome qu'on détaille dans ses constituants élémentaires. L'opération s'appelle séquençage. La fraction étudiée est de l'ADN ribosomal. Selon la théorie actuelle, les espèces sont d'autant plus proches les unes des autres que leur ADN l'est. Or, l'ADN du mildiou ressemble bien plus à celui d'une algue qu'à celui de n'importe quel oïdium, pourriture, excoriose, rouille ou fusariose.Cette observation récente vient s'ajouter à d'autres, plus anciennes. Ensemble, elles pèsent plus lourd que les vieilles théories qui n'ont pas été assez solides pour résister à l'afflux de connaissances nouvelles. ' Cela fait longtemps qu'on avait de très fortes suspicions, explique Jacques Mugnier. La paroi des vrais champignons est composée de chitine. Celle du mildiou est à base de cellulose comme celle des algues. Les vrais champignons produisent leurs propres stérols. Les mildious les prennent aux plantes qu'ils infectent. Voyez les IBS, les inhibiteurs de la biosynthèse des stérols : ils n'ont aucune action sur eux. Le mildiou produit également des spores pourvues de deux flagelles, ce qui est commun chez les algues et qu'on ne voit jamais chez les champignons. ' Grâce à leurs flagelles, les spores se déplacent dans les gouttes d'eau. Elles nagent jusqu'à ce qu'elles découvrent un stomate, porte par laquelle l'infection pénètre dans les feuilles. Leurs promenades aquatiques peuvent durer une demi-heure.Ainsi, au-delà de différences d'aspect qui paraissent flagrantes, il existe des ressemblances dont l'importance est bien plus fondamentale. Ces traits communs ne sont pas immédiatement accessibles. Il faut recourir aux technologies les plus modernes pour les établir. Ils l'emportent sur les différences car ils concernent les fondements même des organismes vivants : leur génome, leurs organes reproducteurs et les matériaux chimiques dont ils sont constitués. Sur ces trois points, le mildiou est bien plus proche des algues que des champignons. Cela nous incite à admettre qu'il fait partie de la première de ces familles et non de la seconde, même si l'habitude et une ressemblance apparente plaident pour le contraire. C'est cette apparente similitude qui avait poussé le mildiou dans le règne des champignons. Comme eux, il développe des filaments pour se propager et se nourrir à l'intérieur des feuilles de la vigne. Au cours de l'évolution, il a trouvé la même solution qu'eux pour parasiter efficacement les plantes. Mais cela ne signifie pas qu'il leur est apparenté.Pour Jacques Mugnier, la cause est entendue depuis 1990. Les travaux qu'il mène au sein du service d'analyse génétique de Rhône-Poulenc dont il est le responsable, l'en ont convaincu. Depuis quelque temps, il intervient lors de réunions organisées par sa société pour dire que le moment est venu de réviser le classement du mildiou. A chaque fois, il surprend son auditoire, ce qui finit par le lasser. ' Ce qui est étonnant, c'est qu'on étonne encore les gens avec ça ', dit-il, de voir que l'idée est si longue à s'imposer.Alors, pour convaincre les participants du bien-fondé de ses arguments, il les rattache à une expérience simple et concrète. ' Lorsque vous nettoyez un aquarium envahi d'algues, vous utilisez du cuivre car c'est un algicide. Or, le mildiou possède la même sensibilité au cuivre. 'Ceux qui nous suivent encore doivent se demander à quoi bon? Oui, à quoi bon s'attarder à ces questions de classification? Qu'est ce que ça change? Rien quant à la nature des choses mais tout dans leur compréhension. Dire que le mildiou est une algue plutôt qu'un champignon ne le transforme pas le moins du monde. Mais une fois la surprise passée, on s'aperçoit que son nouveau classement lui va bien. Il aime l'eau; les algues aussi. On pourrait presque dire que c'est un être aquatique tellement il en a besoin. Il lui faut de la pluie à tous les moments de sa vie : pour la formation et la conservation de ses oeufs d'hiver, pour ses contaminations primaires et secondaires. Et pour qu'il fructifie, il réclame qu'une humidité abondante se condense sous forme de rosée. Dire qu'il est une algue nous rappelle très clairement cette dépendance primordiale vis-à-vis de l'eau. On comprend ainsi immédiatement qu'il y a danger dès qu'il pleut et qu'au contraire, il n'y a rien à craindre dès qu'il fait sec. C'est donc un classement parfaitement opérationnel et pratique. C'est pour cela qu'il est utile de l'enseigner et de l'adopter.(1) www.ncbi.nlm.nih.gov.

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