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Le château de Loei, un vignoble français

La vigne - n°89 - juin 1998 - page 0

La seule propriété viticole de la Thaïlande se trouve au nord. C'est un Français qui mène les 83 ha du château de Loei. Toute une aventure dans un pays sans passé viticole.

Au nord de la Thaïlande, à quelques kilomètres du Laos, on trouve une petite centaine d'hectares de vignes au milieu de collines boisées. Ce vignoble produit depuis quelques années le premier vin thaïlandais, étiqueté ' château de Loei ', le nom de la ville voisine. Il a vu le jour par la volonté du Dr Chaiyudh, l'un des plus importants capitaines d'industrie thaïlandais, et s'épanouit tous les jours grâce à l'opiniâtreté d'un vigneron français, Michel Rippes.Au début des années 90, le Dr Chaiyudh, patron du groupe Italian-Thaï, décide, après une vie bien remplie, de prendre sa retraite. Il met toute sa passion et son argent dans son hobby de toujours, l'agriculture. Il achète 20 000 ha dans le nord du pays et y fait planter fleurs, légumes et arbres fruitiers. Grand amateur de vins français, il installe en 1993 quelques hectares de vignes avec l'ambition d'élaborer du vin. En dehors de 4 000 ha de vignes produisant du raisin de table dans la plaine, autour de la capitale Bangkok (sud du pays), la Thaïlande n'a pas de passé viticole. Les premiers résultats du Dr Chaiyudh, par manque de support technique, se révèlent décevants : mauvaise taille des vignes, problèmes de maladies et de traitements phytosanitaires. En 1995, 12 ha de chenin blanc produisent les premières bouteilles (38 000) du château de Loei.En 1996, le professeur français Denis Boubals fait un bilan du vignoble et la gestion du domaine passe entre les mains de Michel Rippes, vigneron et oenologue originaire du Lot-et-Garonne. Mieux soignés et entretenus, les plants reprennent de la vigueur. La première récolte de syrah permet alors de produire les 9 000 premières bouteilles de vin rouge. Les dernières vendanges (en mars 1998), prometteuses, ont permis de récolter 17 t de syrah et 134 t de chenin blanc sur un total de 83 ha. Dans le but de produire à moyen terme un vin d'assemblage, de nombreux autres cépages sont actuellement testés sur la propriété : ugni blanc, cabernet sauvignon, cabernet franc...Situé sur un plateau à 800 m d'altitude, dans la province la plus fraîche de la Thaïlande, ce vignoble bénéficie de conditions climatiques exceptionnelles. Le climat tropical y comporte deux saisons distinctes : une période fraîche et sèche de novembre à avril, avec de grandes amplitudes thermiques (jusqu'à 20°C dans la même journée). De mai à octobre, les orages de mousson s'abattent sur la région, apportant un fort taux d'humidité (90 %) et plus de 1 100 mm de précipitations en moyenne. Le soleil brillant néanmoins toute l'année, le raisin peut se récolter en permanence. Pour les raisins de cuve, il y a deux récoltes par an (février et octobre).Mais si le soleil est au rendez-vous, la terre cultivée par les trois cents employés de la propriété n'a pas toutes les qualités : le sol, d'un pH de 4,6 à 6,5, est décalcifié et manque de matières organiques. ' Ce n'est pas une terre facile, reconnaît le technicien français, mais le vin est plus concentré en arômes et en alcool. Il a une structure plus complexe. ' On utilise un mélange d'engrais organiques (azote, phosphore et potasse). Abordant pour la première fois la culture en milieu tropical, Michel Rippes a découvert que le repos végétatif s'y fait par excès de chaleur et de sécheresse, entre mars et avril, période à laquelle certains arbres perdent leurs feuilles. Cela permet à la vigne de se reposer après la première récolte de février.A la saison des pluies, de nombreux insectes et chenilles s'attaquent aux feuilles des vignes mais ne résistent pas aux insecticides classiques. La menace la plus grave vient des termites : après avoir détruit les tuteurs en bambous, ils attaquent les pieds de vignes. Pour l'instant, un peu d'huile de vidange aux pieds des ceps semble les tenir éloignés. ' Nous tentons de faire une lutte intégrée, explique-t-on sur place, mais cela prendra du temps. On teste également la pulvérisation d'une infusion de feuilles d'un arbre local réputées pour leur effet répulsif... ' L'oïdium et le mildiou sont évités grâce à un traitement approprié.Les techniques de vinification au domaine du Dr Chaiyudh bénéficient du savoir-faire français. Michel Rippes travaille en collaboration étroite avec l'Institut d'oenologie de Bordeaux, qui assure un suivi toute l'année, en particulier un bilan après les vendanges et avant la mise en bouteilles. Ici, les chais comportent 23 cuves de fermentation et de stockage de 3 000 hl. L'ensemble du matériel a été installé par la société Imeca, de Clermont-l'Hérault (Hérault).Avec la chaleur ambiante, la principale difficulté des vinifications est la maîtrise des températures : chaque cuve dispose d'un système de contrôle. ' Pendant les vendanges, explique le technicien français, le raisin est rentré entre 20 et 30°C. Il faut donc pouvoir refroidir le jus le plus vite possible. ' Ensuite, le viticulteur français ajoutera juste 6 à 7 g de soufre par hectolitre avant fermentation. Le matériel est entretenu avec les moyens du bord mais avec beaucoup de soin : ' On se doit d'avoir une meilleure hygiène qu'en France, en raison de l'humidité et de la chaleur qui favorisent le développement des maladies et des bactéries. 'Sans doute poussé par une fièvre d'entreprendre toute asiatique, Michel Rippes pense déjà à diversifier les produits du domaine : il teste actuellement la fabrication d'un vin blanc liquoreux et d'un brandy. Ce dernier pourrait, à terme, être élaboré à partir de la récolte de saison des pluies, qui donne un raisin de qualité moins constante. Pour l'instant, le stockage s'effectue uniquement en cuves en Inox mais, à l'avenir, le vin sera conservé sous bois, dans une cave de 2 000 barriques creusée sous les chais.Le visiteur de chais de Loei sera surpris par la qualité des produits issus d'un vignoble aussi jeune. Le chenin blanc est fruité, onctueux et devrait bien vieillir. La syrah, qui doit encore être travaillée, promet d'être un vin corsé et charpenté. Une fois vinifiés et élevés en barriques, les crus du château de Loei devraient atteindre une première maturité. Mais aujourd'hui, la demande des restaurateurs et hôteliers est telle que le Dr Chaiyudh doit mettre en vente ses bouteilles très peu de temps après la vinification. Même s'il est cher au détail (entre 100 et 150 F la bouteille en restaurant), le vin du château de Loei semble être apprécié par les consommateurs.S'il est aujourd'hui de taille modeste, le vignoble du Dr Chaiyudh, pionnier de la viticulture thaïlandaise, devrait prendre de l'importance dans les années à venir. Ce dernier a donné pour mission à Michel Rippes d'étendre la surface de vignes cultivées à 500 ha et d'équilibrer les productions de rouge et de blanc. La création d'un vin d'assemblage, comme celle d'un vin blanc liquoreux de qualité, pourrait lui permettre d'obtenir dans quelques années ses premiers galons à l'exportation.D'ailleurs, certains ne s'y trompent pas : les premiers concurrents montrent le bout de leur nez. A 200 km de Loei, le brasseur national thaïlandais Singha a planté quelques hectares de vignes destinées à produire du raisin de cuve. La première bouteille est annoncée pour le mois de juin 1998. Un projet entouré de mystère mais qui n'inquiète pas Michel Rippes : ' Ces gens-là sont venus espionner, voir comment je travaille. Mais moi, je n'ai rien à cacher. Le seul véritable secret, c'est l'amour du métier. '

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