Souvent comparée au Languedoc, la région des Pouilles, au sud-est de l'Italie, n'a pas encore achevé sa mutation. Son dynamisme commercial et le succès de ses vins qualitatifs devraient toutefois convaincre les résistants à la restructuration. Un grand concurrent se réveille...
Lors du dernier Vinitaly (salon international de Vérone), les vins des Pouilles ont connu un beau succès. Les efforts de restructuration opérés par le ' talon ' de l'Italie commencent à être reconnus! Sa réputation de fournisseur de vins de coupage s'estompe. En effet, les négociants du nord de l'Italie et des opérateurs français achetaient volontiers ces vins rouges sombres pour apporter un peu de couleur et de degrés à des vins trop pâles.Cette pratique persiste, notamment entre le nord et le sud de l'Italie. Mais elle a considérablement été freinée grâce aux aides européennes. Les primes à l'arrachage et les aides à la restructuration ont apporté un sérieux coup de pouce à cette région en crise. Cependant, le programme européen n'a pas eu que des répercussions positives : ' Les vignes à faible rendement ont été arrachées. Or, c'était souvent les meilleures ', estime Carlo de Corato, PDG de la société Rivera, à Andria. Certains vignerons dénoncent les effets pervers de cet assistanat sur la mentalité du vignoble : ' Il serait préférable de former les vignerons plutôt que d'arracher. Car l'objectif, c'est de bien vendre '. L'arrachage primé reste en vigueur dans les Pouilles mais son intensité a fortement décru.La région des Pouilles, qui s'étend sur près de 400 km, présente de grandes diversités viticoles. Le nord privilégie l'irrigation et de hauts rendements (200 à 250 hl/ha), souvent obtenus en pergola. Certains vignerons misent néanmoins sur des modes de culture moins productivistes. Au sud, les exploitations sont plus petites et adoptent généralement un mode de culture plus traditionnel (gobelet...).Les Pouilles sont la première région productrice de vin en Italie (110 000 ha), avec un chiffre moyen variant entre 8,5 et 11 Mhl, soit 16 à 18 % de la production nationale en volume et 13 % de la surface totale (848 000 ha). Elle se situe juste devant la Sicile, puis la Vénétie. Les Pouilles comptent 25 DOC, l'équivalent des AOC françaises. Les plus connues d'entre elles sont Castel del Monte, Locorotondo, Salice Salentino, San Severo et Martina Franca.Au total, les vins DOC représentent un volume d'environ 225 000 hl dans les Pouilles, soit environ 2 % de la production de cette région. Si certains vignerons sont attirés par les nouveaux cépages correspondant à la demande internationale, comme le chardonnay, le merlot, le cabernet sauvignon, ces démarches restent limitées. La plupart des intervenants privilégient les cépages locaux, à forte typicité, conscients que leur salut passera par des vins de caractère.La transformation progressive du vignoble se traduit par une commercialisation croissante du vin en bouteilles. Il y a quelques décennies, un vigneron isolé, même avec un vin qualitatif, avait peu de chances de percer. Les rares flacons embouteillés dans les Pouilles provenaient de vignobles appartenant à de grandes familles, avec un nom connu pour ambassadeur. La famille Leone de Castris, de Salice Salentino, figure parmi les plus connues. C'est dans leur caveau que le premier vin rosé italien, le Five Roses, fut mis en bouteilles (voir encadré).Traditionnellement exportatrice grâce à ses ports, la région des Pouilles s'adapte bien au marché mondial. De nombreux cadres, commerciaux ou techniques, maîtrisent plusieurs langues étrangères. ' Les produits ' made in Italy ' bénéficient d'une belle image au Japon, précise Piernicola Leone de Castris, directeur commercial de l'entreprise familiale. Cela fait vingt ans que nous sommes présents en Asie. 1,5 million de bouteilles, soit 50 % de notre production, sont exportées. 'Autre propriété familiale qui symbolise l'essor de cette région, le domaine La Taurino, à Guagnano. ' Ma famille travaille ici depuis sept générations, précise Cosimo Taurino, le propriétaire, souvent cité dans les revues internationales. Quand j'ai commencé ma carrière, les vignobles du nord de l'Italie achetaient notre vin pour le couper. J'ai réagi avec une première mise en bouteilles en 1963, pour un total de 1,5 million de bouteilles aujourd'hui. Maintenant, j'ai plus de demandes que de disponibilités. Si les étrangers se sont aperçus des changements qualitatifs de notre région, les restaurateurs locaux y sont encore imperméables. Sur cinquante restaurateurs, quarante-huit nous interrogent uniquement sur le prix et seulement deux nous parlent du produit. 'Comme de nombreux vignobles en croissance, le bon rapport qualité/prix des vins des Pouilles représente son principal atout. Certains observateurs estiment néanmoins que les cours devraient vite progresser. ' C'est peut-être vrai pour 5 à 10 % de la production, la meilleure, prédit un grossiste en vin. Mais je serais surpris si tout le reste de la production voyait, elle aussi, ses prix grimper. Les médias étrangers s'intéressent de plus en plus à notre vignoble et c'est très valorisant. Mais il ne faudrait pas oublier que seul un petit volume de vin a atteint un très bon niveau. Il reste encore beaucoup de travail à faire. Mais comme les jeunes sont motivés et formés, l'avenir semble prometteur pour notre région. 'Sur le marché du vrac, le vin de table blanc s'échange à environ 20 F/°hl, le rouge à 23 F/°hl. Depuis deux à trois ans, le prix du raisin de qualité (pour DOC) a progressé de 30 % pour atteindre une fourchette de 250 à 300 F/quintal. Quant aux bouteilles, elles sont vendues entre 13 et 30 F l'unité. Les vins cités dans les grands guides peuvent néanmoins atteindre des prix élevés, supérieurs à 80 F.Cette progression des cours s'accompagne d'une revalorisation du prix des terres. En moyenne, 1 ha de vigne non planté s'achète entre 20 et 30 millions de lires (MLIT), soit 65 000 à 100 000 F, selon la zone (DOC ou non). Quant à l'ha planté, il s'échange entre 40 et 70 MLIT (130 000 à 235 000 F/ha). Soit des prix nettement plus élevés que dans le Languedoc (62 000 F en moyenne en 1997), la région française la plus comparable aux Pouilles. Le Languedoc représente d'ailleurs plus ou moins un repère pour les vignerons des Pouilles. ' Notre restructuration n'est pas encore aussi avancée que dans le Languedoc, estime un vigneron de Foggia. La preuve, c'est que pas un étranger achète de terres chez nous ou installe une winery. Mais leur réussite nous encourage. 'Les Pouilles ont donc entamé leur révolution, avec une démarche très dynamique à l'export. ' On ne nous prend pas encore au sérieux, souligne un jeune vigneron. Mais quand notre restructuration sera achevée, notre potentiel sera très intéressant. '