Réunis en Suisse, les experts du Gesco (Groupe d'étude des systèmes de conduite de la vigne) ont souligné les inconvénients des plantations à très haute densité. Ils ont proposé de nouvelles solutions qui allègent considérablement la charge de travail.
Au contraire de nous, nos voisins ne se sont pas enfermés dans des traditions érigées en dogmes. Les décrets de leurs journaux officiels ne fixent pas de densité de plantation. Et il est peu probable qu'ils le fassent un jour. Les travaux menés par les Suisses devraient suffire à les en dissuader. François Murisier en a dressé un bilan en ouverture de la réunion du Gesco, qui s'est tenue du 26 au 28 mai, à la station de recherches de Changins qu'il dirige. Il a insisté sur l'importance du rapport entre la surface de feuillage d'une parcelle et sa production. Le lien paraît évident, encore fallait-il le quantifier. C'est chose faite : il faut 1 à 1,2 m² de feuilles exposées au soleil pour faire mûrir 1 kg de raisin.Après avoir mis ce rapport en lumière, François Murisier a montré que l'augmentation de la densité de plantation (en faisant passer la distance entre les rangs de 1,20 à 2,40 m) n'était suivie que d'une hausse du rendement. L'acidité totale et la richesse en sucres des moûts ne sont pas modifiées. Planter plus serré n'est pas un gage d'amélioration de la qualité. Mieux vaut relever le palissage ou limiter la charge.Ces observations nous poussent à réexaminer le statut de la densité de plantation. Nous la considérons habituellement comme un critère qualitatif, estimant que plus elle est élevée, meilleurs sont les raisins. Or, ' l'idéal n'est pas le maximum de densité, mais une densité moyenne avec un feuillage haut ', a ajouté Alain Carbonneau, de l'école d'agronomie (Ensa) de Montpellier. Un avis partagé par Rogiero de Castro, l'expert portugais : ' Une densité élevée n'implique pas une qualité élevée '. Une observation suisse pourrait expliquer ce fait. François Murisier l'a rapportée. Il a donné les résultats d'un essai comparant différentes hauteurs de troncs accordées à du chasselas en gobelet. Les troncs les plus courts mesurent 25 cm de haut. Ils portent les raisins les plus atteints par la pourriture. Or, c'est dans les parcelles à haute densité que les vignes sont établies si près du sol.Mais leur principal inconvénient tient à l'importance des soins qu'elles réclament. Le temps de travail à l'hectare est d'autant plus élevé que les rangs sont plus serrés. Le Gesco s'est fixé pour objectif de réduire cette source de dépenses tout en maintenant des standards de qualité élevés. En France, les recherches ont débouché sur la lyre dont le développement achoppe pour plusieurs raisons, l'une d'entre elles étant l'absence de machine à vendanger capable de la secouer. Alain Carbonneau a soutenu que cet obstacle devrait tomber sous peu.Les Italiens examinent d'autres solutions. Cesare Intrieri, professeur à l'université de Bologne, est venu présenter les siennes. Dans un premier temps, il a parlé du double rideau qu'il teste depuis vingt-cinq ans. Les ceps sont perchés à 2,70 m du sol.Lorsqu'on regarde les rangs de profil, on découvre la forme en T de leur squelette. De part et d'autre de la barre supérieure de ce T sort une couette, non pas de cheveux mais de sarments de l'année. C'est une nouvelle déclinaison du rideau qui a déjà fait l'objet de multiples essais dans le monde, tous confrontés à l'augmentation de la pourriture. Les grappes finissent en effet sous un parasol opaque de feuilles qui les maintient dans une ombre humide. Cesare Intrieri dit avoir résolu ce problème. Au lieu de laisser la végétation retomber librement, il la force, à l'aide d'écarteurs, à basculer vers l'extérieur du rang. C'est ainsi qu'il obtient les couettes et que le soleil parvient à l'intérieur des souches. Les raisins sont éclairés et aérés. Ils sont aussi sains que sur des espaliers classiques.Bien que la densité de plantation soit très basse, le potentiel de maturation est élevé car chaque rang offre le double de feuillage d'un rang palissé traditionnellement. Le potentiel d'un double rideau planté à 3 m est comparable à celui d'un espalier planté à 1,50 m. Avec ce mode de conduite exotique, la récolte et la taille peuvent être mécanisées. Il en résulte un temps de travail de 33 h/ha. Cependant, notre orateur n'a rien dit des inconvénients de son idée. Il en est pourtant un qui vient assez rapidement à l'esprit : le temps d'établissement des vignes qui, assurément, doit être long.Avec les cordons libres, Cesare Intrieri dégage encore davantage de temps pour la réflexion ou le repos. Il suffirait, selon lui, de 15 à 25 h de travail par hectare pour les entretenir. Peut-on rêver de moins? Pas vraiment. Comment est-ce possible? En supprimant le palissage. Le cordon libre ne convient qu'aux cépages à port érigé ou semi-érigé. Il repose sur l'astuce suivante : lors de l'établissement des ceps, on ne retient pas un mais deux sarments pour former le bras qui portera les coursons (cots). Ces deux sarments sont entortillés l'un autour de l'autre avant d'être placés à l'horizontale. Ainsi, ils ne basculeront ni d'un côté, ni de l'autre, bien que la végétation ne soit pas tenue. Il n'y a plus aucun travail de palissage, ni de relevage. Seuls subsistent les traitements, l'écimage, la vendange et la taille pour laquelle on peut se contenter d'une finition manuelle après un passage de prétailleuse. De quoi se désespérer, si ça marche vraiment, d'avoir de la syrah ou du merlot parce qu'il faudra toujours palisser ces cépages à port retombant ou alors les conduire en double rideau.