Les recherches sur la constitution de la vendange dévoilent de grandes diversités de teneurs en composés phénoliques chez les rouges et aromatiques chez les blancs. Elles permettent d'interpréter la variété des comportements oenologiques et de comprendre pourquoi certains rouges n'apprécient pas les longues macérations.
Attention! Vous allez droit au catalogue de recettes avec votre idée. Il n'y a pas de vinification type pour un cépage donné, tout dépend de sa maturité ou de son terroir d'origine. La plupart de nos interlocuteurs, surtout les oenologues, n'ont pas manqué de nous faire ces mises en garde. A leurs yeux, nous étions sur une fausse piste à vouloir rechercher les techniques les plus adaptées aux différents cépages. Nous sommes-nous égarés ou avons-nous dégagé des axes de travail solides? Nos lecteurs en jugeront.Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : la démarche inverse, consistant à oublier que des procédés ont donné satisfaction sur un cépage précis, conduit plus sûrement encore à ériger ces procédés en principes universels alors qu'ils ne le sont pas. Un exemple : celui des durées de cuvaison.Un temps, l'idée s'est imposée que des durées longues étaient l'un des passages obligés pour faire des grands vins. Après plusieurs années de recherches en Bourgogne, l'ITV de Beaune conclut qu'avec le pinot noir, il faut agir autrement. On avait perdu de vue que les macérations de plus de trois semaines avaient, en premier lieu, fait leurs preuves sur des cabernets sauvignons bien mûrs. Ce n'est pas pour autant qu'elles conviennent à tous les cépages.Oublier ou ignorer le contexte dans lequel des règles ont été définies, c'est aussi s'interdire la compréhension de la diversité des pratiques. Si l'élevage en barriques n'existe pratiquement pas pour les cabernets francs d'Anjou ou de Saumur, on peut y trouver une raison objective : il suffit de très peu d'air pour faire évoluer ce cépage. Le moindre excès l'assèche en peu de temps. Ce n'est donc pas que les vignerons ignorent les principes de l'élevage en fûts. D'expérience, ils se sont aperçus qu'il ne convenait pas à leurs vins. Ce fait mis au clair, on peut imaginer de le contourner. L'étanchéité à l'air des barriques est très variable. Pourquoi ne pas réserver les contenants les plus étanches au cabernet franc?Pour en revenir aux durées des macérations, il n'est évidemment pas question de fixer un nombre définitif et absolu de jours pour chaque cépage rouge. Elles dépendent de la qualité de la vendange. Elles devront être d'autant plus courtes que les rendements sont élevés et que l'état sanitaire et la maturité sont mauvais. Ce principe passe avant les exigences propres à chaque cépage mais ne les efface pas. Autant les préciser. Pour les rouges les plus cultivés ou les plus prestigieux, elles sont de mieux en mieux connues. Elles tiennent à la constitution des raisins, dont la connaissance progresse elle aussi. Les travaux récents, menés à la faculté d'oenologie de Bordeaux et à l'Inra de Montpellier, montrent toute l'importance de l'origine des tanins. Ils se trouvent en deux endroits dans les baies : soit dans les pellicules, soit dans les pépins. Les premiers sont des composés plus longs et plus lourds que les seconds. Ils sont dépourvus d'acide gallique alors que les tanins des pépins en renferment. A ces différences de constitution correspondent des différences de perception gustative et de comportement oenologique. Les tanins des pépins sont plus astringents que ceux des pellicules. Ils sont les derniers à diffuser dans le moût car il faut de l'alcool pour les extraire.On pourrait ainsi expliquer pourquoi les longues macérations ne conviennent pas au cabernet franc : parce qu'elles favorisent l'extraction des tanins de pépins alors qu'il en contient déjà beaucoup.Selon les mesures faites par l'Inra de Montpellier sur des raisins en provenance d'Anjou, ils sont deux à trois fois plus abondants que les tanins des pellicules. Ils aboutissent dans les vins lorsque le contact avec le marc se prolonge au-delà de la fermentation. Mieux vaut l'éviter. Le gamay conforte cette explication. Lui non plus ne supporte pas les cuvaisons longues. Et il présente un profil similaire : plus de tanins dans les pépins que dans les pellicules. Les teneurs en ces composés phénoliques sont toutefois plus basses que dans le cabernet franc.A l'inverse de ces deux exemples, le cabernet sauvignon et le tannat renferment l'essentiel de leurs tannins dans les pellicules et ils admettent de longues cuvaisons associées à des remontages abondants, pour peu que la vendange soit mûre et saine.Apparemment, l'explication tient. Sur la base d'un critère assez simple, le rapport tannins de pépins sur tannins de pellicules, on pourrait prévoir les réactions des cépages à la macération. Mais comme tout ce qui a trait au vivant, il existe des exceptions. Le pinot noir en est une. Selon les mesures de l'Inra de Montpellier, ses pellicules apportent un peu plus de tanins que ses pépins. Cela ne l'empêche pas de réagir défavorablement aux cuvaisons prolongées.Les travaux actuels dévoilent toute l'étendue des teneurs en polyphénols. ' Il y a autour de 3 g de tanins de pellicules par kilo de vendange de tannat, précise Michel Moutounet, de l'Inra de Montpellier. Il n'y en a que 0,35 g/kg de gamay. L'écart est donc de un à dix entre le plus riche et le plus pauvre. ' Rien à voir avec ce que l'on observe quant à la richesse en sucre ou à l'acidité. On peut admettre que de tels écarts induisent une diversité de comportements oenologiques, même si l'on ne peut pas les déduire directement d'un bulletin d'analyse.Pour certains cépages, les teneurs varient assez peu. Le cabernet sauvignon et la syrah sont de ce nombre. Pour d'autres, elles fluctuent bien davantage au gré des terroirs d'implantation. C'est le cas du merlot et celui du grenache, dont la richesse en anthocyanes varie du simple au triple selon qu'il provient des terroirs précoces ou tardifs des côtes du Rhône (voir encadré). Dans le premier cas, on peut appliquer des schémas de vinification relativement constants pour un millésime donné. Dans le second, il faut davantage s'adapter à la nature de la matière première. C'est un autre aspect du comportement des cépages. Là encore, il faut savoir s'y adapter.Venons en aux blancs. Contrairement aux apparences, ils ne sont pas très différents des rouges. La seule chose qui les distingue est celle que tout le monde perçoit : les blancs ne renferment pas d'anthocyanes. En revanche, ils contiennent des tanins. Il y en a trois fois plus dans les pellicules du chardonnay que dans celles du gamay. Voilà pourquoi l'extraction doit se limiter aux jus. On peut l'accentuer légèrement par des techniques préfermentaires. On gagnera ainsi de la puissance. Mais elle devra toujours rester très limitée pour ne pas tomber dans l'amertume. Cette règle générale n'admet que de faibles nuances limitées par le potentiel aromatique des cépages. Sur ce plan-là, les choses sont claires. Sur d'autres, elles le sont moins. Des cépages tirent-ils profit de la présence de leurs bourbes fines ou d'un soupçon d'oxydation? On entre là dans le détail de la conduite des fermentations car en tout état de cause, les quantités de bourbes ou d'oxygène en jeu sont minimes. Peut-être est-ce pour cette raison que les points de vue sont tellement opposés.Bien des travaux sont encore nécessaires pour éclaircir ces questions. Ils pourront porter sur la constitution des cépages et des vins qui en sont issus. De telles démarches ont déjà porté leurs fruits. Elles ont montré que l'arôme propre au sauvignon tient à la présence de molécules très sensibles à l'oxydation. Il faut donc s'en préserver dès lors que l'on veut obtenir des vins immédiatement identifiables comme étant de sauvignon. Il en va autrement du chardonnay. Les molécules identifiées à ce jour pour être responsables de l'arôme de ses vins sont moins réactives. La protection contre l'oxydation est donc moins impérative. Ces données fermement établies pour deux cépages méritent d'être approfondies pour les autres, même s'ils sont moins cultivés.