Dès avant l'an mille et jusqu'au début du XIXe siècle, le vignoble de Laon, le plus septentrional de l'Ile-de-France, est aussi le vignoble qui a la plus grande renommée dans les pays du Nord.
Aujourd'hui encore, vue de la plaine picarde qui la cerne au nord, la vieille ville de Laon (Aisne), dressée sur sa butte de calcaire grossier à 181 m d'altitude, a fière allure. Ses pentes, ravinées par l'érosion, ont offert un site de choix à un vignoble de qualité. Elles sont creusées de creutes, cavités d'extraction de la pierre à construire qui, pendant des siècles, ont servi de caves bien fraîches. Une multitude de vignobles, serrés les uns contre les autres (on en compte 8 en 7 km), en bordure du massif de Montbavin, s'étendent jusqu'à la rive droite de l'Aisne. Mais la ville elle-même est à 25 km du fleuve et au Moyen Âge, elle ne dispose pas de bonnes voies pour gagner Paris. En revanche, les routes sont faciles dans la direction du nord, ce qui explique, avec la qualité, que le vignoble ait pourvu pendant longtemps les villes de Lille et de Douai. En 1720 encore, les comptes des commis à la cave de Cambrai font ressortir que les trois quarts des achats se font dans le Laonnais. Jusque vers 1830, les lourds chariots prennent la direction des Flandres, après les vendanges.On sait que l'abbaye Saint-Vincent, fondée au VIe siècle, avait l'essentiel de ses vignes à Laon au IXe siècle. Avant l'an mille, les pentes tournées vers le sud sont garnies de vignes. En 988, quand Hugues Capet, le nouveau roi de France, assiège Charles de Lorraine réfugié dans la ville fortifiée, il cache ses troupes dans les vignes et, après que les soldats aient vidé les caves alentour, il peut s'avancer et pénétrer dans la ville dont les portes lui sont ouvertes par un traître, Ascelin.Dans la charte de commune attribuée en 1128, il faut, pour être bourgeois, posséder une maison ou une vigne; ne pas entretenir sa vigne est une cause de bannissement. L'année suivante, les villages de Bruyères et de Vorges ont chacun leur commune; on accorde même une commune rurale, la première de France, aux trois paroisses vigneronnes de Condé-sur-Aisne, Pargny et Filain qui s'administrent conjointement.La qualité des sols et l'exposition fait la qualité des vins, des blancs surtout au Moyen Âge. D'ailleurs, beaucoup de vignes sont aux mains d'abbayes flamandes ou brabançonnes qui s'assurent ainsi leur provision. De même, les moines des abbayes locales sont réputés pour savoir produire les meilleurs vins. En 1759 encore, l'agronome Nicolas Bidet dit que de tous les vignobles du pays laonnais, ce sont les religieux de Cuissy-Geny ' qui travaillent le mieux le vin '. Pendant un siècle, de 1334 à 1420, on voit les agents du comte de Flandre tirer des quantités importantes de vins d'une vingtaine de villages situés entre Laon et l'Aisne. De novembre 1334 à février 1335, en trois mois, car on achète toujours après la vendange, c'est le vignoble de Bourguignon-sous-Montbavin qui fournit plus de 750 hl de vin. En 1374-1375, ce sont deux villages situés près du chemin des Dames, Braye-en-Laonnois et Oulches, qui fournissent chacun des quantités équivalentes. Au total, les comtes de Flandre achètent en Laonnais la moitié des 2 500 hl qu'ils consomment annuellement.Le vin n'est pas seulement vendu, il est aussi offert aux grands: le roi Charles IX en reçoit en 1560; Louis XV, en 1722, pour son sacre à Reims. Pour la visite effectuée par ce même roi en 1744, des fontaines de vin coulent, pour le bonheur du peuple, les 27 et 28 juillet. La qualité se lit aussi dans le prix des vignes : vers 1300, le prix des clos est de six à dix fois plus élevé que celui des terres labourables. Déjà, au XIIe siècle, la vigne est une monoculture rentable. Un village comme Roucy, juste au sud de l'Aisne, produit en moyenne 2 000 hl de vin et l'ensemble du Laonnais, 80 000 hl; à 10 hl en moyenne par hectare, c'est donc 8 000 ha de vignes environ qu'il faut compter pour ce petit pays.Cette prospérité, déjà atteinte à la fin du XVIe siècle, disparaît rapidement avant les années 1850 quand les consommateurs réclament des vins plus colorés. A la vigne succèdent les jardins et les arbres fruitiers et, bientôt, les buissons et les ronces. Restent les lieux-dits, les caves et de magnifiques vendangeoirs.