Depuis les blancs délicats, qui le redoutent, jusqu'aux rouges corsés, qui en ont besoin pour évoluer, les cépages entretiennent des rapports très divers avec l'oxygène.
Pour le sauvignon, les choses sont claires. ' Il ne souffre aucun contact avec l'air, constate Phillipe Tolleret, le directeur industriel de Skalli, à Sète (Hérault). Depuis le vignoble jusqu'au début de la fermentation, nous prenons toutes les précautions possibles. Le vin, quant à lui, est un peu moins exposé. Avec le chardonnay, il n'est pas nécessaire de prendre les mêmes mesures. 'D'autres cépages paraissent avoir des réactions tout aussi vives. Une étude faite sous l'égide de l'Institut rhodanien a montré que le viognier, la roussanne et la marsanne perdent leurs arômes à la suite d'une exposition incontrôlée des jus à l'air. A Limoux et à Gaillac, c'est le mauzac qui souffre d'une fragilité similaire : il se charge rapidement de notes de pomme blette qui empâtent la bouche. Aux Sieurs d'Arques, on estime qu'il est si délicat qu'il ne supporte pas le fût, source d'oxydation ménagée. ' Nous ne sommes pas arrivés à maîtriser le mauzac en barriques, confie Laurent Mingaud, oenologue au sein de cette cave coopérative de Limoux. Peut-être y parviendrons-nous un jour. En revanche, la conservation sur lies en cuves apporte un bonus. ' François Davaux, de l'ITV de Gaillac, partage ce second constat. Il précise que ' la remise en suspension des lies atténue le côté oxydatif du mauzac '. Cela s'explique aisément. Elles sont réductrices. Elles sont les premières à s'emparer de l'oxygène qui entre dans le vin, protégeant ainsi ses autres constituants. C'est la raison pour laquelle on peut aérer les moûts en fermentation sans courir le moindre risque.A l'opposé de ces cépages, le chardonnay paraît d'une robustesse à toute épreuve. Le chenin et le gewurztraminer supportent eux aussi un léger contact avec l'air. Lorsqu'ils sont suffisamment étoffés, ces cépages y gagnent en rondeur et en éclat : ils s'expriment plus franchement. Cependant, il est difficile de préciser les conditions dans lesquelles ces apports sont bénéfiques car ils n'ont jamais fait l'objet d'expérimentations rigoureuses. Dans ce domaine, l'empirisme et l'expérience priment et incitent à la prudence car les doses qu'encaissent les blancs sont toujours très faibles.Au sein des rouges, la situation est différente. Certes, ils craignent l'excès d'oxygène mais ils ne sauraient en être privés. Ils en ont besoin pour évoluer, pour que leur couleur se stabilise, que leurs tanins se fondent et que leurs arômes s'affirment. Il faut les aérer dès la fin de la fermentation alcoolique puis au cours de l'élevage. L'intensité et la fréquence des aérations dépendent des cépages. ' On peut distinguer plusieurs comportements, détaille Nicolas Vivas, de la faculté d'oenologie de Bordeaux. Le cabernet sauvignon a besoin de beaucoup d'oxygène. A chaque aération, il évolue lentement. Le merlot, provenant de terroirs qui favorisent la concentration, et le tannat ont un comportement équivalent. Le cabernet franc évolue vite avec très peu d'oxygène. Le merlot dilué se comporte de la même manière. Quant au pinot noir, il a besoin de très petites doses réparties sur une longue période. ' Ces constats concordent avec les pratiques des vignerons. Dans le Val-de-Loire, le cabernet franc est élevé en cuves. Rares sont ceux qui le passent en fûts; ces contenants doivent être trop perméables à l'air pour lui. Sa fragilité se révèle lorsqu'il est soumis à une autre technique : la micro-oxygénation. En juin 1997, lors du forum des vins rouges d'Anjou-Saumur, Clément Baraut faisait part de conclusions peu enthousiastes. ' Le cabernet franc n'est que faiblement valorisé par des apports modérés d'oxygène pendant une durée de six à neuf mois, affirmait l'oenologue du Groupement départemental de développement viticole (GDDV). Les risques d'usure aromatique et d'assèchement de la structure tannique pour les vins de cabernet franc sont importants en cas d'élevage mal conduit, par quelle que méthode que ce soit. 'En Bourgogne, l'élevage du pinot noir en barriques est long et il comprend peu, voire pas de soutirages, ce qui serait inconcevable pour un cabernet sauvignon. Ces façons de faire correspondent à de faibles apports d'oxygène répartis sur une longue période.Nicolas Vivas explique la diversité des exigences par la constitution des cépages. Il souligne que le cabernet franc renferme surtout des tanins de pépins qui sont plus courts et plus réactifs que ceux des peaux. On peut admettre qu'il suffit d'une faible quantité d'oxygène pour les amener à se condenser en peu de temps. Lorsque ces réactions ont eu lieu, les composés phénoliques ne sont plus en mesure de protéger les autres constituants du vin. A l'inverse, les tanins du cabernet sauvignon proviennent essentiellement de ses pellicules. Ils sont plus lourds et donc moins réactifs que ceux des pépins. Il leur faut plus de temps pour se stabiliser. Ils sont également plus abondants que ceux de son géniteur (le cabernet sauvignon est issu d'un croisement entre le cabernet franc et le sauvignon). De là vient qu'il lui faut plus d'oxygène.Ces différences se manifestent d'autant plus que les vins proviennent de vendanges bien mûres et de macérations qui ont abouti à une extraction poussée du potentiel des raisins. Elles s'estompent, voire disparaissent lorsqu'on a affaire à des vins de structure légère, issus de courte macération. Comme ils renferment peu de polyphénols, ces substances cessent de leur imprimer leur comportement. D'autres, comme les arômes, prennent alors le relais.