Certains vignerons font le choix de ralentir la fermentation alcoolique de leurs vins blancs pour leur donner plus de gras et d'ampleur. Une technique à manipuler avec précautions car le risque d'arrêt de fermentation et d'apparition d'acidité volatile existe.
Dans toutes choses, il existe une part de risques, prévient d'emblée un vigneron. Attendre pour vendanger à parfaite maturité alors qu'on n'a jamais aucune garantie sur le temps à venir, cela peut être risqué. Vinifier en fûts plutôt qu'en cuves aussi. Choisir de ralentir les fermentations, encore un autre risque. Le tout est de bien mesurer ce qu'on peut y gagner et y perdre. 'Et ici les opinions divergent. Tous les vignerons que nous avons interrogés considèrent que si tout se passe bien, cette technique améliore nettement la qualité du produit final et que cela justifie la prise de risques. Des oenologues interrogés se montrent beaucoup plus réservés. ' Il n'y a pas de justification scientifique aux fermentations lentes, expliquent-ils. Le gras se trouve dans la constitution du raisin et dans l'élevage sur lies, cela n'a rien à voir avec la durée de la fermentation. Avec la fermentation lente, on prend le risque qu'elle s'arrête complètement alors qu'il reste des sucres et que l'acidité volatile monte alors qu'il n'a jamais été prouvé que cela amenait réellement quelque chose de plus au vin. ' Pourtant, dans toutes les régions, il se trouve des partisans des fermentations lentes. Pour eux, la meilleure preuve de leur intérêt se trouve à la dégustation et dans la reconnaissance de leurs clients.La première difficulté est de maîtriser la vitesse de fermentation pour qu'elle dure, selon les cas, de trois semaines à plusieurs mois. Pour freiner l'activité des levures, on peut jouer sur les températures et le débourbage mais aussi sur la souche de levures ou le non-levurage. Chez Ladoucette, à Pouilly-sur-Loire (Nièvre), les moûts sont ensemencés avec une faible quantité de levures. Le débourbage est sévère puisqu'on obtient une turbidité de 100 NTU. En revanche, les températures ne sont pas très basses (environ 18°C) pour éviter la formation d'arômes de type amylique. De cette manière, les fermentations durent environ trois semaines alors que d'ordinaire, elles se déroulent plutôt en une dizaine de jours.Olivier Mandeville, vigneron dans l'Aude, recherche une durée de fermentation du même ordre. ' J'utilise une souche de levure pas très dynamique, fermentant régulièrement et qui respecte les arômes variétaux, la zymaflor VL1. Les moûts sont sulfités et débourbés assez sévèrement pour créer un milieu hostile. La température de fermentation me permet ensuite de contrôler la vitesse de fermentation. Je cherche à obtenir une chute de densité de l'ordre de 10 points par jour puis de 1 à 2 points vers la fin. Il arrive que le vin mette quatre à cinq semaines pour finir les sucres. Ce sont souvent les meilleures cuves mais je ne pousse pas dans ce sens car le risque d'arrêt de fermentation devient trop important. 'La durée de fermentation doit aussi s'adapter aux caractéristiques de chaque millésime. ' Sur un millésime comme 1996, qui est assez acide, il fallait travailler le gras; la fermentation alcoolique s'est terminée vers Noël, explique Dominique Lafon, vigneron à Meursault (Côte-d'Or). En 1997, il y avait moins d'acidité et un potentiel de gras plus important; les vins étaient secs fin novembre. Les moûts ne sont pas levurés, le niveau de débourbage permet d'obtenir des turbidités de 200 à 400 NTU et la température de départ se situe aux alentours de 12°C. Je joue aussi sur la hauteur de remplissage des fûts en ne laissant que 15 l de vide (au lieu des 30 l habituels). D'après mes observations, il semble que cela ralentisse la fermentation. Si je souhaite qu'elle se prolonge, les fûts sont remplis complètement avant la fin de fermentation. En 1996, nous avons rempli à une densité de 1 000 alors qu'en 1997, nous avons attendu 992. Mais cela ne marche pas toujours! Nous suivons bien sûr les sucres, la volatile et les malo de très près et si la fermentation ralentit trop, les vins sont levurés. 'Olivier Humbrecht, vigneron à Turckheim (Haut-Rhin), ne se soucie pas de voir la fermentation alcoolique s'étaler sur presque dix mois, comme ce fut le cas pour le millésime 1996. ' Parfois, la fermentation ralentit, s'arrête puis repart quand la température et la pression le permettent. En 1997, en revanche, elle s'est déroulée très rapidement, en deux mois et demi. ' Contrairement aux opinions émises plus haut par certains oenologues, ce vigneron estime qu'entre un vin qui fermente six mois et un vin qui fermente quinze jours et reste ensuite sur lies fines, le premier est le meilleur car les lies sont vivantes. ' L'autre intérêt de ces fermentations lentes est d'obtenir une bonne stabilité protéique des vins sans avoir à utiliser de bentonite car ce traitement provoque une perte de qualité gustative, surtout sur les cépages aromatiques. 'Pour les vins liquoreux, la problématique est différente puisqu'on ne souhaite pas consommer tous les sucres. L'Inra de Colmar a ainsi sélectionné, il y a déjà quelques années, une souche de levure (D24) destinée à la vinification des vendanges tardives. Elle fermente doucement et s'arrête vers 12 % vol. En Anjou-Saumur, les moûts destinés à l'élaboration de vins blancs liquoreux sont rarement ensemencés. ' Lorsque le raisin atteint des degrés potentiels de 24-25 % vol., la fermentation se déroule naturellement lentement et on a parfois du mal à atteindre les 12% vol. C'est une question de patience puisque la fermentation peut s'étendre sur huit mois avec comme principale inquiétude, l'acidité volatile ', constate Michel Robineau, vigneron à Saint-Lambert-du-Lattay (Maine-et-Loire).