Quelques vignerons ont planté des pieds obtenus par la greffe en vert, une méthode qui offre une garantie sanitaire sans égale et qui permet de multiplier rapidement les nouvelles sélections. Voici leurs observations.
Tous les pépiniéristes assemblent des bois aoûtés. Tous, sauf un : la SCEA Le Sanglas, installée à Lamotte-du-Rhône (Vaucluse). Elle assemble des pousses vertes de greffons et de porte-greffes. D'autres s'y étaient aventurés mais ont abandonné, notamment en raison des coûts de production. Le procédé, dénommé greffe bouture herbacée, fait l'objet d'un brevet déposé conjointement par l'Inra et Mumm en 1989.Rien à voir avec le greffage traditionnel. Là, l'essentiel se déroule sous serre. Les greffons et les porte-greffes y poussent toute l'année. Ils sont prélevés toutes les six semaines. A ce rythme, le bois n'a pas le temps d'aoûter, ni de grossir. Au moment des greffages, il est vert. Son diamètre n'excède pas 2 à 3 mm. La soudure a lieu dans une chambre climatique, un espace fermé où la température, l'éclairage et l'humidité sont contrôlés. Dès que la greffe a pris, le plant retourne en serre avant de sortir au grand air. Lorsqu'il arrive au vignoble, il n'a guère grossi. Sa taille de guêpe le distingue nettement des greffés-soudés traditionnels.' J'ai eu les plants par botte de 25, témoigne Damien Hugot, d'Avize (Marne). Cela fait une poignée d'allumettes. ' De quoi avoir peur. Ces vignes ne seraient-elles pas rachitiques ou mal nées? Pas du tout. Les brindilles se transforment rapidement en plants de taille normale. Dès la deuxième feuille, elles ne se distinguent plus des autres. ' C'est surprenant la vigueur qu'elles ont au démarrage ', ajoute notre interlocuteur. Cette vigueur leur permet de rattraper leur retard.Au départ, on avait supposé que la mise à fruit en serait plus rapide et la production supérieure. Mumm l'avait laissé entendre. La maison champenoise est revenue sur ce point. ' Depuis trois ans, nous suivons deux parcelles que nous récoltons séparément, explique Olivier Brun, le responsable de ce dossier. Sur ces années d'observation, il n'y a pas de différence significative. ' Damien Hugot, qui a 15 ares en quatrième feuille, le confirme : ' La récolte est équivalente; il n'y a pas de supériorité de ce point de vue. ' En revanche, il estime que la reprise est meilleure que celle des plants traditionnels. ' Les vignes poussent bien avec une bonne régularité. 'Luc Gaidoz fait un constat similaire. Ce récoltant-manipulant de Ludes (Marne) a planté des greffes boutures herbacées à trois reprises : en 1995, l'an dernier et cette année. L'une des livraisons était en pots. Les autres étaient aoûtées et racines nues. La première s'est soldée par un échec que Luc Gaidoz attribue au fait qu'il n'a pas eu le temps d'arroser ces plants, en pleine croissance au moment de leur mise en terre. Les autres ont donné lieu à des plantations réussies. ' Elles semblent plus jolies que les greffes traditionnelles. Le reprise parait plus importante. La pousse est meilleure au départ. On a l'impression que la végétation s'installe plus rapidement. 'Olivier Brun explique ces différences par la qualité de la soudure entre le greffon et le porte-greffe. On la remarque à l'absence de bourrelet, même sur les ceps adultes.' Lorsqu'on coupe les plants traditionnels au point de greffe, on voit que le cal ne recouvre qu'une partie de la surface, remarque notre interlocuteur. Le reste est nécrosé. ' Selon lui, ces imperfections entraînent une irrégularité dans la vigueur des souches que le nouveau mode de greffage supprime, donnant ainsi des parcelles plus régulières, donc mieux jugées. La longévité et la résistance au gel d'hiver de ces parcelles devraient s'en trouver améliorées. Mais aucune d'entre elles n'est encore suffisamment âgée pour en apporter la preuve.La meilleure reprise à la plantation n'est pas systématique. Christophe Bouchard ne l'a pas observée. Il détient une parcelle d'un demi-hectare en deuxième feuille. Elle lui a donné plus de travail que les autres. ' C'est plus dur à conduire en première année. Le gros problème, c'est qu'il faut bien tuteurer ', regrette le responsable du vignoble de la maison Bouchard père et fils, à Beaune (Côte-d'or). Cela tient à la finesse des plants qui impose d'autres précautions.' Il faut être attentif si l'on doit nettoyer au pied avec un raclet (sarcloir) ', prévient Philippe Charrière, de l'école d'agriculture de Marcelin (Suisse) où se trouve une petite parcelle expérimentale. Elle est en troisième feuille. Il n'avait pas pu s'occuper des greffes herbacées dès leur livraison. Leur mise en terre n'eut lieu qu'ultérieurement, à un moment où des bourgeons avaient commencé à gonfler. La reprise fut décevante. ' Les plants traditionnels, s'ils bourgeonnent un peu, ce n'est pas un souci. Là, les yeux doivent être au repos complet, compare Philippe Charrière. Si on ne peut pas s'en occuper tout de suite, il faut les garder bien au frais. 'La délicatesse des plantations nouvelles est le principal inconvénient des greffes boutures herbacées. Pour beaucoup, il est rédhibitoire. Pour d'autres, il doit être comparé aux avantages de la méthode que sont la rapidité, la garantie sanitaire et l'excellente tenue du point de greffe.La rapidité, Roger Burgdorfer la situe à l'aide de deux chiffres. ' Avec une bouture verte, en un an, on fait 4 000 greffes. Avec une bouture aoûtée, on n'en fait que 10 ', annonce-t-il. Ce pépiniériste suisse, associé de la société Le Sanglas, vend les greffes herbacées dans son pays. Gilbert Bouvet, un savoyard, les vend en France. Tous deux disent être en mesure de diffuser une nouvelle sélection bien plus vite que par la voie traditionnelle. Par ailleurs, ils mettent en avant une garantie sanitaire très élevée. Les pieds poussent sous serre, sur de la laine de roche. Ils ne peuvent donc pas être contaminés par des viroses.Dernier élément de décision : le prix. Jusqu'à présent, il est le même que celui des plants traditionnels. Les pépiniéristes, dont la priorité était de faire connaître leur produit, n'ont pas voulu le grever. Or, les greffes boutures herbacées coûtent cher. Leur prix de revient se situe entre 7 et 7,50 F/plant, selon Roger Burgdorfer. Si l'égalité des tarifs ne peut être maintenue, les nouveaux venus perdront une part de leur attrait.