Retour

imprimer l'article Imprimer

archiveXML - 1998

La stabilité tartrique

La vigne - n°92 - octobre 1998 - page 0

Les facteurs qui régissent l'équilibre d'un vin vis-à-vis des précipitations tartriques sont de mieux en mieux compris. Il en résulte des méthodes de tests de plus en plus performantes.

Evaluer la stabilité tartrique d'un vin n'est pas une affaire anodine. La précipitation en bouteilles peut être mal perçue par le consommateur non averti. Mais autant se passer de coûteux traitements de stabilisation s'ils ne sont pas nécessaires. Les précipitations sont en majorité dues au sel d'acide tartrique et d'ions potassium. A l'exception des vins de Champagne ou du Val-de-Loire pour lesquels les précipitations de tartrate de calcium posent un problème supplémentaire. Et dans le cas particulier des vins liquoreux, issus de pourriture noble, c'est l'acide mucique, produit par le botrytis, qui précipite avec le calcium. Dans le milieu vin, l'acide tartrique est sous trois formes : TH2, majoritaire aux pH bas, TH-, qui atteint un maximum à pH = 3,62 dans un vin à 12°, et TH2- qui devient majoritaire quand le pH dépasse 5. La forme TH- est responsable des précipitations tartriques, avec le potassium K+. La forme TH2- est responsable des précipitations calciques avec l'ion calcium, Ca2 +. Plus la forme TH- est abondante, plus on risque des précipitations. Ainsi, pour un vin à 12° dont le pH est inférieur à 3,62, la désacidification due à la fermentation malolactique le rapproche-t-il du pH d'instabilité maximale. Toutefois, la présence de TH- et de K+ dans le milieu ne provoque des précipitations que si l'on dépasse la limite de solubilité, ce qui arrive dans presque tous les vins jeunes. Cette limite dépend du taux d'alcool dans le milieu, car l'alcool diminue la solubilité du bitartrate de potassium. D'où la précipitation accrue au cours de la fermentation alcoolique, lorsque le taux d'alcool augmente. Ceci est à prendre en compte pour le processus de champagnisation : lors de la seconde fermentation en bouteilles, l'élévation du degré d'alcool peut provoquer une précipitation. La baisse de température est également une cause très importante de la baisse de solubilité des sels de bitartrate de potassium. Les vins sont toujours plus stables lorsqu'ils ont passé l'hiver en cuves et que le froid a précipité une partie du bitartrate excédentaire. De nombreux procédés de traitement sont basés sur ce principe. Dans le vin, le phénomène d'apparition de cristaux visibles à partir d'un état métastable, c'est-à-dire lorsque la limite de solubilité est dépassée, est un phénomène complexe. En effet, la plupart des vins sont sursaturés en bitartrate de potassium, sans que la précipitation ait lieu immédiatement. Cette incertitude dépend en particulier de leur composition colloïdale. La formation du précipité se fait en deux phases. D'abord, la nucléation, ou formation de germes cristallins dans le milieu. Elle peut être induite au contact d'une paroi entartrée, d'une aspérité dans la bouteille... Mais elle peut également se produire dans le milieu, de façon aléatoire. Une fois ces germes présents dans le milieu, c'est la boule de neige : les molécules de TH- et de K+ en sursaturation s'ordonnent autour d'eux en réseau pour former des cristaux de plus en plus gros. Le grossissement des cristaux peut être stoppé ou ralenti par l'adsorption à leur surface de molécules qui perturbent la construction de l'édifice cristallin : les cristaux restent invisibles. C'est la manière dont agit l'acide métatartrique. Les colloïdes du vin (mannoprotéines, tanins, polysaccharides) ont également des effets inhibiteurs de cristallisation. C'est pourquoi les vins rouges sont plus stables que les blancs. Autre preuve : si on compare, comme l'ont fait les équipes de l'Inra de Pech rouge (Aude) et de Montpellier, l'efficacité d'un traitement au froid avec ensemencement entre un vin ultrafiltré, donc dépouillé d'une bonne partie de ses colloïdes, et un vin filtré sur kieselguhr, resté plus riche en colloïdes, elle est nettement supérieure sur le premier. Sur le deuxième, les colloïdes ont joué leur rôle protecteur.Les outils de prévision évoluent, avec une meilleure compréhension des facteurs de la stabilité tartrique en milieu vin. La méthode la plus simple est celle qui consiste à stocker le vin au froid pendant quelque temps. Si des précipitations se forment, le vin est instable. Cependant, dans le cas contraire, rien ne présage de sa stabilité future. Ces tests simples sont malgré tout effectués dans bien des laboratoires, mais sans consensus sur le couple temps et température à appliquer. Comment comparer une tenue à 0°C pendant dix jours à une tenue à - 4°C pendant trois jours? D'autres tests, comme le Stabisat (ITV), visent à déterminer la température de saturation du vin, température la plus basse à partir de laquelle on peut solubiliser du bitartrate de potassium dans le vin (voir infographie). A partir de la température de saturation, on estime celle de cristallisation. Cette estimation est assez peu précise et l'intervalle entre les deux températures varie de 15°C pour un vin blanc à 30°C pour un vin rouge. Une deuxième version de ce test, plus précise, confronte température de saturation et indice de polyphénols totaux, qui représentent une partie des substances inhibitrices de cristallisation. Les tests dits ' de mini-contact ' sont fondés sur un ensemencement en crème de tartre, qui induit la précipitation. Le vin est placé au froid, puis ensemencé. Dès lors, on suit la conductivité du milieu, qui chute en raison de la précipitation des ions K+ et TH-. Plus le vin est sursaturé, plus cette chute est rapide et importante. L'Inra de Pech Rouge et celui de Montpellier ont travaillé sur un test permettant de déterminer l'intensité du traitement par électrodialyse à appliquer au vin afin de le stabiliser. A la mesure de la chute de conductivité est couplé un modèle élaboré à partir de tests de longue durée, permettant de prévoir le comportement du vin à l'infini. La chambre d'agriculture de Bordeaux a développé un test fondé sur des mesures analytiques, grâce à un logiciel : Mextar. Il permet de diagnostiquer les risques de précipitation, c'est-à-dire la quantité de tartre précipitable à une température donnée. Cette quantité est calculée par le logiciel d'après les analyses usuelles : degré, acidité totale, pH, acide tartrique, potassium, acidité volatile, SO2, plus, éventuellement, le calcium, les acides malique et lactique. Quelle que soit la méthode choisie pour évaluer la stabilité tartrique, il faudra la pratiquer sur le vin tel qu'il sera présenté au traitement de stabilisation. En effet, filtration et collage agissent sur l'équilibre colloïdal du vin et modifient donc les conditions de l'équilibre et les résultats du test. Quant à l'intensité du traitement pratiqué à l'issue du test, elle dépendra des risques encourus par le vin : destination future, durée de garde, conditions de stockage...

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :