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Arracher des blancs et planter des rouges

La vigne - n°93 - novembre 1998 - page 0

Depuis le début de la décennie, Michel Dulon a arraché 6 ha de cépages blancs pour planter des rouges. Même si la crise est passée par là, il ne souhaite pas pour autant abandonner cette couleur, question ' d'équilibre paysan '.

En 1991, le gel frappe tout l'ouest du pays. La récolte est faible, les prix flambent, des marchés se perdent, d'autres vins s'y installent, c'est la crise. En Gironde, les blancs sont particulièrement touchés; des années pour s'en remettre... et pour certains, ce n'est pas encore le cas. Tout cela conjugué à une embellie ultérieure sur les rouges et voilà que la question de l'équilibre de l'encépagement se pose dans nombre de propriétés. Des centaines d'hectares de blanc ont ainsi été reconvertis en rouge (en Gironde, comme dans le Bergeracois voisin), le plus souvent par petites touches.Michel Dulon, la quarantaine, a été plus loin. Il exploite aujourd'hui 110 ha (la moitié en fermage) à Soulignac, au sud-est de la Gironde, dans la région de l'Entre-deux-Mer. La superficie était de 75 ha au début de la décennie, environ moitié blanc moitié rouge. La propriété emploie douze personnes à ce jour. ' Avec la crise de 1991, nous avons commencé à moins bien gagner notre vie avec les blancs, les revenus étaient moindres alors que les coûts de production sont identiques à ceux du rouge. Mon objectif fut alors de réduire la proportion de blanc dans mon exploitation mais sans le supprimer. 'Pour cela, il a acquis peu à peu 35 ha et arracher progressivement 6 ha de blanc qu'il a replantés en merlot et en cabernet sauvignon. ' Les acquisitions se sont faites en cépages rouges. Pour moi, la question ne se posait même pas. Concernant les arrachages, nous avons profité de ces contraintes économiques pour revoir la densité des parcelles concernées, où la vigne était plantée à 2 m. L'objectif est aussi de mécaniser au maximum. ' Le surgreffage? ' Je me suis posé la question sur de vieux ugnis blancs. Renseignements pris, la technique avait donné de belles réussites mais aussi de moins bonnes. Le procédé n'étant pas totalement sûr, je me suis abstenu. '' Il est évident que l'on ne peut pas tout arracher du jour au lendemain. Le coût est énorme, sans compter la perte de récolte. Et puis, on plante de la vigne pour au moins trente ans, il est difficile de prévoir le marché : aujourd'hui, c'est l'envolée sur les rouges mais demain? Mon père m'a toujours enseigné qu'il fallait garder les deux couleurs dans notre région. Il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. '.' L'important est de garder sur la propriété un équilibre entre les deux couleurs. Je connais des exploitations où le blanc prédomine largement : c'est dur pour eux. ' Une stratégie offensive sur le blanc n'est pas pour autant abandonnée par notre exploitant : ' Je suis à 80 % en sémillon. Je réfléchis à planter un peu plus de sauvignon, cépage difficile mais indispensable pour de bons vins d'assemblage. Quand à la muscadelle, j'en est peu : malgré son apport en finesse aromatique, elle est trop fragile. Il est risqué d'en planter. ' Michel Delon tente même des essais de fermentation de blancs en barrique : ' Il faut créer la demande, c'est peut-être un créneau pour demain '.' Cette crise fut un électrochoc pour notre région. J'avais moi-même planté des blancs en 1989-1990. Il était hors de question de les arracher! Dans ces circonstances, il faut se remémorer le passé. L'agriculture n'est finalement qu'une succession de cycles. Dans notre secteur, il y a quarante ans, le blanc était dominant, le reliquat de rouge alimentait la simple consommation personnelle du vigneron. Et dans les années soixante-dix, ce fut un premier boom pour les rouges. Aujourd'hui, il revient. ' Comme il s'avère que la crise des blancs est également due à des insuffisances qualitatives, les syndicats d'appellation concernés encouragent l'arrachage des cépages secondaires (ugni blanc, colombard...).Conséquence inattendue de cette crise des blancs, Michel Dulon a revu sa stratégie commerciale. ' Traditionnellement, nous écoulions toute la production en vrac au négoce de la place. Avec la mévente des blancs, j'ai senti que l'exploitation se fragilisait. Nous avons donc mener une réflexion sur la valorisation possible en bouteilles. Il faut dire que le négoce était parfois prêt à nous acheter notre blanc... à condition de livrer du rouge, auquel il appliquait une décote! ' Du coup, la propriété a acheté une chaîne d'embouteillage. Aujourd'hui, 600 000 bouteilles sont vendues ainsi. Une commerciale a été embauchée il y a trois ans. Une plus grande partie de la valeur ajoutée reste à la production, ce qui permet souvent d'amortir la casse en cas de rechute des cours.Au niveau des appellations, on trouve ici du bordeaux et du bordeaux supérieur rouge, du bordeaux blanc et de l'entre-deux-mers (qui n'existe qu'en blanc). ' Sur le blanc, je fais moitié bordeaux, moitié entre-deux-mers, en fonction des besoins commerciaux. Le nom ' bordeaux ' est plus porteur à l'exportation. Sur les hectares arrachés, j'avais les deux appellations. Aujourd'hui, les cours des blancs remontent mais le rouge reste largement au dessus. J'envisage encore d'arracher 3 à 4 ha ', ajoute-t-il.

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