En se modernisant, la viticulture chypriote se prépare à intégrer l'Union européenne. Cette adaptation se traduit par l'arrivée de petits producteurs alors que la filière est dominée par quatre grandes entreprises.
Réputée pour ses vins durant l'Antiquité, comme en témoignent les écrits d'Homère ou de Pindare, l'île de Chypre (en pleine Méditerranée, au sud de la Turquie, à l'ouest de la Syrie et du Liban) conserve une forte tradition viticole. En 1997, le pays comptait environ 18 000 ha de vignes (il ne s'agit ici que du raisin de cuve et la zone de l'île occupée par la Turquie n'est pas comprise) qui ont donné 93 000 tonnes de raisin, soit 1,6 million d'hectolitres de vins, de sherry et de brandy. Le vignoble est morcelé entre 23 000 petits propriétaires mais la vinification est assurée pour plus de 95% par quatre grosses sociétés : une coopérative (Sodap) qui regroupe une dizaine de milliers de viticulteurs, et trois entreprises privées (Keo, Etko et Leol).Annuellement, la production peut beaucoup varier car si les précipitations avoisinent les 500 mm/an, des déficits pluviométriques de 30 à 40 % ne sont pas rares. En raison des fortes chaleurs estivales, la vigne est cultivée à flanc de montagnes. ' Entre 650 et 900 m, toutes les conditions sont réunies pour produire de grands vins ', affirme Nearchos Roumbas, responsable au ministère de l'Agriculture. C'est grâce à lui que la filière vitivinicole chypriote est en pleine évolution.Ayant étudié la viticulture et l'oenologie à Bordeaux, en Italie et en Espagne, il a initié depuis le début des années quatre-vingt une série de mesures pour redonner au vin chypriote son lustre d'antan et préparer son entrée dans l'Union européenne. Avec deux objectifs : améliorer la qualité et relancer l'installation des jeunes car seuls 10 % des viticulteurs ont moins de 40 ans et 10 % ont plus de 68 ans. ' Les jeunes préfèrent travailler dans le tourisme ', ajoute notre interlocuteur.Si la filière est toujours l'un des principaux postes exportateurs du pays, les débouchés sont peu rémunérateurs (vins en vrac, à sangria, aromatisé...). Quant aux vins en bouteilles, handicapés par la cherté de la livre chypriote (1 livre chypriote = 12 F), ils se retrouvent en compétition féroce au niveau international et leurs ventes se limitent à 12 000 hl (sur un total des exportations de 500 000 hl).Le marché local absorbe environ 80 000 hl/an : à la consommation des 700 000 habitants s'ajoute celle de 2 millions de touristes. Ce qui fait dire au directeur technique de Loel : ' Notre survie passe par l'amélioration de la qualité et le développement des ventes en bouteilles '. Face à ce double défi, Nearchos Roumbas a, dès 1983, obtenu l'instauration d'une grille de paiement des raisins en fonction des cépages, les prix étant fixés par le Conseil des ministres sur proposition d'une commission vin. En 1997, le kg de mavro (cépage local) était payé 1,80 F, le sémillon et le sauvignon 2,64 F, le chardonnay, le riesling et le cabernet 4,20 F. ' Sans cette différenciation, les viticulteurs n'auraient pas planté ces variétés qui demandent plus d'attention. ' L'Etat finançant un programme de replantation, les cépages étrangers couvrent aujourd'hui plus de 10 % des surfaces.Mais le volet le plus important de cette politique est l'incitation à la vinification par les producteurs eux-mêmes. ' C'est en rendant le métier plus attractif que nous amènerons les jeunes à prendre la suite de leurs parents. ' Pour les intéressés, le gouvernement paie les frais d'installation électrique, d'eau et de téléphone, puis 25 % du coût des équipements de vinification et 15 % pour les bâtiments. S'y ajoutent des aides à l'agrandissement, l'octroi de prêts à taux préférentiel, des séances de formation et une assistance technique. Une trentaine de caves particulières ont ainsi vu le jour. Parmi elles, le domaine Limos, à Omodhos, bourgade viticole sur les pentes du mont Troodos, le point culminant de l'île. Une propriété familiale de 15 ha qu'Herodotos Heradotou a hérité de ses parents.La cinquantaine, cet ancien policier s'est lancé dans l'aventure en 1988, avec sa femme et ses trois enfants. ' Pour rien au monde, je ne retournerai à mon ancienne vie ', dit-il. La réussite est belle. Complétant sa production par l'achat de raisins, il vend 100 000 bouteilles par an avec un profit évalué à 8,40 F par col, ' bien que bouchons et bouteilles coûtent cher, respectivement 0,96 F et 1,80 F/pièce car ils doivent être importés '. Principal débouché, la zone touristique d'Ayia Napa et de Larnaca via la restauration et les magasins. Un caveau est en voie d'aménagement pour accueillir à la propriété.Implantées sur des sols pauvres où alternent couches de terre et de pierres gardant l'humidité, les vignes ont été replantées en cabernet, riesling, grenache et sémillon. Les rendements ne dépassent pas 4 t/ha et avec la faible pression parasitaire, un à deux traitements contre l'oïdium et les vers de la grappe suffisent généralement. Les rouges vieillissent deux à quatre ans avant la commercialisation, contre quatre à six mois à peine pour les blancs et les rosés.Face à l'émergence de ces nouveaux producteurs, les quatre grandes entreprises viticoles du pays réagissent. Keo a planté 160 ha de cépages étrangers et Leol s'est doté de vignes de cabernet. De son côté, Sodap envisage de remplacer son énorme centre de vinification de Paphos par plusieurs petites unités installées dans les villages viticoles, ' pour recevoir les raisins dans de meilleures conditions et élaborer des crus selon les terroirs ', explique Lakis Macriyannis. De plus, ces entreprises calent mieux les dates des apports (la vendange s'échelonne de juillet à septembre) en fonction des maturités. Autre innovation : Leol lance la culture du cabernet sous contrat. Enfin, les rémunérations commencent à être différenciées selon les cépages.Filiale d'Etko, Olympus Winery achète ainsi le cabernet 6,60-7,20 F/kg et va chercher les raisins chez les producteurs. Créé en 1992 et installé à proximité d'Omodhos, ce domaine a acquis 40 ha entièrement replantés en cabernet, syrah, merlot, riesling et chardonnay. ' Ces vignes sont entretenues par un personnel formé à la culture de ces cépages, révèle Phanis Vlassides, directeur d'Etko. De plus, nous n'achetons pas de raisin au-delà d'un rayon de 3 km et il est transporté dans des caisses de 20 kg maximum. ' Lors des vinifications, le contrôle des températures est automatisé: 16-18°C pour les blancs, 22 à 30°C pour les rouges; on utilise des levures d'importation sélectionnées; les rouges sont vieillis en fûts de chêne français; la cave d'une capacité d'un million de bouteilles est climatisée. ' Cet investissement s'élève à 14,4 millions de francs que nous espérons amortir d'ici à 2002. Un objectif qui passe par le développement des ventes en bouteilles, voisines de 200 000 unités/an. En effet, un carton de 12 se vend 180 à 240 F, soit autant ou plus que l'hectolitre en vrac qui se négocie autour de 180 F. 'Prochaine étape de cette marche en avant : la mise en place d'AOC dont la législation devrait être promulguée d'ici à deux ans. L'une d'elle devrait couvrir la région du Troodos.