Sur la grande, mais pauvre île de l'océan Indien, la culture viticole périclite. Difficultés climatiques, administratives et économiques s'ajoutent au vieillissement des quelque 600 ha d'hybrides. Sans compter les importations de vin à bas prix.
Dans vingt ans, les vignes à Madagascar, c'est fini. Stéphane Chan Fao Tong balaie l'air d'un geste découragé. Et il ne semble pas le seul. ' Lorsque je me suis installé en 1972, nous étions sept producteurs sur Antsirabe (centre du pays). Aujourd'hui, nous ne sommes plus que trois et deux autres propriétés sont en vente mais ne trouvent pas preneur. Aucun jeune ne serait assez fou pour s'implanter alors qu'il revient moins cher de mettre en bouteilles du vin importé en gros, et qui se vend mieux! 'Propriétaire de 14 ha de vignes, travaillées par huit employés, Stéphane Chan Fao Tong reste malgré tout un privilégié. Mais, pour les autres comme pour lui, vivre de son vin devient de plus en plus difficile : il a dû dernièrement baisser le prix de vente de 500 francs malgaches (FMG) pour le ramener à 4 000 FMG la bouteille (environ 4,50 FF). Une misère. Plus au sud, à Fianarantsoa, l'heure est davantage à l'optimisme. Un meilleur terroir, une plus grande renommée et surtout une organisation sans équivalent dans l'île rendent les producteurs plus prospères. Mais avec ses 300 ha de ceps palissés et ses belles cuveries en Inox, le domaine de Lazan'i Betsileo fait figure d'exception (voir encadré). Certes, les prix y sont quatre à cinq fois supérieurs à ceux d'Antsirabe, mais les problèmes restent les mêmes.Concentré autour de quelques centres nerveux et agricoles du pays, sur les hauts plateaux, le long d'un axe Nord-Sud, Antsirabe/Fianarantsoa, le vignoble malgache est vieillissant. On estime que la moitié des quelque 600 ha de vignes, cultivés sur les hauts plateaux entre 1 200 et 1 500 m d'altitude, a entre cinquante et soixante-dix ans. ' On ne peut pas importer de cépages nobles de France ', tempête Stéphane Chan Fao Tong. Du coup, les producteurs se sont contentés d'hybrides. Le Couderc 13 remporte la palme parmi les cépages blancs, alors que le seyve-villard est dominant chez les rouges. Si ces cépages sont réputés pour leur résistance aux maladies (oïdium, mildiou, anthracnose), ils donnent en revanche un vin assez acide, délicat à vinifier et se conservant mal.Ces dernières années, il est devenu plus facile de disposer de produits phytosanitaires, même si leur prix demeure relativement prohibitif. Toutefois, les machines agricoles sont rares car encore très coûteuses à importer. Du coup, désherbage et traitements restent essentiellement manuels. ' Ici, la main-d'oeuvre n'est pas chère. C'est plus avantageux de faire travailler des gens plutôt que des tracteurs ', note à ce propos Belarmin Randriamanahirana, chef caviste de la cave centrale du domaine de Lazan'i Betsileo.Ces contraintes sont encore renforcées par le climat tropical de la zone. L'alternance d'une saison sèche et pluvieuse complique sérieusement la tâche des viticulteurs : manque d'eau en période de nouaison ou floraison et fortes précipitations en période de vendange (entre janvier et mars), avec des risques évidents de pourriture et de grêle. A ces difficultés, il faut ajouter les criquets qui se régalent des bourgeons et... les voleurs qui pillent les rangs. Tout ceci conjugué pèse lourdement sur les rendements, en diminution constante ces dernières années. Enfin, la mise en bouteilles reste artisanale. La seule verrerie de l'île a mis la clef sous la porte. Alors, on récupère. Et on importe des bouteilles de seconde main du Portugal, d'Espagne ou de La Réunion. Quant aux bouchons, ils ont aussi traversé les mers et sont rarement de bonne qualité : à la moindre pression, ils s'effritent.Malgré leur évidente bonne volonté, les viticulteurs malgaches se sentent isolés. C'est que la viticulture malgache est loin de constituer une filière. C'est davantage une curiosité exotique. Personne ne semble d'ailleurs s'être occupé de l'organiser, ni même de comptabiliser le nombre de viticulteurs de l'île. La grande île (12 millions d'habitants pour une superficie égale à la France) a découvert le vin à la messe. Les jésuites, entrés avec leurs plants dans la seconde moitié du XIXe siècle, ont semé le virus, qui a contaminé quelques autochtones. ' Dans les années soixante, explique un guide qui propose le parcours de la ' route des vins ', les jésuites avaient des ouvriers malgaches qui se sont installés à leur compte et vendaient leur production aux grandes sociétés. Les Malgaches ne se sont vraiment intéressés à la viticulture que dans les années soixante-dix, sous l'impulsion de la coopération suisse. 'Dans un pays qui figure parmi les dix plus pauvres du monde, les Autorités ont bien d'autres priorités. Aucune formation n'est dispensée dans le pays. Il faut pour cela traverser les 10 000 km qui séparent la grande île de la Suisse ou de la France ou surfer sur Internet. ' Je suis en relation avec le Bordelais, le Beaujolais, l'Alsace, le Canada et l'Australie grâce au Net et j'envoie mes échantillons pour analyse à Paris, affirme Stéphane Chan Fao Tong. En revanche, si je veux emporter mes cartons d'ici à Tananarive chez un client, ce sont des tracasseries sans fin. Ici, c'est corruption et compagnie. ' Notre interlocuteur vend lui-même sa production au niveau local ou en livrant des cartons avec sa petite camionnette.Même discours du côté de Lazan'i Betsileo : ' Nous sommes le seul groupement de l'île, observe John Rakotondrabe, son directeur administratif et financier. Ici, cela fait presque dix ans qu'on discute d'une loi sur le vin. Depuis trois ou quatre ans, elle est enfin passée au Parlement mais attend toujours les décrets d'application... ' Cette loi est très attendue par la profession. Elle permettra de mieux protéger la production viticole, en définissant des critères qualitatifs, et surtout libérera le commerce avec l'étranger (vente et importation de plants notamment). Car ici, pour le vin comme pour beaucoup d'autres choses, le salut vient encore d'au-delà des mers.