Lorsqu'un vignoble est donné en location et que les vignes doivent être remplacées, qui doit supporter le coût de l'opération? Et surtout, le preneur peut-il obliger le bailleur à procéder à cette replantation? Analyse d'une jurisprudence partagée.
Il est un problème crucial en matière de rapports bailleur-preneur dans le fermage, portant sur des champs de vignes ou d'arbres fruitiers. Prenons un exemple dans les AOC côtes du Ventoux : la fourchette du loyer s'établit entre 866 et 2 000 F/ha. Admettons un loyer moyen de 1 000 F/ha sur une propriété de 10 ha de vignes. Le revenu annuel du propriétaire sera de 10 000 F. Au bout de trente ans, le vignoble n'a plus les rendements nécessaires : trop de manquants, sénescence des pieds... Les vignes sont à remplacer. Coût de l'opération : plus d'un million de francs...Qui paiera? Qui profite du rendement? Certainement le preneur! Qui subit les effets de la chute de productivité? Le preneur, puisqu'il devra régler son fermage et, d'un autre côté, faire face aux travaux, depuis les traitements sanitaires jusqu'aux vendanges des surfaces en partie improductives. De son côté, le bailleur, en trente ans, a encaissé 300 000 F et il lui faudrait dépenser plus de 1 MF. Ce qui est vrai pour la vigne l'est également pour un champ de pommiers ou autres arbres fruitiers.Jusqu'à la loi du 13 avril 1946, le législateur ne se préoccupait pas du problème, pas plus en fermage (code civil) qu'en métayage (loi du 18 juillet 1889). Le statut a ajouté à l'article 1 719 du code civil, au titre des obligations du bailleur : ' assurer la permanence et la qualité des plantations '. Et l'article L 415-8 du code rural complète : ' la commission consultative des baux détermine l'étendue et les modalités des obligations du bailleur relatives à la permanence et à la qualité des plantations prévues au 4e alinéa de l'article 1 719 du code civil. Le tribunal paritaire peut, le cas échéant, autoriser le preneur à faire exécuter les travaux incombant de ce fait au propriétaire et aux frais de celui-ci '.Une première difficulté est à envisager : lors de la conclusion du contrat, pour faire échec à la menace que représente pour lui l'obligation de replantation, le bailleur a inclus dans la convention, une clause aux termes de laquelle le preneur doit assumé lui-même les frais de replantation. En application de l'article L 415-12 du code rural, cette stipulation est déclarée illégale ou, plus précisément, réputée non écrite (Cour de cassation, 24 juin 1998). On parvient alors à une solution négative : le preneur ne peut être tenu de replanter mais le problème n'est pas résolu : peut-on alors obliger le propriétaire à financer la replantation?C'est ici que se pose l'interprétation à donner aux articles 1 719-4° du code civil et L 415-8 du code rural. Une première réponse s'impose : si le contrat-type prévoit les modalités de l'opération spécialement en charge du défonçage, de l'achat des plants, du greffage et des échalas pour le bailleur, de la main-d'oeuvre pour le preneur, le bailleur sera obligé de financer les frais occasionnés par les opérations telles qu'énumérées dans le contrat-type. Et même le preneur pourra obtenir, sous astreinte, l'exécution de cette obligation (Cour de cassation, 25 octobre 1976, BC 76-III n° 336).Le conflit s'aggrave lorsque le contrat-type est muet sur le sujet : un arrêt, il est vrai ancien (25 mai 1957, JCP 57-10 219) mais, semble-t-il, jamais démenti, affirme que les articles 1 719-4° du code civil et l 415-8 du code rural font un tout, en sorte qu'à défaut par le contrat-type de prévoir les modalités de la replantation, celle-ci ne peut être imposée au propriétaire. Peut-on alors rattacher la charge imposée au bailleur à l'article 1 719-2° du code civil qui édicte que le bailleur doit entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée. Certes, il n'est pas tenu de reconstruire, en cas de perte totale ou partielle, et il y a perte partielle dès lors que la chose louée ne peut plus être conservée sans dépense excessive et devient ainsi impropre à l'usage auquel on la destine (Cour de cassation, 4 juillet 1968, BC 68-III n° 319). Il n'en demeure pas moins que le contrat a été conclu pour permettre au preneur de cultiver des vignes; le bailleur ne doit-il pas garantir la chose louée sauf, bien entendu, si elle est détruite par cas fortuit ou force majeure. Tel serait le cas en présence d'un gel général des plantations (Cour de cassation, 9 mai 1967, BC 67-IV-N240).Enfin, si l'on admet l'obligation de replantation à la charge du bailleur, peut-il faire état de la modicité des revenus pour refuser la dépense à envisager pour la replantation? La Cour de cassation a toujours répondu par la négative pour l'exécution des obligations par le bailleur. Elle rappelle à ce sujet qu'on ne doit pas juger en équité mais en droit (Cour de cassation, 23 mai 1997, Gazette du palais, 30 octobre, p. 15).