Il suffit d'un traitement à la bouillie bordelaise, aux alentours de la véraison, pour amoindrir les notes fruitées et viandées du merlot et du cabernet sauvignon.
Pour sa cinquième journée technique, le CIVB (Comité interprofessionnel du vin de Bordeaux) avait dressé les enjeux du troisième millénaire. Il en avait identifié quatre qui furent discutés au cours d'autant de tables rondes. Ces enjeux sont les suivants : préservation des terroirs, réduction des traitements chimiques, développement des qualités hygiéniques et de la typicité des vins. Bien que la question ne fut pas ouvertement posée, à l'issue des conférences, on pouvait se demander s'il ne fallait pas abandonner le cuivre pour atteindre les objectifs énoncés.Jean Delas, spécialiste de la fertilisation et retraité de l'Inra de Bordeaux, fut le premier intervenant. Il a dressé un inventaire des menaces qui pèsent sur les terroirs, parmi lesquelles il a cité le cuivre. Il a rappelé qu'en raison de sa toxicité, cet antimildiou avait provoqué de graves échecs dans les plantations consécutives au gel de 1956. Bien que ce problème fut réglé par des apports massifs de matière organique et de chaux, les sols restent contaminés. Cet élément ' est un gros problème au niveau biologique ', a ajouté Rémi Chaussod, qui étudie la microbiologie des sols à l'Inra de Dijon. Le cuivre est non seulement toxique pour la vigne, mais aussi pour les microbes. Cependant, il semble qu'au moins une partie d'entre eux puisse s'en accommoder, à condition qu'ils aient affaire à des doses modérées.En fin d'après-midi, eut lieu la session sur la typicité. Là, le dossier à charge s'est alourdi. On sait depuis plusieurs années que les traitements à la bouillie bordelaise sont susceptibles de détruire les parfums du sauvignon blanc. Nous avons appris qu'ils menacent du même sort les arômes du merlot et du cabernet sauvignon. La raison en est simple : les vins jeunes de ces deux cépages renferment des molécules aromatiques soufrées qui réagissent avec le cuivre, en disparaissant sans laisser de goût.L'une de ces molécules est le 3-mercaptohexanol (3MH). A l'état pur, il possède une odeur de pamplemousse. Il la confère aux vins de sauvignon blanc. Aux rouges, il donne un parfum de cassis et de fruit cuit. Il peut sembler surprenant que l'on goûte la même substance de deux manières différentes, mais le fait est bien établit. ' Lorsqu'on ajoute du 3MH dans un rouge neutre, on renforce son caractère de cassis et de fruit cuit ', a expliqué Philippe Darriet, de la faculté d'oenologie de Bordeaux.Philippe Darriet a fait un second exposé au cours duquel il a présenté l'effet de traitements à la bouillie bordelaise à la dose homologuée (en l'occurrence 3 000 g de matière active/ha). Ses observations proviennent d'essais réalisés en 1996 et 1997 avec l'Inra de Bordeaux. Les unes eurent lieu à Pomerol, sur le merlot; les autres à Margaux, sur le cabernet sauvignon. Dans les deux cas, les vignes furent protégées avec le matériel de leurs propriétaires. Les témoins reçurent du folpel tout au long de l'année. Ailleurs, ce fongicide organique fut remplacé, à partir de la mi-juillet, par de la bouillie bordelaise qui fut appliquée une, deux ou trois fois.Au moment de la récolte, on n'observe aucune différence de maturité selon les traitements. En revanche, son incidence sur les arômes est nette. ' A partir d'un seul traitement à base de bouillie bordelaise, on constate une baisse importante, jusqu'à 60 %, des concentrations en 3MH. Cette diminution est encore plus marquée avec deux applications cupriques (...). Au cours de la dégustation, les notes les plus basses sont toujours attribuées aux vins provenant de parcelles traitées à la bouillie bordelaise, avec un mode de pulvérisation classique ', lit-on dans le compte-rendu remis aux participants à la journée. ' Les vins sont moins fruités et ont moins de caractères viandés ', précisait Philippe Darriet, lors de son intervention. Les notes viandées tiennent à la présence de deux molécules soufrées : le 3-mercapto-2-méthylpropanol, dont l'odeur évoque le bouillon et le Viandox, et le 2-méthyl-3-furanthiol, qui rappelle la noisette grillée et la viande rôtie. Elles aussi sont détruites par le cuivre.Lorsqu'on ensache les grappes avant de traiter, on n'observe pas ces inconvénients. Les arômes sont préservés. Cela prouve que leur destruction tient aux dépôts de matière active sur les baies. Partant de ce constat, l'idée est venue de tester les effets d'une pulvérisation évitant la zone des grappes. ' Nous n'avons pas souhaité passer pour les fossoyeurs du cuivre, expliquait Philippe Darriet. Nous avons donc envisagé des modes d'application dirigés sur le feuillage. ' Ils sont sans inconvénients sur les arômes du merlot et du sauvignon, les deux cépages sur lesquels cette technique fut expérimentée.' Il n'est pas besoin de traiter les grappes à partir du stade fermeture, car elles ne sont plus sensibles aux maladies et le feuillage de cette zone non plus ', précisait Yvon Bugaret, de l'Inra de Bordeaux. Voilà donc la solution pour bénéficier, en fin de saison, de la longue persistance d'action du cuivre sans nuire aux arômes!