A l'issue de la première semaine de négociations, la France n'avait pas obtenu gain de cause sur deux points essentiels du projet de l'organisation commune du marché du vin.
Avant que les négociations ne commencent, l'optimisme régnait dans le camp français. Le 18 février, Denis Verdier, président de l'Onivins, en témoignait : ' Aujourd'hui, on a plutôt le moral, reconnaissait-il lors d'une conférence de presse organisée ce jour-là au siège de l'Office. La viticulture est en bonne santé. Elle ne coûte presque rien au budget européen et rapporte des devises. Nous sommes donc en position de force. ' La filière l'était pour une seconde raison : elle est unie pour attaquer les négociations. Les intervenants français s'étaient accordés sur une position commune, revendiquant 3 % de droits nouveaux de plantation pour la période 2000-2003, la reconnaissance des interprofessions, une aide européenne de 35 000 F/ha pour la restructuration du vignoble, le maintien d'outils de gestion des marchés (distillation) et l'interdiction de vinifier des moûts provenant de pays tiers. Les sujets les plus conflictuels avaient été mis de côté pour être réglés après l'adoption d'une nouvelle OCM (organisation commune du marché). Ainsi, ni les pratiques oenologiques (enrichissement et chaptalisation), ni les règles d'étiquetage n'allaient être abordées lors du marathon agricole de Bruxelles.Les fonctionnaires de la Commission de Bruxelles connaissaient parfaitement les revendications françaises. Ils les avaient entendues le 17 février alors qu'ils assistaient au conseil de direction de l'Onivins qui, pour l'occasion, se tenait chez eux, à Bruxelles. ' Les droits de plantation et la vinification des moûts provenant des pays tiers seront les deux points les plus difficiles de la négociation, reconnaissait Denis Verdier le lendemain. Mais nous avons dit au ministre qu'il ne faut céder sur rien. 'Le 25 février, à l'issue de la première semaine de négociations, la profession viticole a déchanté. Il fallait se rendre à l'évidence : la position de la France n'était pas celle de l'Europe. Sur les deux points les plus délicats, nos négociateurs n'avaient pas obtenu satisfaction. Pire, selon l'Allemagne, présidente du Conseil pour ce premier semestre, un accord s'était dégagé autour d'un compromis prévoyant 9 043 ha de droits nouveaux de plantation pour la période 2000-2003 et autorisant la vinification de moûts en provenance de pays tiers. 9 043 ha correspondent à 1 % et non à 3 % de la superficie du vignoble. Même si l'on est loin du compte des exigences françaises, il s'agit tout de même d'une avancée. Dans son projet initial, la Commission proposait 1 % de croissance, non pas en trois ans, mais en dix ans. Le compromis a provoqué une vive réaction de Jean Huillet, président de la Fédération des caves coopératives de l'Hérault. ' On va descendre dans la rue dans les jours qui viennent puisqu'on n'arrive pas à se faire entendre ', annonçait-il le 2 mars, sans toutefois donner plus de détails sur la tenue de ces manifestations. Il était particulièrement irrité par le projet d'autoriser la vinification de moûts provenant de pays tiers. ' Je passe mon temps à expliquer aux consommateurs ce qu'est la traçabilité et à dire aux vignerons qu'il leur faut récolter séparément chacune de leurs parcelles. Et maintenant, on pourrait acheter du moût en Argentine, le vinifier en France et l'appeler vin français? On marche sur la tête. 'Si l'on s'en réfère au compromis, cela ne devrait pas être possible, puisque le texte impose une indication claire de l'origine des moûts. Cependant, selon plusieurs spécialistes des négociations internationales, les règles relatives à l'indication de l'origine des produits ne se décident pas à l'échelle européenne, mais mondiale.Elles sont en cours de discussion au sein de l'OMC (organisation mondiale du commerce). Or, il semble fort probable que cette institution retienne le lieu de vinification comme l'origine d'un vin. Si cette règle était adoptée, l'Union européenne devrait s'y plier et la France devrait désigner comme français tous les vins vinifiés sur son territoire. A cette perspective s'en ajoute une autre, celle du coupage à l'échelle mondiale. Le compromis prévoit d'autoriser, par dérogation, le coupage des moûts (ou des vins) importés avec les moûts communautaires.Le plus étonnant, c'est qu'apparemment, ces propositions ne sont défendues par aucun des pays de l'Union. On pourrait imaginer que l'Europe nordique réclame à corps et à cri le droit de vinifier des moûts, mais ce n'est pas le cas. Il semble, au contraire, que l'initiative en revienne à la Commission qui aurait anticipé les exigences qu'à l'avenir, des pays tiers pourraient formuler. Elle aurait donné là une sorte de gage de son libéralisme. Peut-elle reculer sans paraître protectionniste? A coup sûr difficilement. Les négociateurs français allaient avoir besoin de toute leur force de persuasion pour obtenir gain de cause. Ils sont retournés à Bruxelles le 4 mars, mais ne devaient pas aborder les questions viticoles avant le 8. Les organisations professionnelles ont mis ce délai à profit pour faire sentir au ministre et à ses services à quel point elles étaient déterminées. La seconde manche du marathon s'annonçait bien plus dure que prévu.