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Le goût de poivron vert

La vigne - n°97 - mars 1999 - page 0

Lorsqu'ils sont insuffisamment mûrs, le cabernet sauvignon, le cabernet franc, le merlot ou le sauvignon présentent des arômes de poivron vert. Ces défauts se manifestent davantage dans certains terroirs que dans d'autres. On peut éviter, ou du moins limiter, leur apparition en réalisant des travaux en vert.

Le goût de poivron vert tient à la présence d'IBMP (2-méthoxy-3-isobutylpyrazine). Il s'agit d'une molécule très puissamment odorante que l'on perçoit dans les vins dès qu'elle dépasse la concentration de 15 ng/l (15 milliardièmes de gramme par litre). Elle s'exprime fréquemment dans le cabernet sauvignon, le sauvignon et le cabernet franc, un peu moins dans le merlot, jamais dans le pinot noir ou le chardonnay pour peu qu'ils soient récoltés à maturité normale. A la différence d'autres arômes, l'IBMP n'est pas révélée lors des fermentations, mais présente dans les raisins. Au cours de la maturation, elle disparaît, d'abord rapidement, puis de plus en plus lentement.Cette décroissance qui démarre avec la véraison dépend fortement du millésime, du rendement, du terroir et de l'éclairement des grappes. Par ailleurs, elle est parallèle à celle de l'acide malique. L'évolution de la richesse des moûts en cet acide fournit donc un bon indicateur de la maturation.On sait depuis toujours que le millésime exerce une influence essentielle sur la qualité des vins. S'agissant de leur teneur en IMBP, la faculté d'oenologie de Bordeaux a montré qu'elle était liée à la pluviométrie, la température et l'ensoleillement des mois d'août et de septembre. Des précipitations élevées et des températures basses favorisent la conservation de cet arôme. Un ensoleillement élevé, au contraire, accentue sa dégradation.La faculté s'est également intéressée à l'incidence du terroir. Elle a montré que dans le Bordelais, les cabernets sauvignons issus des graves avaient les caractères herbacés les moins prononcés. Le merlot admet une plus grande variété de sols. Il mûrit bien dans les graves et dans les argilo-calcaires. Les terroirs sablo-limoneux sont les moins intéressants pour ces deux cépages. C'est là que leurs vins sont les plus riches en IBMP.Les vignerons peuvent donc limiter les problèmes de maturation en implantant leurs cépages dans les terroirs qui leur conviennent le mieux. Ils peuvent également agir sur les rendements en contrôlant la vigueur des vignes. A un troisième niveau, ils peuvent améliorer l'éclairement des grappes par un palissage soigné et des travaux en vert. L'importance de l'éclairement fut mis en évidence par des chercheurs australiens. Depuis plusieurs années, ils ont montré que les grappes conservaient un goût de poivron vert d'autant plus prononcé qu'elles mûrissaient à l'ombre. Ils ont même quantifié ce phénomène. Selon eux, entre une grappe exposée au soleil et une autre cachée sous trois épaisseurs de feuilles, la teneur en IBMP à la récolte varie du simple au triple.Récemment, Dominique Roujou de Boubée, de la faculté d'oenologie, a évalué l'incidence de travaux en vert. En 1996, ses essais ont porté sur des cabernets sauvignons implantés dans trois terroirs différents : argileux, calcaire et graveleux. Il les a effeuillés à hauteur de leur zone fructifère au début de la véraison. Ce travail n'a donné pleinement satisfaction que dans le sol de graves qui est le plus favorable au cabernet sauvignon. Là, il a permis d'obtenir un vin dépourvu de caractère végétal. En revanche, dans les deux autres terroirs, il en a seulement diminué l'intensité. Ainsi, même en année favorable, ce que fut 1996, on ne peut, la plupart du temps, se contenter d'un effeuillage tardif.L'année suivante, Dominique Roujou de Boubée a entrepris des travaux en vert plus complets. Cette fois, ils ont eu lieu sur du merlot et du cabernet sauvignon, tous deux implantés dans un sol de graves. Ils ont démarré après le débourrement avec l'élimination des contre-bourgeons. Ils se sont poursuivis avec la suppression des entre-coeurs nés après le premier rognage, puis avec l'effeuillage de la zone de grappes, côté soleil levant, au moment de la fermeture des grappes. Ces travaux se sont achevés par un éclaircissage au début de la véraison.Tous ces efforts ne furent pas vains : les vignes travaillées ont donné les meilleurs vins. Ils étaient plus pauvres en IBMP que les témoins et plus riches en couleur et en tanins qu'eux. Cela tient au meilleur éclairement des grappes mais aussi à la baisse du rendement, qui est passé 60 à 48 hl/ha pour le merlot et de 58 à 46 hl/ha pour le cabernet sauvignon. Cependant, si l'objectif était d'obtenir des vins totalement dépourvus de goûts végétaux, il ne fut pas pleinement atteint. La concentration en IBMP n'est tombé en dessous du seuil de perception que pour le cabernet sauvignon. Elle est restée au-delà de ce seuil pour le merlot. En définitive, ce sont les conditions climatiques de l'année qui ont primé. Elles furent plus favorables à la maturation du cabernet sauvignon qu'à la maturation du merlot.Une fois les raisins récoltés, les jeux sont pour ainsi dire faits. Lors de la vinification, on a peu de moyens de limiter l'expression des goûts de poivron vert. Tout juste peut-on raccourcir le temps de macération s'il s'avère que les raisins sont vraiment peu mûrs. Les Australiens ont en effet montré que les vins s'enrichissent d'autant plus en IBMP que la macération est longue. Une autre manière de limiter l'incidence de cette molécule est de ne pas incorporer les vins de presse à l'assemblage final. Ils sont généralement plus végétaux que les vins de goutte. Compte tenu de la faiblesse des corrections possibles au chai, c'est au vignoble qu'il faut travailler pour limiter l'apparition des goûts herbacés.

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